Quelqu'une m'a dit
Love story: L'amoureux aux taches de rousseur
Enfant, mon amie était d’un naturel timide. Elle aimait surtout lire et cherchait des cachettes pour se réfugier avec un livre. Sur une branche, sur un caillou au bord de la rivière. Cette réserve a fait naître chez un de ses camarades de classe une passion obstinée. Le garçon de son côté était un grand gars, rouquin, la peau blanche couverte de taches de rousseur. Sa mère l’élevait seule, ce qui à cette époque, dans ce coin de Suisse romande, n’était pas très bien vu. Le garçon faisait le caïd dans la cour de récré, et l’amour qu’il ressentait pour mon amie débordait de lui. Il la poursuivait de ses assiduités avec acharnement. Un jour, il décidait de lui jeter une bague à la figure, une de celles que naguère, on trouvait dans les paquets de chips, un autre, de la débusquer dans un de ses refuges en la tirant par les cheveux, un autre encore de l’attendre sur le chemin du retour.
Tous deux étaient profondément malheureux. Elle parce qu’elle ne voulait pas de cet intérêt féroce et brutal, lui parce qu’il se sentait humilié, le rejet de la frêle petite fille s’ajoutant à celui du milieu scolaire et au mépris social. Pendant les cours, il la regardait d’un air sombre, elle sentait ce regard sur sa nuque. Tout en lui la terrorisait. Elle avait honte aussi, que ce garçon-là, le pauvre, le rouquin, le cancre, s’intéresse à elle. Cela la tirait vers le bas, alors qu’elle avait déjà de la peine à conquérir l’amitié des filles de la classe.
Bourdieu et Susan Sontag
Les années passent. Lui devient un adolescent que nous dirions turbulent, à la limite de la délinquance, elle avance dans ses études, prenant progressivement le large, s’échappant de ses terreurs enfantines, puis, plus tard encore, de sa ville natale.
En grandissant, la petite fille timide prend de l’assurance, elle a des amies, des amoureux, elle lit toujours autant, mais sort aussi, dans les bars branchés. Elle se la pète désormais, citant Bourdieu et Susan Sontag. Et voilà qu’un jour elle tombe sur le garçon. Qu’est-il devenu? Beau, déjà. Grand toujours, ses cheveux roux et bouclés roulent autour de son visage. On dirait un de ces jeunes saints qu’on voit dans les églises. Le jour de la rencontre, il porte un uniforme. Celui de la police lausannoise. Oui, après avoir un temps dérivé, il a embrassé une carrière dans les métiers de sécurité, délaissant les petits délits pour l’ordre public. Tout ça, elle l’apprend en buvant un verre avec lui, puis deux. Ils ont reparlé du passé, il s’est excusé, elle a pardonné. Le flirt entre eux a duré un moment, puis une vraie relation, avec une vraie bague au doigt, les a unis. Leur couple n’a pas tenu toute une vie, mais c’est une autre histoire.