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Manuella Maury aime se perdre, prendre des chemins de traverses pour mieux glaner des rencontres improbables. Elle aime s’éclipser pour mieux revenir. Elle préfère les courbes aux lignes droites, les détours aux certitudes. Pendant des années, dans son émission «Le passager», la journaliste a proposé à ses invités de partager un bout de trajet, en train. Une manière de prendre le temps d’admirer le paysage, de discuter, de se raconter. Pour «Passe-moi les jumelles» elle poursuit sa quête de l’autre dans des reportages empreints de poésie, de tendresse pour ceux qu’elle choisit de présenter. Elle dit: «Etre sage pour n’emporter que ce qu’ils ont envie de donner.»

Alors, quand elle s’arrête pour raconter un petit bout de vie, on l’écoute. En silence. Comme elle, enfant, quand sa sœur Cathy lui lisait «Le Boxeur manchot» de Tennessee Williams ou d’autres grands noms de la littérature. La jeune femme trouve les mots justes. Elle capte l’attention. Elle nous amène avec elle en voyage à la découverte des gens qui l’ont guidée, inspirée. On entre dans les livres de Nancy Huston ou Marguerite Yourcenar. On part au Mexique, sur les traces de Frida Kahlo, en Andalousie, où elle va chercher la lumière. On revient avec elle, à Mase, en Valais, là où, émue, elle parle de son père qu’elle a perdu il y a peu. On monte dans le dernier wagon. Pour aller où? Direction les souvenirs.

«Ma vie a pris un autre tournant quand, toute gamine, mon père a décidé de reprendre le bistrot de ma grand-mère. Toute la famille déménage alors au-dessus du troquet. Je n’ai pas 4 ans et je commence à vivre avec les clients. Le restaurant c’est là où j’ai fait mes devoirs, appris à lire, à compter. A partir de là, ce sont les rencontres, les hôtes qui viennent de partout, de cet ailleurs que je ne connais pas.»

Méandres de Nancy Houston

L’appartement se situe au deuxième étage, à l’écart du bruit de la salle à manger. «Je me souviens d’un soir d’orage. J’étais descendue en pyjama. Il y avait encore des clients. Mon père m’avait alors soulevée et posée sur le bar tout en continuant à discuter. J’avais senti cette force, cette confiance, cet ancrage dans le sol. Aujourd’hui, ce qui me fait le plus souffrir, c’est de ne plus sentir ce côté presque tellurique de mon père.»

Le soir, une de ses sœurs, celle qui partage sa chambre, aime lui lire des histoires. «Cathy avait une passion pour la littérature. Elle m’a fait découvrir Prévert, Boris Vian. Elle lisait à haute voix pour donner, peut-être, de la réalité aux personnages. Moi je l’écoutais. Je ne comprenais pas tout, mais j’avais la sensation d’accéder à quelque chose de plus grand.»

Grace aux mots, Manuella Maury se crée un monde intérieur tout en couleur. De ses trois sœurs, elle dit qu’elles sont trois confidentes, trois îles sur lesquelles se reposer. «Après sa matu, Cathy est partie une année à San Francisco et ensuite au Japon. Elle m’écrivait souvent. Elle racontait tout ce qu’elle voyait. A partir de là je voulais voir ce qu’il y avait derrière les montagnes. Entre la littérature qui me donnait accès à ces paysages fantasmés et les clients du bistrot qui me racontaient les leurs, le goût du voyage s’est installé.»


©Guillaume Mégevand

Alors elle part dans les déserts de Le Clézio, elle découvre la chaleur moite et fiévreuse de Ceylan avec Nicolas Bouvier, se balade en Italie dans les jardins d’Hadrien avec Marguerite Yourcenar. Elle s’arrête dans les méandres de Nancy Huston. «'L’Empreinte de l’Ange', m’a bouleversée. J’ai trouvé tellement chirurgical cette capacité d’observer l’autre. Les gens qui me fascinent le plus sont ceux qui sont intelligents et qui gardent cette humanité, cette humilité face à la condition humaine. C’est la raison pour laquelle je suis tombée amoureuse de Frida Kahlo.»

Caresse et réconfort

Elle penche la tête et on peut apercevoir deux jolies boucles d’oreilles aux couleurs vives de l’artiste peintre mexicaine. «Je suis tombée sur le livre de Le Clézio 'Diego et Frida'. Et j’ai commencé à me passionner pour cette femme qui possédait ce côté baroque, cette folie, cette exagération, cette exubérance. Et en même temps, une forme de dépendance affective. J’ai pris un billet d’avion et je suis partie visiter sa maison, à Mexico City.»

Là, elle entre dans le monde de celle qui laisse libre cours à l’imagination. Elle est fascinée par cette artiste qui parvient à créer un bouton de manchette avec un coquillage. Avoue qu’il lui arrive de voir une roue de char à la place du cendrier. «J’ai aussi trouvé au Mexique mes racines catholiques. Cette joie de la foi.»

Elle aime Rumy, un poète mystique persan, elle lit sainte Thérèse de Lisieux. «Ce sont des êtres excessifs, exaltés, assoiffés d’amour, et en même temps heureux, conscients de cette beauté qui les entoure. Ce sont souvent des femmes qui ont fait un bout de chemin avec moi. En général, je trouve à travers tous ceux qui parviennent à s’élever, une caresse, un réconfort.»


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Ce qui la dope Définitivement, le voyage au sens large. Car je n’ai aucun sens de l’orientation, je me perds et c’est génial. C’est la seule manière de faire des rencontres improbables.

Son don inattendu Je dirai la préparation du pesto rouge aux amandes fumées, à savourer avec des amis. J’aime les mets et les mots.

Sur sa shamelist J’adore Cabrel, mais je n’en ai pas honte. Certains trouveront cela honteux pour moi. Quand j’aime, j’aime. Après il faut assumer…

Son dernier fou rire C’était sur le lit d’hôpital de papa le soir de sa mort. Il y avait tellement de chagrin, de souffrance et soudain il y a eu ce fou rire d’enfance. Son dernier cadeau.

Son buzz J’ai trouvé fantastique l’AJAR, ce collectif de dix-huit auteurs suisses romands qui ont sorti «Vivre près des tilleuls». Pouvoir composer, inventer un personnage, une bibliographie, un livre, à plusieurs, c’est démonter de ce que l’on pense de l’être unique. C’est un bel exercice d’humilité.

Sa news Femme Olivia Seigne. Elle est magnifique. Elle est actrice, metteur en scène. Elle a mis en scène «Orphéo», elle jouera Miss Poppins au Petit-Théâtre de Lausanne, du 7 au 31 décembre 2016. C’est quelqu’un que j’admire beaucoup car elle défend des pièces, des textes, des rôles au cœur de la Cité.


©Le Nouvelliste/Bittel Sacha

Son actu «Du lointain vu d’ici», hommages aux bateaux de la CGN, textes de M. Maury, photos de Marie-Anne et Thierry Camail (Ed. Favre). «Michel Bühler et les gardiens du passé» dans «Passe-moi les jumelles» (à revoir sur RTS Play). Et des nouvelles à paraître fin 2016 (extraits sur Jean-René Germanier).

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