témoignages
«Ce n’est pas du courage, c’est de la résilience»
Ça a débuté en juin 2013. J’étais à Berlin avec mes parents et j’ai eu une perte de sensibilité sur mon genou gauche. Ça a passé. En août, j’ai démarré mon job de physio au CHUV. Trois mois après, j’ai commencé à être très fatiguée. Tout le temps. Et j’ai perdu la sensibilité de mon côté gauche. Alors, j’ai passé des examens. Le lendemain, la cheffe de neurologie est venue me voir avec trois assistants et un stagiaire. «On va discuter quelque part au calme. Voilà Mademoiselle, c’est une SEP.» Sclérose en plaques. Tout s’est effondré.
Quand je l’ai annoncé à mes parents, j’ai fait la courageuse. «Ça va aller.» Je voulais les protéger. La première année, j’ai porté ça seule, j’ai voulu me débrouiller. C’était une forme de déni. Je n’avais pas fait le deuil de ma vie d’avant. Pendant un temps, j’ai donné le change. Après deux ans, j’ai refait une poussée et j’ai perdu le contrôle de ma jambe droite et de mon tronc. J’ai dû arrêter de travailler pendant six mois et faire de la rééducation, réapprendre à marcher, avec des cannes, à garder mon équilibre. Puis la fatigue chronique s’est installée.
Perdre des amis… et s’en faire
Les handicaps invisibles, on ne leur donne pas forcément le crédit suffisant. Les gens te traitent de menteur. Tu rigoles, tu ne t’empêches pas de vivre, alors on te dit «c’est bon, c’est pas grave». Mais je n’ai pas envie de me mettre en colère, je préfère expliquer. J’ai perdu des amis, qui me disaient «bouge-toi les fesses». D’autres, parce que ça les mettait face à leurs propres peurs. Ça leur appartient. Je ne leur en veux plus.
Le handicap, ça dérange, ça met mal à l’aise. Par contre, les amis que je me suis faits depuis, c’est différent. Ils m’ont toujours connue comme ça, et savent avec quoi je vis. Je ne le crie pas non plus sur tous les toits, ce n’est pas «enchantée, je m’appelle Tanja et j’ai la SEP». Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je dis «je suis physio, mais là, je suis dans l’incapacité de travailler». L’étiquette de l’AI, c’est honteux. On a beaucoup parlé des gens qui flouent l’AI. Avec un handicap invisible, les gens se disent «elle fait semblant pour ne pas bosser». Alors que mon rêve, c’est de pouvoir retravailler. Et contrairement à ce que certains pensent, une rente AI, c’est pas énorme!
Le fœtus protecteur
J’ai envie d’avoir des enfants un jour, mais c’est une grossesse qui doit être programmée, suivie… Et pour l’instant, je n’ai pas beaucoup d’énergie. Et le fait de ne pas en avoir assez pour m’occuper d’un enfant, ça me fait peur. Mais comme pour tout, on fait en sorte que ça marche. Je ne m’inquiète pas pour la grossesse puisque, quand on est enceinte, on n’a plus besoin du traitement. Les hormones protègent de la SEP. Par contre, dès l’accouchement, les hormones chutent, et il faut tout de suite reprendre le traitement. Mais ça n’est pas le moment d’y songer. Une des médications que je prends actuellement est toxique pour le fœtus, de toute façon.
Sur une échelle de 0 à 10, certains jours, ma douleur se situe à 11… quand ça va bien, ça peut tomber à 0. C’est si rare que je me dis «tiens, j’ai pas mal, c’est fou!» Depuis deux ans, les douleurs sont de plus en plus importantes. J’ai mal dans la partie gauche de mon corps, visage compris. Et la fatigue. Elle ne ressemble pas à celle que les gens connaissent. C’est comme une chape de plomb, 300 kilos sur les membres. Comme je m’épuise vite, chaque jour, je dois faire des choix. Parfois, je fais trop de choses en une journée, et je le paie les jours suivants. Après sept ans de maladie, j’ai encore de la peine à me limiter.
Une personne en bonne santé a un nombre indéfini de cuillères. Elles représentent la quantité d’énergie journalière. Moi, par jour, j’ai droit à douze cuillères. Le matin, les gens se lèvent. Pour moi, ça me demande déjà une cuillère. Ensuite, la douche. Si je me lave les cheveux, c’est trois cuillères. Déjà quatre en moins, et la journée a à peine commencé. Il y a aussi les trajets. Dans un bus, le monde, ça fatigue. Et hop, une cuillère avant même d’être arrivée au travail. A la mi-journée, il ne m’en reste déjà plus que deux ou trois. Je peux puiser dans celles du lendemain, mais du coup, j’en aurai encore moins… Et là, on ne parle que de la fatigue. Il faut ajouter les douleurs, la médication… C’est lourd.
J’essaie de mieux le vivre, même si des fois, je pleure, j’ai envie de hurler, d’arracher ce qui me fait mal. Mais c’est plus facile à vivre aujourd’hui pour moi, pour mon copain aussi. Il sait quoi faire quand j’ai mal. Il se sentait démuni au début. Il sait aussi qu’à un moment, ça n’est plus de son ressort. On oublie parfois que c’est dur aussi pour l’entourage. Il a dû changer certaines de ses habitudes. J’ai de la chance, il est très présent pour moi au quotidien. Ma maladie est plus facile à vivre depuis qu’on est ensemble. Je ne lui serai jamais assez reconnaissante pour tout ce qu’il fait.
Plus heureuse
Je n’aime pas qu’on dise que je suis courageuse. C’est de l’instinct de survie, de la résilience. Avec du soutien, c’est gérable. Et ça m’a permis d’apprendre à écouter mon corps, de mieux me connaître, d’oser dire non. C’est une chance, en fait. Bon, si je pouvais supprimer la SEP, je le ferais. Mais je suis plus heureuse qu’avant ma maladie. Plus empathique. Je ne fais presque plus que des choses qui me font plaisir. Et oui, j’ai perdu des amis, mais j’en ai gagné d’autres, qui sont géniaux.
C’est un gros travail, la résilience. Je serai toute ma vie dans cette démarche. Ce sont des hauts et des bas. Comme tout le monde, en fait. La SEP, ça m’a rappelé où est l’essentiel, je vis intensément chaque journée. Il n’y a pas un jour où je ne ris pas. J’ai de la chance!
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