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Interview

Comment la violence dans la pop culture influence le couple

Comment la pop culture influence t elle nos relations amoureuses PAULINE DARLEY

Désirer la violence, Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer (Éd. Les Insolentes) est le dernier essai de Chloé Thibaud.

© PAULINE DARLEY

Enfant, qui ne s’est jamais émerveillée à la fin d’un dessin animé de Walt Disney lorsque le prince charmant venait embrasser la belle endormie? Ou qui n’a jamais dansé en imitant John Travolta sur Stayin’ Alive des Bee Gees? Ou encore, qui n’a pas gardé un souvenir enjoué des aventures de la bande de potes dans L’Auberge Espagnole? Des scènes a priori anodines, mais qui prennent une tout autre dimension dans un contexte où la parole autour des violences faites aux femmes se libère. Dans Désirer la violence, Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer (Éd. Les Insolentes), Chloé Thibaud analyse avec une multitude d’exemples comment les films et les séries influencent nos comportements et nos relations amoureuses de manière insidieuse et toxique. Car ce n’est pas tout à fait par hasard qu’on craque systématiquement pour le bad boy.

FEMINA Quel a été votre objectif en écrivant cet essai?
Chloé Thibaud Le principal objectif est de dénoncer ce que j'appelle la culture du viol dans la pop culture. Bien que les militantes et militants féministes aient déjà accompli un travail considérable et que l'expression soit désormais entrée dans le langage courant, il reste un aspect culturel qui n'est pas encore suffisamment abordé. Il est très important de comprendre que ce livre ne défend en aucun cas la qualité culturelle et ne propose pas de renier ou de rejeter toutes les œuvres que je cite. Il s'agit véritablement d'un travail visant à aider à détecter les violences sexistes et sexuelles à l'écran.

Quelles idées principales souhaitez-vous que l’on retienne?
J'ai construit mon sommaire selon le Violentomètre, un outil de mesure des violences conjugales, afin de m'assurer de ne rien exclure. Mais il est important pour moi de ne banaliser aucun acte ou comportement violent. J'espère que mes lectrices et lecteurs auront une prise de conscience. Par exemple, j'ai toujours aimé Grease, mais je n'avais jamais réalisé qu'il y avait une agression sexuelle, ou je n'avais jamais vu ce film de cette manière. Ensuite, j'espère que ce livre suscitera de la colère, car j'en ai ressenti tout au long de l'écriture. Je pense que nous avons le droit de ressentir cette colère car nous réalisons rapidement que des graines toxiques nous ont été semées dans le cerveau.

Comment votre propre expérience a-t-elle influencé votre approche du sujet?
J'ai été victime de violences au sein du couple, et de manière générale, j'ai multiplié les mauvais choix d’hommes, ce qui a certainement été le déclencheur. Évidemment, je ne suis pas uniquement victime; j'ai aussi une part de responsabilité dans le choix de mes partenaires, consciemment ou inconsciemment. Cependant, une fois que j'ai exploré mes névroses personnelles et familiales, il restait un grand champ en lien avec l'éducation que j'ai reçue à l'école, au sein de ma famille et à travers les médias. La culture joue un rôle tellement important dans ma vie que je voulais creuser cet aspect et l'explorer. J'ai réalisé que systématiquement, dans les films et les séries, le personnage masculin qui m'attire est le méchant ou le bad boy. En discutant autour de moi, j'ai réalisé que je n'étais pas la seule.

Par exemple, qui n'a jamais fantasmé sur Chuck Bass dans Gossip Girl?

En réalité, ce n'est pas parce que nous sommes une grande bande de masochistes, mais parce que les scénaristes et les casteur-euse-s s'efforcent de nous présenter comme modèles des héros masculins négatifs, des anti-héros, mais qui sont présentés de manière très séduisante et qui nous donnent envie de craquer pour eux.

C'est une stratégie qui, finalement, lorsque nous en prenons conscience, se révèle assez grave.

Pourquoi pensez-vous qu'il y ait une telle stratégie de la part des productrices et producteurs?
Il existe plusieurs hypothèses. Pour moi, celle qui est la moins agréable, mais très réaliste, est que si autant de réalisateurs masculins nous montrent des histoires d'amour où les femmes ne rêvent que d'hommes violents ou subissent des agressions sexuelles, c'est pour excuser leur propre comportement dans la vraie vie. C’est l'argument principal que j'avance, bien qu'il ne me plaise pas.

Il suffit de regarder les commentaires sur les réseaux sociaux depuis le début de la promotion de mon livre pour se rendre compte à quel point les hommes, et quelques femmes, n'ont pas du tout envie d'entendre cela, car cela touche un point douloureux.

Que répondez-vous à celles et ceux qui disent qu’on ne va pas devenir une tueuse ou un tueur en série à cause d’un film?
Évidemment, ma pensée n'est pas aussi simpliste. Dès les années 60, des chercheurs et chercheuses se sont déjà interrogé-e-s sur les effets de la télévision sur les foules. En fait, le problème réside dans l'immensité d'exemples problématiques et leur multiplication. Par exemple, dans La fièvre du samedi soir, ce que l'on retient, c'est que c'est un film cool, avec une superbe bande originale des Bee Gees. Ce que l'on oublie, c'est qu'il y a plusieurs scènes d'agressions sexuelles et un viol collectif. Cela signifie qu'à force de voir des héros agresser et violer sans être punis, nous nous retrouvons en France avec seulement 0,6 % des viols condamnés. D'ailleurs, des études ont montré que la mauvaise représentation des agressions et des viols à l'écran rendait les juré-e-s et tout l'appareil judiciaire plus tolérant-e-s face à ces histoires-là. Cela relève de l'inconscient collectif, et c’est vraiment insidieux.

Comment faire la distinction entre l'œuvre et l’homme?
Beaucoup de mes détractrices et détracteurs disent qu'il faut séparer l'homme de l'œuvre. Mais ce que j'explique, c'est que nous ne séparons pas les femmes des actrices; ce sont les femmes qui sont maltraitées et violentées lors de tournages de films. Les exemples sont nombreux chez Hitchcock, Bertolucci ou Tarantino. Ils expliquent qu'ils veulent voir la vraie souffrance des femmes à l'écran, pas celle de leur actrice, mais celle de la femme derrière l'actrice. Il est donc bien trop injuste d'avoir, d'un côté, des hommes qui ne séparent pas les femmes des actrices, et de l'autre, tout un système qui nous dit de séparer l'homme de l'acteur.

Prenez le cas de Gérard Depardieu dans un film comme Les Valseuses, où il y a plusieurs agressions sexuelles et où le personnage principal fait l'apologie du viol; il est très difficile de faire la distinction entre son personnage et la réalité, maintenant que nous savons tout ce que nous savons.

Aujourd'hui, ce sont des scènes que nous ne pouvons pas regarder sans dégoût. En fait, tout le discours réel de Depardieu se retrouve dans ses films, notamment dans Les Valseuses. La dernière réplique culte du film, «on bandera quand on aura envie de bander», en dit long. Pour moi, ce que j'entends vraiment, c'est «on violera quand on aura envie de violer».

Qu’en est-il des œuvres du passé?
Un des arguments que j'entends le plus, c'est qu’il ne faut pas regarder les œuvres du passé avec ses lunettes d'aujourd'hui. Mais il y a beaucoup d'œuvres contemporaines qui continuent d'être très problématiques, par exemple Twilight, 50 Nuances de Grey ou encore 365 jours sur Netflix. Ce ne sont pas des œuvres du passé dans un contexte du passé, ce sont des œuvres qui se transmettent et qui passent à la télévision ou au cinéma.

Y a-t-il du progrès dans la création aujourd'hui?
Je trouve que nous sommes dans une époque réjouissante, dans le sens où il y a une prise de conscience et une évolution, grâce notamment au mouvement #metoocinema. Les violences à l'écran sont des violences au même titre que celles hors écran. Il est clair qu'il nous faudra du temps pour créer de nouvelles œuvres proposant de meilleurs schémas narratifs et amoureux. Dans les séries pour ados, d'énormes progrès ont été réalisés sur les questions de consentement et d'inclusivité, avec des couples gays, lesbiens et transgenres.

Comment faire évoluer les choses?
Je pense qu'on a beaucoup parlé de déconstruction. Aujourd'hui, l'heure est à la rééducation. La progression passe surtout par la contextualisation des films. Par exemple, cela ne coûte pas grand-chose d'ajouter un carton au début du film lorsque vous le louez sur des plateformes de streaming, expliquant que le film contient des scènes de violences sexuelles. Ou lorsqu’on organise des rétrospectives au cinéma ou dans les festivals, il est important d'accorder du temps de parole à médiatrice ou un médiateur qui nous explique comment le regard sur l'œuvre a changé.

Lio a écrit votre préface, en quoi incarne-t-elle vos propos?
J'ai interviewé Lio lors de l'écriture de mon livre, Toutes pour la musique (Éd. Hugo Image). Très honnêtement, cela a été l'entretien le plus bouleversant de tous. Nous avons discuté des violences que nous avons vécues, ainsi que celles que nous voyons quotidiennement chez des femmes de notre entourage. Je lui ai demandé, car je ne comprenais pas, comment pouvait-elle dénoncer des violences et décrire une relation pédocriminelle dans sa chanson Banana Split? Je trouve qu'elle est infiniment intelligente parce qu’elle se rend compte d’avoir été complice à l’époque d'un système patriarcal. Elle a pris la parole dans les médias pour réagir à l’affaire Gérard Depardieu. Ce n’est pas la première fois; il y a 20 ans, elle s'était exprimée au sujet de son amie Marie Trintignant, tuée par Bertrand Cantat. C'était très courageux de sa part. Quand est venu le moment de réfléchir à une préface, je lui ai proposé et elle a immédiatement accepté en me disant que ce sujet était très important pour elle.

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