Femina Logo

Interview

Sentiment d'imposture: Comment l'identifier pour s'en libérer?

Interview comment se liberer du sentiment dimposture virginie meggle

La psychanalyste Virginie Megglé éclaire les raisons qui poussent certaines personnes à s'effacer, leur dérobant la capacité de s'affirmer, et les aide à mieux comprendre ce mécanisme douloureux qui les empêche d'être elles-mêmes.

© GETTY IMAGES/JORDAN SIEMENS

Avoir l'impression de ne pas être à sa place, se sentir illégitime d'être où nous sommes ou trembler à l'idée de tromper les autres en se prenant pour quelqu'un qu'on n'est pas... Voilà des sentiments désagréables que connaissent de nombreuses femmes, ainsi que le souligne la psychanalyste Virginie Megglé dans son ouvrage Se libérer du sentiment d'imposture, publié en avril 2023 aux éditions Eyrolles. Au fil des pages, l'autrice éclaire les raisons qui poussent certaines personnes à s'effacer, leur dérobant la capacité de s'affirmer, et les aide à mieux comprendre ce mécanisme douloureux qui les empêche d'être elles-mêmes. Quelques semaines après la sortie du livre, Virginie Megglé nous a accordé un entretien par téléphone. Elle nous explique notamment pourquoi ce phénomène touche avant tout les personnes très sensibles et les femmes, au point de les faire douter de leurs propres capacités, de leur mérite et même de la validité de leurs émotions.

FEMINA Dans votre premier chapitre, vous soulignez que le sentiment d’imposture est «indéfinissable». Comment le reconnaître, malgré tout?
Virginie Megglé Il se traduit par une sensation de malaise, de mal-être indéfinissable qui semble injustifié. Par une difficulté à s’exprimer ou à prendre position. Ce phénomène a des répercussions également physiques, dans la mesure où il peut nous mener à nous sentir mal dans notre peau, inconfortable parmi les autres, comme si on perdait notre substance lorsqu’on se trouve en compagnie ou dans un groupe de personnes. Puisqu’il ne s’agit pas d’un symptôme à proprement parler, il n’existe pas vraiment de mot pour décrire ce malaise, mais les personnes qui le ressentent savent de quoi je parle. En outre, il s’accompagne typiquement d’une sensation que les autres sont plus douées ou ont plus de légitimité que nous. On en vient ainsi à accorder davantage de valeur aux autres, car ce malaise nous dévalorise, nous mène à nous sentir diminué-e et se traduit souvent par un manque de confiance et d’assurance.

D’ailleurs, la société actuelle nous pousse à dissimuler ces sentiments, alors que beaucoup de personnes les ressentent. En taisant notre propre ressenti, nous nous interdisons d’une certaine manière ainsi qu’aux autres de l’exprimer et, ainsi, le phénomène devient presque tabou.

Comment cela influe-t-il notre comportement, nos choix, nos vies?
Les personnes qui vivent le sentiment d’imposture n’ont pas l’intention de tromper leur entourage. Or, elles craignent tellement de le faire, d’être réellement dans l’imposture, qu’elles finissent par avoir l’impression et même la certitude d’y être! D’où les sensations de malaise, puisqu’on se sent véritablement en faute, en manque, en position d’infériorité. On vit dans le doute, dans l’hésitation, sans oser s’affirmer, et dans la crainte constante de se tromper ou de tromper autrui. De cette manière, on finit par s’effacer soi-même ou par nourrir des sentiments négatifs. J’ai également remarqué que, souvent, lorsqu’une personne touchée par le sentiment d’imposture a l’impression de tromper autrui, c’est parce qu’elle est elle-même trompée par autrui. Ainsi, le sentiment d’être en faute nait souvent d’une situation où l’on a soi-même été trompé-e. Et plutôt que de remettre en cause l’autre, faute d’oser le faire on reporte la faute sur soi.

Voilà des sentiments et des phénomènes dont on ne parle pas souvent, effectivement. Ce silence est-il délétère pour les personnes concernées par le sentiment d’imposture?
Complètement. Une chose n’existe entre êtres humains que lorsqu’elle est dite ou affirmée. Il suffit que des propos soient émis à voix haute, pour qu’ils existent. Peu importe si ce sont des mensonges ou des choses erronées, il suffit qu’ils soient affirmées comme vraies pour qu’ils deviennent réalité: Prenons l’exemple d’une femme subissant des abus. Tant que son vécu n’est pas reconnu et cru par son entourage, la victime peut finir par douter ce vécu. Elle peut avoir l’impression de mentir ou d’être folle. Comment dire, comment faire entendre, ce qui ne peut ou ne veut pas être entendu? Tout ce qui est renvoyé au silence finit par ne plus exister. Si elle ne parvient pas à s’exprimer, à faire reconnaitre ce qu’elle a vécu, on privilégiera les propos d’une personne affirmant qu’elle n’a jamais été abusée.

Donc c’est quand on néglige nos ressentis, nos besoins, quand on n’affirme nos pensées – et qu’ils ne sont pas accueillis qu’on a l’impression d’être dans l’imposture?
Le silence est intrinsèquement lié au sentiment d’imposture. En effet, pour arriver à s’affirmer, on doit apprendre à exprimer ce qu’on a au fond de soi. Si l’on garde tout à l’intérieur, on finit par douter de nous-mêmes, car nous avons besoin de l’écoute d’autrui pour s’affirmer. En effet, si quelqu’un nous rétorque «Non, ce n’est pas vrai», alors que ce que l’on éprouve est bien réel, on est renvoyé-e à notre solitude et à notre malaise. Ce phénomène peut commencer très tôt. Imaginons un enfant se plaignant d’avoir froid et à qui un adulte répond, mécaniquement, «Ah! Mais, non, pas du tout, il fait chaud, ici». La parole et le ressenti de l’enfant sont délégitimisés, si bien qu’il ne sait plus s’il a le droit d’avoir froid ou non. Ni ce que veut dire «avoir froid». Il va se mettre à douter de lui. Ce sentiment d’imposture se retrouve souvent chez les personnes qui ont été interdites de parole, puisque la parole véhicule et matérialise nos ressentis, en leur donnant valeur de réalité.

Dans votre livre, vous écrivez que les femmes sont plus souvent concernées. Pourquoi?
Nos sociétés ont été pensées, au départ, exclusivement par des hommes. L’université, par exemple, a été façonnée pour des hommes par des hommes. De même, les femmes ont longtemps été coupées du monde politique et, comme elles n’y avaient pas accès, elles n’existaient pas dans ces lieux. Nous portons ainsi cette mémoire sociétale d’avoir été reniées, de ne pas avoir eu le droit à la parole. Adopter le langage masculin dominant ne suffit pas à se sentir exister, on a envie d’être reconnues dans notre intelligence – avec des termes en adéquation avec ce que nous éprouvons et ce que nous aimerions partager.

Quand j’étais petite, je me souviens qu’on m’expliquait que les filles n’avaient pas de sexe. Cela m’a frappée.

Nous étions définies par la négative, on ne s’intéressait qu’à la profession de notre père et il allait de soi qu’une femme à la maison ne travaille pas. C’était un discours de négation. Une société qui ne possède qu’un type de langage est forcément une société bancale. Et tant qu’on ne s’exprime pas dans le langage normé ou officiel, on peut faire l’objet de moqueries ou de reproches, voire de mépris.

Que peuvent faire les femmes face à cela, aujourd’hui?
Ne pas se laisser décourager dans ce qu’elles veulent exprimer, jusqu’au point où on arrivera à le faire. La pensée féminine n’a pas encore sa place dans le langage officiel actuel, qui est basé sur la volonté de dominer. Cependant, si une femme ose s’exprimer, cela peut permettre à d’autres de le faire aussi. Quand une personne ne veut pas nous accorder sa reconnaissance, d’une certaine manière elle en jouit. Cela lui donne du pouvoir sur nous. C’est le fonctionnement humain. Mais si on arrive à trouver un mode d’expression, en tant que femme, pour s’affirmer en accord avec soi-même, on en vient à se légitimiser, à moins dépendre de la validation d’autrui et à se libérer progressivement du sentiment d’imposture.

Dans votre ouvrage, vous parlez également d’un lien entre sentiment d’imposture et sensibilité. D’où vient-il?
La grande sensibilité fait qu’on perçoit des phénomènes que les autres ne perçoivent pas. Un enfant ou un adulte qui ressent des choses que d’autres ne ressentent pas dérange. On lui affirmera que ce n’est pas la vérité, qu’il ou elle phantasme ou exagère. Car pour que son ressenti soit une vérité (socialement parlant), il faut qu’il soit perçu par par la majorité, et inclus dans la normalité. Ne pas pouvoir partager ses perceptions avec la majorité produit un trouble et un sentiment d’exclusion qui peut susciter un sentiment d’imposture Lorsque la réalité de nos sensations, de notre éprouvé, est niée, minimisée, ridiculisée, nous sommes amené-e-s à douter de notre vécu, de nos émotions. À nous sentir devenir... inexistant-e. Or, la société a tout à gagner à inclure une pensée différente et chacun-e peut trouver un moyen d’expression pour se sentir légitime. Beaucoup de personnes très sensibles y parviennent grâce à une activité artistique, par exemple. Cela leur permet d’exprimer leur sensibilité et en même temps de sublimer leurs difficultés à se positionner! Puis d’être reconnus grâce à leurs créations.

Hormis l’hypersensibilité, d’où peut venir ce sentiment d’imposture?
Il inclut également une forme d’interdiction. On s’interdit soi-même de trop briller pour ne pas éclipser les autres: car qui sommes-nous pour avoir le culot de rayonner autant? Cela peut venir de l’enfance, une période durant laquelle on est en position de faiblesse, on doit suivre des règles et on essaie de bien faire. Durant l’écriture de cet ouvrage, j’ai beaucoup revisité le conte «Le vilain petit canard» et cette histoire a nourri ma réflexion autour de la peur d’écraser les autres. On s’efface pour ne pas blesser les autres et parce qu’on en a peur. Et quand on se sent refusé, on tente de se conformer à l’image que les autres attendent de nous. Mais, d’un point de vue éthique, disons qu’on a presque le devoir de s’épanouir, de sortir de la victimisation et de déployer ses ailes. Et de s’accepter tel que nous sommes, sans plus se déformer pour essayer de se faire accepter.

C’est une chose d’avoir peur de blesser autrui, mais il est essentiel de ne pas se laisser blesser non plus.

Justement, le fait d’avoir peur de blesser ou de tromper les autres ne suffit-il pas à prouver qu’une personne n’est pas dans l’imposture ?
Les imposteurs n’ont pas le sentiment d’imposture et n’hésitent pas à se décharger sur l’autre. Ils et elles ne ressentent pas cette peur, ce doute, cette crainte de tromper autrui. Ils sont indifférents aux souffrances qu’ils peuvent ou pourraient occasionner. Pour les personnes qui souffrent du sentiment d’imposture, le fait de se sentir coupable à tort peut constituer un précieux indicateur et désigner, dans certains cas, qu’une personne nous a fait du tort. Il est important de comprendre ce que ce sentiment signifie pour nous, ce qu’il cherche à nous faire entendre. Et lorsqu’on se sent destabilisé-e, il convient de prendre le temps de retrouver confiance. Ce n’est pas parce que l’autre ne nous a pas accordé sa confiance que nous ne sommes pas dignes de nous faire confiance à nous-même.

Vous écrivez qu’à force de s’effacer et de culpabiliser, on finit par ne plus savoir qui l’on est. Comment peut-on réapprendre à devenir soi?
On ne se rend pas compte à quel point notre discours intérieur est dur. On se gronde soi-même, alors qu’il faudrait s’encourager, se dire bravo. Il est essentiel d’instaurer en soi-même un langage positif. Nous avons été si sensibles à tous les interdits, les injonctions, les réprimandes ou les frustrations qu’ils sont désormais ancrés en nous! Il faudrait donc pouvoir instaurer un contre-pouvoir en soi par un langage d’encouragement. L’idée est de cultiver notre jardin intérieur en y mettant de l’engrais, afin de laisser croître la petite fleur plutôt que de l’arracher ou de la maltraiter. Et il n’est jamais trop tard pour le faire! Il y a peu, dans mon cabinet, une patiente de 60 ans m’a déclaré qu’elle se découvrait pour la première fois!

On se construit au contact de l’autre, dans une société qui nous demande de nous masquer pour nous protéger, au point d’empêcher quelque chose d’essentiel en nous de s’exprimer, par politesse ou par convention. Quand ce sentiment devient trop fort, quand on comprend qu’on s’est trop blessé soi-même en s’effaçant, c’est l’occasion de découvrir qui l’on est vraiment.

Le sentiment d’imposture peut-il disparaître complètement?
Pas vraiment, mais on peut se libérer d’une grande part de gêne, même s’il reste toujours une petite part de doute. Au bout d’un moment, on parvient à comprendre ce qui a généré ce sentiment et il ne provoquera plus le même effondrement. Tout d’un coup, on se rend compte qu’on n’a plus besoin de faire semblant d’être à l’aise alors qu’on ne l’est pas. C’est une façon de s’autoriser à croire en soi et par contrecoup progressivement on se sent de plus en plus à l’aise.

Vous écrivez que le sentiment d’imposture n’a pas que des défauts. Quels sont ses côtés positifs?
Il amène une certaine délicatesse, la capacité à douter de sa propre conception du monde, ainsi qu’une certaine malléabilité, une capacité à s’interroger sur l’autre et une forme de curiosité. Le doute de soi peut devenir une ouverture, une possibilité de se remettre en question pour grandir, évoluer et avancer, au contact de l’inconnu. Il est redoutable de vivre enfermé-e dans des certitudes mensongères… La souplesse est tellement meilleure pour l’épanouissement et la croissance.

Ellen vous suggère de lire aussi:

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné