Love story: Crush autour d'une voiture à l'armée suisse

Je sinuais entre les terrasses bondées du Flon, à Lausanne, quand j’ai croisé Caren. Caren était mon amie au gymnase. Des décennies que je ne l’avais pas vue, mais j’ai tout de suite reconnu l’éclat espiègle de son regard. Je me plante devant elle, et son visage s’illumine après m’avoir détaillée avec circonspection. «Ça fait si longtemps!» Elle est seule, elle a du temps, alors je m’assois pour siroter un Limoncello Spritz en sa compagnie.

Caren me parle de sa carrière, de ses trois enfants, de son mari. On se remémore nos profs, les mecs mignons qu’on épiait dans les couloirs et toutes les bêtises qu’on a pu faire. Au fil de notre joyeuse discussion de retrouvailles, un détail me revient en mémoire. «Et alors, l’armée, c’était comment?»

ll faut savoir que Caren a toujours préféré traîner avec les garçons. À l’école, elle a choisi la filière scientifique, aux effectifs plutôt virils (alors même qu’elle n’était pas douée en maths), tout cela pour faire comme eux. Caren s’est même engagée dans l’armée suisse (c’est dire!) pour montrer à quel point elle était badass. C’est à partir de là que nos chemins de vie se sont séparés. C’est la seule femme de ma génération que je connais qui s’est enrôlée.

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Rencontre dans les rangs

Alors elle me raconte: les heures passées à attendre, à s’ennuyer, à travailler fièrement comme soldate de transmission, à rire aussi, avec ses rares copines de la compagnie. Et à mater ses collègues masculins. En particulier celui qui porte de grandes lunettes et qui conduit une superbe Alfa Romeo rouge, décapotable et sportive (oui, draguer avec sa voiture, ça fonctionne parfois). Il s’appelle Clovis et il vient de la Broye vaudoise. Il est un peu timide, mais particulièrement charmant et cultivé.

Caren n’y va pas par quatre chemins, car c’est une femme de caractère: elle lui propose un date et c’est le coup de cœur. Un week-end, Clovis veut l’emmener au cinéma. Ce film, Caren l’a déjà vu, mais elle s’en fiche: Clovis en parle avec passion et elle ne veut pas gâcher cette sortie romantique. Elle trépigne devant son porche lorsqu’elle voit débarquer péniblement une vieille Citroën. «Mais où est passée l’Alfa Romeo?» Clovis ne comprend pas. La belle voiture rouge, ce n’était pas la sienne. Déjà amoureuse, Caren est prête à dépasser sa déception: au revoir la pause hollywoodienne fantasmée et le foulard qui vole au vent.

Mon ancienne amie s’arrête dans son récit, comme s’il était terminé. Je l’encourage à poursuivre, je veux savoir ce qu’est devenu ce Clovis de l’armée. «Je me suis mariée avec lui, me répond-elle simplement. Il y a 22 étés.»