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Les villes au vert

Rencontre avec Patrick Blanc, créateur des murs végétalisés

Rencontre avec Patrick Blanc, créateur des murs végétalisés

Le mur végétal du musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris a été créé par Patrick Blanc en 2004.

© PATRICK BLANC

Biologiste et botaniste de formation, Patrick Blanc invente le mur végétalisé en 1986. Sa toute première création se matérialise à Paris, à la Cité des sciences de La Villette, puis c’est dans le monde entier qu’il essaime ses beautés verticales, de Gênes à New Delhi en passant par Madrid, Berlin ou San Francisco. Il revient sur sa passion, née alors qu’il n’était que gamin.

FEMINA Le mur végétal semble avoir toujours existé, pourtant vous en avez eu l’idée le premier, comment?
Patrick Blanc J’avais 13 ou 14 ans, et j’étais passionné d’aquariophilie. J’adorais les poissons, les oiseaux et les plantes provenant des tropiques. Je choisissais de tout petits poissons, pour qu’ils puissent se reproduire facilement. L’équilibre de l’aquarium passait par les plantes, que je disposais et qui absorbaient les nitrates des déchets accumulés.

Cette pratique est courante aujourd’hui, avec l’essor des piscines naturelles, mais à cette époque, dans les années 60, on ne parlait pas d’épuration de l’eau par les plantes. J’ai donc fait l’expérience avec un bout de philodendron emprunté à ma mère, et effectivement, les racines se sont multipliées très vite! Ce fameux philodendron était donc accroché au mur avec des punaises et poussait sans terre, seulement nourri par l’eau et les sels minéraux!

Fort de cette première expérience réussie, j’ai voulu améliorer le processus d’élimination… Voilà comment, par tâtonnements et essais successifs, est né le premier mur végétal!

Mais c’est vers l’âge de 19 ans que le véritable déclic a eu lieu. J’étais à la Fac de Jussieu, installée dans l’ancienne Halle au vin, ceinte de grands fossés. J’ai remarqué une vieille serpillière abandonnée sur le béton. Elle était le seul objet recouvert de mousse. Elle était devenue un élément vivant grâce à ses propriétés d’absorption et de diffusion de l’eau et sa capacité à stocker les saletés. C’était mon support idéal! La serpillière était beaucoup plus fine, 3 millimètres au lieu de 3 centimètres pour les autres substrats. Elle ne se déformait pas et détrônait haut la main tous les autres supports précédents comme la tourbe, la laine de coco ou de verre, qui finissaient par se tasser et tomber car trop lourds!

Son seul problème vient de sa matière dégradable, le coton, qui, à la longue, se décompose. Après deux ou trois mois, l’odeur devient insupportable. J’ai donc substitué le coton par des fibres synthétiques, issues de vêtements recyclés. Cela peut paraître paradoxal, surtout pour l’étudiant en sciences que j’étais mais, bien utilisés, ces supports issus du pétrole peuvent accueillir la vie et devenir un milieu biologique.

Rencontre avec Patrick Blanc, le créateur des murs végétalisés
© PASCAL HENI

Vos parents vous ont-ils encouragé dans cette voie?
Oui, toujours. Enfant, ma mère m’emmenait voir toutes les expositions de plantes, d’oiseaux… Les premières Floralies Internationales, quand j’avais 9 ans, ont été un grand choc pour moi parce que c’était à la Défense, sous le tout nouveau dôme, le CNIT. C’était en 1963 ou 1964, je ne sais plus. Nous habitions Suresnes, au-dessus du bois de Boulogne, on allait souvent se promener avec le chien dans le bois. On y trouve tous les petits ruisseaux qui avaient été faits à la fin du siècle précédent, dans les années 1880, avec des minicascades partout. J’adorais, déjà tout petit, voir l’eau ruisseler sur ces cascades en pierres artificielles, mais qui permettaient à des tas de mousses et de fougères de s’installer spontanément.

C’était donc inné cette passion pour la nature?
Oui. J’adorais justement tout ce qui était lié à l’eau et qui s’affranchissait du sol, tout ce qui poussait sur des rochers de cascade. Que les plantes puissent pousser hors de terre me fascinait. Les enfants font germer des haricots, des lentilles, dans des petites boîtes avec du coton et un peu d’eau, je suis toujours ce petit garçon émerveillé. Voilà 70 ans que je fais pousser sur du coton en quelque sorte! Pas besoin de se baisser pour admirer les plantes, elles poussent à hauteur d’yeux. Le mur végétal invite au dialogue avec les plantes et, contrairement aux plantes en pots que l’on déplace, il est immuable et doit donc être pensé pour exister en autonomie. Il faut réfléchir au choix des plantes et à la lumière. C’est une approche complètement différente.

Quelle est la consommation d’eau nécessaire pour un de vos murs?
À la maison, avec un aquarium, c’est en circuit fermé. À l’intérieur, il n’y a pas de vent, la température est quasi constante, donc la consommation est minimum ½ à 1 litre d’eau par mètre carré et par jour d’évaporation. À l’extérieur, en été, c’est près de 5 litres d’eau par mètre carré et par jour, et en hiver, autour de 2 litres.

Dans tous les projets que j’ai mis en œuvre en Australie, à San Francisco ou en ce moment au Qatar, l’eau est recyclée et récupérée sur les toits et même dans les parkings aériens.

C’est, pour moi, une obligation environnementale. En Australie, ils sont très en avance. Dans le grand immeuble de 130 mètres de hauteur créé en ce moment avec Jean Nouvel, il y a eu, pour les murs végétaux, l’installation d’une mini-usine de retraitement de l’eau qui utilise les eaux grises. Ce sont les eaux de douche, de lessive… Ces petites centrales purifient l’eau à merveille.

Les grands murs végétaux extérieurs peuvent-ils créer un microclimat ?
Tout dépend de l’endroit où ils sont installés. Entre la gare de l’Est et la gare du Nord à Paris, dans une petite rue qui rejoint les deux gares, de 8 mètres de large et 150 mètres de long, un véritable îlot de fraîcheur a été créé. À la maison, dans le patio recouvert de murs végétaux, il faisait 15 degrés de moins qu’à l’extérieur pendant la canicule de l’an dernier.

L’évaporation engendre la fraîcheur. À l’intérieur, un mur végétal diminue considérablement la température des halls d’entrée d’immeubles.

Il y a aussi un effet de dépollution de l’air, car les grosses molécules sont cassées en petites molécules et absorbées par les plantes, surtout les micro-organismes. Les forces électrostatiques poussent également les particules délétères de l’air vers le feutre synthétique humide. Dans les zones plus grandes, une avenue par exemple, c’est aux abords du mur que l’on ressent la vibration du mur végétal, son odeur de mousse! C’est aussi le cas dans des parkings comme celui de Lyon, où un mur a été posé sur le noyau central où circulent les véhicules, l’odeur de nature remplace celle des pots d’échappement et c’est très étonnant.

Quelle a été votre toute première réalisation publique?
La première réalisation, d’ailleurs j’ai rendez-vous demain à nouveau à cet endroit, était pour la Cité des sciences et de l’industrie à La Villette en 1986, pour le pont vert, un endroit où ils exposaient toutes les nouvelles technologies qui existaient. J’y ai fait mes premières créations, des panneaux en V, verticaux comme à Chaumont plus tard, avec des plantes de chaque côté, qui sont restés en place pendant une quinzaine d’années jusqu’à la réfection du pont.

Après 1986, il n’y a pas eu grand-chose jusqu’en 1994 avec les murs de Chaumont-sur-Loire. Les commandes ont alors commencé à affluer, surtout venant du milieu de l’art contemporain. Le petit mur de l’entrée de la Fondation Cartier, par exemple, toujours là depuis 1998. C’était pour l’exposition «Être nature». D’autres ont suivi en 1996 et 1997.

C’est assez amusant que le milieu de l’art se soit intéressé à mon travail avant les architectes.

À ce moment-là, il y avait aussi Andrée Putman. Nous la connaissions un peu par le biais d’amis architectes. Un jour, elle m’a téléphoné pour me parler d’un projet d’hôtel près des Champs-Élysées et d’un problème qui la tarabustait. Il y avait un mur de 32 mètres de haut dont elle ne savait que faire. Elle se demandait si ce qu’elle avait vu chez nous, dans notre patio, ne pouvait pas être reproduit sur ces 30 mètres. Mes réalisations n’avaient jamais atteint ces proportions, elles ne dépassaient pas les 8 ou 10 mètres. Après avoir convaincu les propriétaires de l’hôtel, nous nous sommes lancés dans l’inconnu! À cette échelle, c’était une première. Ce n’était plus une pièce d’art contemporain posée quelque part. Là, c’était vraiment un mur à l’échelle de la ville.

Rencontre avec Patrick Blanc, le créateur des murs végétalisés
© PATRICK BLANC

Ce fut un succès énorme car le projet soulevait des problématiques d’urbanisme et d’architecture. Andrée, en tant que designer, avait fait un pari risqué mais gagnant. Elle a fait preuve d’une merveilleuse audace! Les architectes ont suivi par la suite, quand ils ont vu que ça pouvait fonctionner.

Puis il y a eu Jean Nouvel…
Après Chaumont, dans les années 90, il y a eu effectivement les premiers projets avec Jean Nouvel. L’ambassade de France à Berlin en 1997, qui n’a pas abouti, mais surtout la préparation du Musée du quai Branly. Il a fallu plusieurs années, dès 1999.

J’ai installé les plantes à l’été 2004 et le musée a, lui, été inauguré en juin 2006. C’était génial, car j’ai donc fait la façade de mur végétal deux ans avant l’ouverture du musée. Ce qui a généré beaucoup de presse. C’est la première chose visible du musée. C’était un plus pour Jean Nouvel.

Quelle est votre stratégie pour choisir les plantes?
J’ai l’avantage d’être botaniste. En tant que chercheur, je connais quand même un peu les plantes! Après avoir travaillé pendant trente-deux ans au CNRS, uniquement sur les végétaux, et en particulier sur ces principes d’associations de plantes qui vivent dans des conditions de faible énergie lumineuse ou de stress, c’est un avantage certain.

Je sais quelle plante doit être en haut, au milieu, en bas, quelles espèces, comment les associer entre elles par rapport au mode de croissance, pour que certaines qui ont besoin d’ombre soient sous celles qui vont pousser davantage, et faire de l’ombre.

D’autres, qui ont besoin de lumière, vont être entourées par des plantes à croissance lente, qui ne feront pas d’ombre. C’est simple mais efficace.

Vos réalisations exigent-elles beaucoup d’entretien?
Le moins possible, quand les plantes sont bien choisies. Souvent, pour l’extérieur, je compte deux ou trois entretiens par an. En intérieur, pour des restaurants, des musées, des appartements, une intervention bimensuelle suffit pour maintenir la structure au top de sa beauté.

Avez-vous des projets en cours?
Heureusement! Un grand projet à Singapour a déjà commencé, il y a deux ans. Beaucoup de suspensions et d’installations différentes. Mais aussi d’autres projets plus petits. Un autre projet en cours en Inde, et en plein Manhattan pour un restaurant, un mur végétal à Paris, vous voyez, je n’arrête pas!

Quelles sont vos réalisations en Suisse?
Je viens de terminer un projet à Bâle pour les laboratoires Roche, à Gstaad pour une maison privée, à Genève pour une agence immobilière très élégante, et depuis une semaine, je viens de signer à Sion, afin d’envelopper une centrale électrique.

Vous avez beaucoup été imité, comment le ressentez-vous?
Oh oui, des dizaines de milliers de fois dans le monde! Il y a beaucoup de murs qui, hélas, ont été réalisés avec de mauvais choix de plantes, d’installations et de dessins. Beaucoup de personnes ont réalisé des installations, simplement attirées par l’appât du gain, sans connaissance botanique et technique. Malheureusement, les ratés sont nombreux.

J’ai déposé deux brevets, qui m’ont beaucoup aidé à me protéger pendant vingt ans, mais la chose primordiale réside dans la connaissance des plantes, et c’est ma valeur ajoutée, puisque je suis avant tout botaniste.

Dans une quinzaine de jours, je serai chez des personnes qui ont eu une mauvaise expérience. Leurs murs végétaux sont morts, et ils font appel à mon expertise pour les recréer. Certains sont mal faits, d’autres inesthétiques.

Rencontre avec Patrick Blanc, le créateur des murs végétalisés
© PATRICK BLANC

Depuis des dizaines d’années, vous explorez les forêts. Pouvez-vous ramener des boutures, des graines?
J’ai pu le faire par le passé, ce qui a enrichi ma grande connaissance de l’habitat. Dans les années 80, nous avions le droit. Tout était très officiel: par le biais d’un contrat avec mon laboratoire de Jussieu, et avec le syndicat d’horticulture qui cherchait à diversifier les espèces. Aujourd’hui, il est strictement interdit de prélever la flore en pays étranger.

J’ai visité plusieurs pays des centaines de fois, et m’y rends encore régulièrement. Avec l’aide de Pascal Héni, nous prenons des photos, et réalisons des vidéos visibles sur mon site. Le but est d’explorer, d’observer, d’étudier les espèces dans ces lieux enchantés qui sont, à chaque fois, une source d’inspiration.

Quel est le rêve de Patrick Blanc, l’homme vert?
Je rêverais que, dans les grandes villes, certains immeubles populaires, souvent sinistres, en béton brut, soient recouverts de mes réalisations verdoyantes pour y amener joie, couleurs et espoir!

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