témoignages
L’humanité des réfugiés me bouleverse
J’ai toujours eu ce rapport d’aide aux autres
Mais je n’avais jamais eu, jusque-là, l’opportunité de m’engager. Il y avait mes enfants, mon travail à la ville, une vie à mener tambour battant. Et puis, il y a eu l’été 2015. Soudain, des milliers de réfugiés échouant sur les plages d’Europe avec des bateaux de fortune. Comme beaucoup, j’ai d’abord suivi l’actu devant ma télé, impuissante, à me demander ce que l’on pouvait faire. J’ai réalisé que c’était là, à notre porte. Et si j’allais sur place pour les aider?
L’aventure a démarré sur cet élan. Un post sur Facebook écrit par le photographe Petar Mitrovic, et douze heures plus tard il y avait plus de 400 messages. Nous nous sommes retrouvés à quatre le lendemain, à ses côtés, pour savoir comment gérer tout ça. L’association Humansnation voyait le jour. C’était en septembre 2015. Les semaines ont filé: entre les collectes d’habits et les démarches administratives pour préparer le voyage, nous avons peu dormi.
A notre arrivée il n’y avait personne
Nous sommes partis à neuf à la mi-octobre, un vendredi matin, au volant de trois fourgonnettes et d’un camion remplis de cartons. A la frontière serbe, tout s’est compliqué. Nous avons été ballottés de douane en douane, retenus pendant des heures pour des motifs aussi aberrants qu’injustifiés, alors qu’à quelques kilomètres des personnes étaient dans le besoin. C’était surréaliste et… rageant. Nous sommes finalement arrivés sur sol serbe le dimanche soir. Non loin de Sid, une petite ville frontière, se trouve un «point de transit», perdu en pleine campagne. Des centaines de migrants y passaient quotidiennement à la hâte, traversant à pied un campement constitué de quelques tentes disparates menant à la frontière croate où un bus les attendait pour les conduire plus loin au nord.
A notre arrivée, il faisait nuit et il pleuvait. Hormis notre contact sur place et une dizaine de volontaires indépendants, il n’y avait personne. Au moment où nous projetions de retourner en ville pour trouver un hôtel et procéder le lendemain au dédouanement des marchandises afin de pouvoir les distribuer, un car est arrivé. Des flots d’hommes, de femmes et d’enfants d’origine syrienne, afghane, kurde, etc., en sont sortis. Ils marchaient dans la boue, le regard hagard, complètement perdus, en short et en tongs. Epuisés, certains cherchaient un endroit où dormir. Et nous, on devait leur dire de continuer la route.
Une envie de crier pardon
Face à l’urgence, nous avons distribué tout ce qu’on pouvait: des souliers, des vestes, des bonnets ainsi que des vivres et des boissons achetés avec les fonds récoltés via l’association. On s’est occupé de bébés qui, n’ayant pas été changés depuis des jours, avaient des plaies ouvertes sur les fesses… Je savais que ça serait dur, mais je ne m’attendais pas à une telle misère. Où étaient la Croix-Rouge, Terre des hommes et les autres? Dans la cohue, j’ai bousculé un homme et il s’est excusé. Je l’ai regardé, bouleversée. J’avais envie de lui crier que c’est moi qui lui demandais pardon de faire partie de cette Europe qui les accueillait dans ces conditions.
En quelques heures, il n’y avait quasi plus de marchandises. Nous nous sommes couchés au milieu de la nuit, en état de choc. Le retour en Suisse a été difficile. Je me revois encore le mardi soir, arrivant à la maison, prendre ma benjamine dans les bras. Je titubais de fatigue et avais envie de pleurer. Et puis non, pas le temps, il fallait faire le bain, préparer le souper et lire une histoire dans une chambre de princesse… C’était un tel décalage. Nous avons eu besoin d’une semaine pour nous reconnecter à la réalité.
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Depuis, je suis repartie plusieurs fois. En Slovénie, à la frontière autrichienne, à Grande-Synthe, au nord de la France. Ou encore en Grèce, sur l’île de Lesbos et à Idomeni. Lorsqu’on a vécu cette expérience une fois, on ne peut plus rester chez soi, les bras croisés. Côté familial et professionnel, je m’organise. Mon compagnon et mes enfants me soutiennent. Je ne pars de toute façon jamais longtemps.
Cette gamine transie de froid
En fonction des besoins, nous prenons des couvertures de survie et des vêtements. Pour la nourriture, nous faisons les achats sur place, pour les redistribuer dans les campements. Souvent, j’ai l’impression de poser de petits sparadraps sur des hémorragies. Mais d’autres bénévoles sont là, qui prennent le relais. Et c’est ça qui fait que ça fonctionne.
Si l’on n’a plus revécu l’expérience serbe, il y a encore des moments où je dois me faire violence pour ne pas me laisser submerger par l’émotion. Je pense à cette gamine, transie de froid, qui ne cessait de me remercier alors que je l’habillais à la sortie d’un bateau. Elle aurait pu être ma fille. Ou encore cette maman, incapable de s’exprimer dans une autre langue que la sienne, qui s’est effondrée de fatigue devant moi, pleurant en silence devant le regard perdu de ses deux petits. Des gens comme vous et moi. Je ne suis pas certaine que j’aurais leur force si je devais un jour me trouver dans la même situation avec mes enfants.
Dans toute cette horreur, cette inhumanité dans laquelle nous faisons vivre ces gens, je suis à chaque fois frappée par l’humanité dont ils font preuve. Même dans les pires conditions ils gardent le sens de l’hospitalité, sont reconnaissants de notre aide. J’ai également été touchée par la solidarité des Grecs: j’ai vu des petits vieux arpenter les plages pour offrir du thé ou quelques habits aux réfugiés alors que, depuis la crise, ils n’ont plus grand-chose non plus.
En Suisse, je continue à m’engager à ma manière
Avec l’association, à laquelle de nombreuses personnes adhèrent encore chaque semaine, et en participant à des activités avec les réfugiés dans des structures d’accueil. Ce n’est pas grand-chose, mais j’ai l’impression ainsi de faire le lien entre ici et là-bas.
M’engager totalement dans l’humanitaire? Pas pour l’instant, peut-être plus tard. Mes enfants sont pour l’heure ma priorité, et c’est tant mieux. C’est ce qui me permet de rester ancrée dans la réalité, d’être solide et de donner le meilleur de moi quand je pars là-bas.
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