Body Positive
«Mon père m’a transmis sa force de caractère»
Depuis toute petite, j’ai aimé me customiser. Dès l’âge de 3-4 ans, je piquais dans les affaires de ma maman pour me déguiser et me promener affublée de ses vêtements et de son maquillage. Ça s’est encore accentué à l’adolescence, je mettais ses robes, ses chaussures. J’ai commencé la danse classique très jeune puis, à 8 ans, je me suis mise au flamenco, en hommage aux racines de mon père espagnol.
La mort de mon père, emporté par un cancer quand j’avais 9 ans, m’a marquée à vie. Je l’avais toujours vu malade et cependant animé par une force de caractère hors du commun. Mes parents étaient entrepreneurs, indépendants, ils devaient se battre pour tout. Ils m’ont transmis cette philosophie de vivre au jour le jour, de profiter de l’instant présent et de ne pas attendre quand on a envie de faire quelque chose. Ça m’a permis d’avancer sur un chemin pas toujours droit et de me relever après chaque coup dur. J’ai été abusée sexuellement par un ami de la famille durant plusieurs étés lorsque j’étais pré-adolescente. Je n’en avais parlé à personne, car je pensais que c’était de ma faute, que j’avais été aguicheuse. Loin de me victimiser, ça m’a rendu plus forte. Je me vois comme une battante, à l’image de mon père, greffé deux fois, qui venait travailler avec son goutte-à-goutte.
Mon adolescence a été particulière. J’ai commencé à bosser très jeune, les mercredis, samedis et les vacances, dans la boutique de la rue de Bourg, à Lausanne, dont ma mère était gérante. Fille unique, j’étais et suis toujours très proche d’elle, c’est une femme extraordinaire, très rock’n’roll. J’ai quitté l’école à 15 ans et j’ai travaillé durant un an au magasin. D’abord comme aide, au stock, à l’étiquetage, puis comme vendeuse, au rayon lingerie. Oui, à 15 ans! Je faisais plus que mon âge, j’aimais le contact avec les clientes et j’ai appris les ficelles du métier sur le tas.
Voyager dans les îles
Mon rêve, c’était d’être agent de voyages, guide touristique, visiter les îles. Sauf qu’il me manquait les langues. J’ai fait un premier séjour linguistique en Espagne. Au retour, ma mère m’avait trouvé une place chez Air France, en Guadeloupe, mais je devais savoir l’anglais. Je suis alors partie 9 mois à Londres où j’ai rencontré un garçon. J’y suis restée un peu plus longtemps que prévu, vivant de petits boulots et ne suis jamais allée à Pointe-à-Pitre. De retour à Lausanne, j’ai passé un brevet d’agent de voyages, avant de me rendre compte que ça n’était pas ce que je voulais faire!
J’avais aussi une passion pour l’esthétique, mais l’école coûtait trop cher. Ma mère avait repris une boutique et j’ai pu faire valider par un CFC mes compétences en vente. Ça m’a permis d’économiser assez d’argent pour suivre des cours d’esthéticienne en emploi. J’ai passé les spécialisations en maquillage, en onglerie et, à 23 ans, j’ai pu m’installer en indépendante. Le stylisme ongulaire était alors en plein boom et je ne pouvais pas envisager d’être salariée, ce n’est pas dans mon caractère.
En 2008, j’ai ouvert mon propre institut, La Rose des Sables, clin d’œil à mon amour pour l’Orient. J’étais alors mariée avec un Marocain. Après notre divorce, j’ai eu besoin de marquer le changement. En 2014, j’ai complètement revu la déco de mon institut. En 10 jours, je l’ai transformé en boudoir de pin-up et rebaptisé Le Lys Noir.
C’est à cette période que je suis tombée dans le burlesque. J’ai eu une révélation en voyant un reportage à la télé qui suivait une performeuse belge, Miss Anne Thropy. C’était tout ce que j’aimais: le vintage, le glamour, les costumes, la valorisation d’un corps avec des formes. J’ai cherché où m’initier à cet art de l’effeuillage rétro à Lausanne et j’ai commencé à suivre les cours de Lilly Bulle.
J’ai mis du temps à oser me lancer dans un spectacle mais, en 2015, j’ai créé mon personnage, Ava Dentelle, en hommage à Ava Gardner, et j’ai participé à mon premier show en 2016. Ma performance fut très moyenne, mais elle m’a libérée. Enfin, je pouvais être moi-même, ne plus me laisser rabaisser à cause de mon physique ou de mes erreurs. Je me suis rendu compte que j’adorais la scène. J’ai multiplié les occasions d’en faire, des revues au cabaret Le Lido aux défilés pour la boutique Maniak. J’ai aussi intégré l’organisation du Geneva Burlesque Festival.
Acceptation de soi
L’an dernier, je me suis lancée dans la production de ma première revue burlesque, à Lausanne. Je ne savais pas du tout comment monter un événement d’une telle ampleur, mais j’ai eu l’opportunité d’avoir une salle, j’avais mon réseau et ma nature hyperactive! Le premier Black Silk Burlesque Show a eu lieu en novembre dernier. Je l’ai voulu un peu différent de ce qui se fait habituellement, ouvert à tous les physiques. En Suisse, on voit encore peu d’artistes avec de vraies rondeurs, contrairement à d’autres pays, l’idée qu’il faut avoir un corps parfait pour se déshabiller est très ancrée. Ce n’est d’ailleurs pas facile de se mouvoir avec grâce et élégance sur scène quand on fait 100 kilos. Grâce à Instagram, les choses changent, les filles montrent leurs bourrelets et leur cellulite pour prouver qu’on peut être belle de mille façons.
On en revient à ce que la perte de mon père m’a appris. Oui, je suis ronde et j’ai le droit de me montrer, parce que c’est mon choix. Je suis habillée en pin-up presque tout le temps. J’aime porter des robes, des talons, me maquiller pour me mettre en valeur. Aujourd’hui, je suis performeuse internationale et je vais organiser d’autres événements à Lausanne. Pour l’instant, les spectacles sont en stand-by pour cause de coronavirus, mais j’ai déjà plusieurs projets pour l’hiver prochain, si tout va bien, et notamment un rendez-vous mensuel au Tacos Bar, au Flon.
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