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«Hypnothérapeute, j’aide ceux qui aident»

Vecu Hypnotherapeute Corinne Sporrer

«Notre travail est donc d’accueillir les émotions et d’accompagner les gens à travers elles. On peut vraiment soulager quelqu’un quasi immédiatement, car l’hypnose est une thérapie brève. Les gens déposent un énorme bagage, un poids constitué dans un contexte violent et vécu dans l’urgence.»

© Corinne Sporrer

Je suis dans l’accompagnement depuis une douzaine d’années. A la base formé en coaching, j’ai développé un outil d’interaction avec les chevaux. C’est une méthode très efficace pour changer les comportements en profondeur chez un individu. Cela m’a poussé à m’interroger sur ce qui fait changer une personne. Comment le cerveau humain fonctionne, comment il crée des comportements et certains blocages. Du coup, je me suis intéressé à l’hypnose. Les évolutions s’opèrent de façon inconsciente et le patient peut changer un comportement parfois sans même s’en rendre compte. Alors, je me suis formé. Maintenant, je combine les deux pratiques en fonction des cas.

Chacun pour soi

L’année dernière, un de mes anciens formateurs m’a parlé d’une idée inédite: utiliser l’hypnose pour soutenir les humanitaires sur le terrain.

Confrontés au quotidien à des choses terribles, on pouvait peut-être proposer des techniques différentes pour les soulager plus rapidement. J’ai tout de suite accepté et nous avons ensuite intégré deux autres personnes dans l’équipe. Lui avait un contact avec une organisation non gouvernementale en Grèce, qui s’occupe notamment de fournir les traducteurs dans les camps de migrants et d’apporter du soutien aux mineurs non accompagnés. L’idée était de faire le tour de plusieurs camps, en Grèce, afin de rencontrer les humanitaires et de leur proposer des ateliers de gestion du stress et des émotions au quotidien, ainsi que des séances individuelles d’hypnose. Selon différentes études, deux tiers des humanitaires souffriraient de problèmes psychologiques liés à leur travail. De plus, dans ce milieu, il y a un problème de culture. Un bon humanitaire doit aider les personnes en souffrance et encaisser toutes les situations. Il y a beaucoup de non-dits et les gens sont très seuls face à leurs souffrances.

On a sillonné quatre lieux en sept jours, dont Athènes, l’île de Lesbos et l’île de Chios. L’expérience a été très intense. C’était la première fois que j’allais dans un de ces camps. Les conditions y sont extrêmement dures. Le plus grand d’entre eux, Moria, se trouve à Lesbos et malheureusement, c’est aussi un des pires d’Europe. Régulièrement dénoncé, il est sanitairement et humainement difficile. Prévu pour 3000 migrants, le camp est en surpopulation chronique avec des pics à plus de 12 000 personnes. Les migrants affluent constamment et sont retenus là le temps que les procédures administratives avancent. Et ça peut prendre des années. Tout est compliqué, il faut faire la queue pour manger, se doucher, aller aux toilettes, voir un médecin, etc. De plus, l’ambiance est très tendue, il y a de la violence, des viols, des meurtres, des rixes, du racket, de la prostitution. Les humanitaires y sont confrontés à des scènes insoutenables en permanence.

Hypnose tout terrain

Nous avons donné des ateliers sur le stress aux employés de l’ONG qui en avaient besoin (traducteurs, coordinateurs et agents de sécurité). On leur a proposé des outils très concrets, qu’ils pouvaient immédiatement mettre en application, par exemple en rentrant chez eux en fin de journée, afin de pouvoir se protéger et de vivre un peu plus sereinement les choses. Pour les séances individuelles d’hypnose, grosso modo, on a fait débarquer un cabinet au milieu du camp. Les conditions sont particulières, loin de l’espace feutré auquel on est habitué. C’est parfois travailler assis sur une caisse, sous les barbelés, devant des patrouilles armées.

L’hypnose reste quelque chose de mystérieux pour certains, d’un peu sulfureux, j’étais donc curieux de voir comment les gens allaient le prendre.

Finalement, j’ai été très surpris de voir à quel point les personnes que j’ai rencontrées étaient avides du moment qu’on allait passer ensemble. Le degré de stress est impressionnant, les gens étaient prêts et avaient envie d’être soulagés. C’était une merveilleuse expérience de pouvoir vraiment aller au cœur des problèmes, sur le terrain, là où les gens travaillent.

Les maux cachés

Les humanitaires souffrent de différents types de traumas, par exemple de stress post-traumatique que l’on retrouve chez les personnes qui ont directement été exposées à un épisode violent. Il y a également ce qu’on appelle le trauma vicariant: à force d’entendre une histoire, même si on ne l’a pas vécue, elle devient la nôtre. Par ailleurs, le cas des traducteurs est particulier car, pour la plupart, ce sont d’anciens migrants. Du coup, ils revivent leur propre expérience traumatique chaque fois qu’ils sont confrontés à quelqu’un qui a vécu une épreuve similaire. Souvent, les humanitaires ont aussi un sentiment énorme d’impuissance. Ils aimeraient en faire plus, alors même qu’ils prennent toute la charge émotionnelle des autres.

J’ai reçu une jeune traductrice qui est arrivée en me disant qu’elle ne ressentait plus rien depuis des années. Elle s’est blindée contre tout ce qu’elle avait vécu en construisant un mur autour d’elle. Depuis, elle avait des plaques rouges sur le corps. L’induction a été très rapide et elle a passé une heure à pleurer, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années.

Au fur et à mesure que ses larmes coulaient, ses plaques disparaissaient. Elle est repartie avec un énorme sourire et en me disant qu’elle se sentait libérée.

Notre travail est donc d’accueillir les émotions et d’accompagner les gens à travers elles. On peut vraiment soulager quelqu’un quasi immédiatement, car l’hypnose est une thérapie brève. Les gens déposent un énorme bagage, un poids constitué dans un contexte violent et vécu dans l’urgence.

Bien sûr, on aimerait réitérer l’expérience et même pouvoir l’ouvrir à d’autres environnements. Nous avons lancé notre association et nous travaillons sur une levée de fonds auprès d’institutions et d’entreprises afin de pouvoir repartir.



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