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Je n’ai pas besoin du féminisme, car je peux affirmer mes propres opinions sans avoir une armée de vagins enragés derrière moi.» La phrase n’a pas été écrite au fin fond du XIXe siècle par un vieux cerveau réac, mais sur le web, en janvier 2016. Autant dire à notre porte, temporellement parlant. Son auteur? Une femme. Une quasi-ado, même. Côté droit du crâne rasé à la Rihanna. Piercing haut perché sur la lèvre. Bouche en cœur et décolleté qui ose. Pas vraiment le portrait d’une bigote coincée. Et pourtant. Parmi des dizaines d’autres jeunes femmes manifestement modernes et bien dans leur peau, elle apparaît dans le fil d’actualité d’une page Facebook aux 37 000 «likes», ainsi que sur un blog Tumblr. Leur titre: «Women against feminism.» Le credo de ces communautés, explicite: fustiger «le féminisme et sa culture toxique»… Rien que ça.

Do you Agree: "Feminists have actually made it difficult for us family-oriented women to care for our children, our families and the world around us in the way we know best."

Posté par Women Against Feminism sur vendredi 26 février 2016

Des stars pas concernées

Une drôle de guéguerre qui pourrait paraître anecdotique, ou immature, si elle ne s’inscrivait pas dans un phénomène de société. Car aujourd’hui les féministes semblent devenues l’ultime objet du désamour. Regardées de travers. Vilipendées. Et pas seulement dans certains bacs à sable online radicalisés. Même des people font la fine bouche. Etes-vous féministe? Marion Cotillard, Sarah Jessica Parker ou encore Mélanie Thierry grimacent. Quand elles ne se détournent pas de la chose tout court, à l’instar de l’iconique Lana Del Rey, s’avouant davantage «intéressée par le voyage dans l’espace»… Oups. «La critique, voire le mépris envers ce mouvement historique ne sont pas nouveaux, mais ils se sont renforcés ces dernières années, en particulier chez les jeunes générations», note Patricia Roux, sociologue spécialiste en études genre et rédactrice de la revue «Nouvelles Questions Féministes». «C’est en effet particulièrement visible chez les filles dans la vingtaine, appuie Peggy Sastre, docteure en philosophie des sciences et auteure du livre «La domination masculine n’existe pas» (Editions Anne Carrière, 2015). Elles se disent dégoûtées par beaucoup de féministes actuelles. Le terme lui-même s’est changé en étiquette vide.»

Une étiquette remplie de courants d’air, mais qui dérange. 2014: Emma Watson, fraîchement nommée ambassadrice des droits des femmes à l’ONU, a été encouragée à ne pas utiliser le mot «féminisme» dans son discours devant la tribune new-yorkaise, raconte-t-elle au magazine Porter . Ahurissant conseil dont elle n’a bien sûr pas tenu compte, en Hermione frondeuse qu’elle est. «J’ai décidé que j’étais féministe. Mais visiblement, cela est devenu impopulaire…»

#HerForShe UN Women

Une photo publiée par EmWatson (@_emwatson_) le

Cibles mouvantes

Autre symptôme palpable du malaise, féminisme a carrément été élu «mot à bannir en 2015» à l’issue d’un vote en ligne organisé par le très sérieux magazine «Time». Un an plus tôt, c’est «twerk» qui remportait la palme de l’insupportable. Le féminisme, jugé aussi irritant qu’une danse du postérieur brevetée par Miley Cyrus. Des femmes qui refusent de s’identifier à leur propre cause, alors que tant de gens, des suffragettes à la Slutwalk en passant par Simone Veil, ont sacrifié leur confort de vie, pris des risques pour conquérir des droits – telle la récente baisse de la taxe sur les tampons, en France. Comment en est-on arrivé là?

Les féministes contemporaines, plutôt qu’un miroir grossissant, seraient désormais… miroir déformant. «Trop querelleuses», se plaignait ainsi la charismatique CEO de Yahoo! Marissa Mayer, dans le documentaire «Makers». Voire trop en décalage avec la «girl next door», alias la ménagère de moins de 50 ans. «Leurs initiatives ne font que dégrader l’image de la femme, explique Ophélie, 29 ans. Ce n’est pas en montrant des seins ou en se liguant contre les hommes, en les traitant comme des violeurs en puissance, que la gent féminine va voir sa condition progresser. Je ne me retrouve aucunement en elles.» Les féministes, carnaval grotesque de mal baisées, allergiques au rasoir et exhibitionnistes. Le cliché revient en force.

Une recherche thématique dans les galeries d’agences photo suffit d’ailleurs pour s’en convaincre. Tapez «féministe», et voilà un déferlement de nanas avec coupe au bol, moustache, poitrine topless et autres épouses qui boxent ou décapitent leur prince charmant. «Comme si dire qu’on était féministe c’était automatiquement se transformer en une folle antimecs avec du poil aux pattes!», se désespère Pauline Martinet, jeune Romande féministe fondatrice de l’association Les filles affranchies. Par chance, la même requête sur Google mène à des représentations bien moins stéréotypées. Ouf…

Scènes de cacophonie

Il y aurait donc comme un fossé entre l’image qu’on se fait aujourd’hui des féministes et ce qu’elles sont. Ou plutôt un canyon. Mais qui donc l’a creusé? «Certaines initiatives véhiculent un discours trop sclérosant, pas représentatif des femmes, commente Peggy Sastre. Elles entretiennent leur propre caricature d’hystériques, avec un pouvoir de nuisance inversement proportionnel à leur représentativité. Et une manie à verser dans le dogmatisme.» Pauline Martinet se souvient: «Des féministes me demandent parfois pourquoi je mets du rouge à lèvres. C’est stupide!» Se revendiquer comme telle, ce serait donc prendre le risque de s’exclure du reste de la population en passant pour une ayatollah énervée. Une sorte de suicide social…

Reste que la tendance à ne retenir de cette grande révolution intellectuelle que sa frange la plus trash n’est pas due au hasard. «Femen partout, féminisme nulle part», titrait ainsi Mona Chollet dans un article du «Monde diplomatique», en 2013. L’essayiste franco-suisse y analysait comment l’omniprésence du collectif ukrainien, avec son «mélange de paresse intellectuelle et d’arrogance, cette prétention à dicter la bonne attitude aux femmes du monde entier», avait occulté toute autre forme de discours féministe dans les médias. Avec la course au buzz qui rythme notre époque, difficile en effet de ne pas braquer tous les projecteurs vers de jolies nénettes nues, quitte à zapper leurs revendications au passage. En face, les 12 000 personnes réunies le 7 mars 2015 sur la place Fédérale, à Berne, pour réclamer l’égalité salariale, marquent évidemment moins les esprits.

Une impression d’éparpillement des col lectifs qui, en outre, participe au flou artistique. Les Femen, La Barbe, Osez le féminisme, Georgette Sand, Les chiennes de garde… «Il y a une multiplication de mouvances à l’heure actuelle, mais plus de mouvement général de société», constate Patricia Roux. C’est ce que déplorait la féministe Marie-Josèphe Bonnet en 2014, alors interrogée par un journaliste du magazine français «Marianne»: «La confusion est très grande aujourd’hui sur les objectifs, les désirs, les politiques féministes. On s’aperçoit qu’on ne pense pas toutes pareil? C’est évident. Il y a une désertification? C’est inévitable.»

Armes baissées trop vite

Pas étonnant dès lors que le mot féminisme pose autant problème. Même chez les féministes elles-mêmes, où le terme prend l’allure d’une patate chaude. Sur les sites militants, on propose de le remplacer, pêle-mêle, par antisexiste, égalitariste, universaliste, ou encore le très fourre-tout humaniste, comme préfère se définir Meryl Streep, pourtant aux premières loges lorsqu’il s’agit de dénoncer les différences de salaire entre acteurs et actrices. Motivation à lire entre les lignes? Gommer l’aspect militant, politique même, du mot féministe. Trop connoté agressif. Comme s’il n’y avait plus besoin d’aller se battre, souligne Peggy Sastre, tant «nous avons cette croyance en Occident que la lutte a été gagnée». «Dans les droits, effectivement, l’égalité est presque acquise, mais pas dans les faits, rappelle Sylvie Durrer, directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. Les choses arrivent uniquement parce que des individus se sont engagés, il ne faut pas l’oublier.» Et puis, en comparant la situation locale avec celle qui prédomine en Arabie saoudite ou en Iran, il est tentant de se persuader qu’ici, finalement, en matière de droits des femmes, tout va bien.

Certes, la tendance à l’inaction s’explique par la peur d’être taxée de Jeanne d’Arc anachronique. Mais elle s’enracine aussi dans une vague néoconservatrice en train de submerger la planète. Sur fond de déprime économique et de repli vers les modèles dits traditionnels, on assiste pour la première fois depuis des décennies à des retours en arrière. Restrictions sporadiques du droit à l’avortement, prêches paternalistes d’un Eric Zemmour écoulant presque un million d’exemplaires de son pamphlet antimodernité… «Le succès de la série «Mad Men» a déjà inauguré le retour de la pin-up, observe Pauline Martinet. Les valeurs des années 50 ne sont pas loin!» Ce qui se ressent dans les rapports entre les sexes. «On assiste à un «revival» du statut fort du couple, notamment chez les femmes», relève Peggy Sastre. Et là, tout à coup, les schémas poussiéreux guettent.

«La famille au sens classique redevient un élément d’assurance, davantage que dans des périodes plus favorables où l’on pensait pouvoir survivre seule en tant que femme», analyse Grazia Ceschi, maîtresse d’enseignement et de recherche en psychologie à l’Université de Genève. Le sentiment de dépendance devient plus vif, et il n’est plus vraiment approprié de s’affirmer dans sa spécificité, de poursuivre un discours de revendication qui mettrait en concurrence avec les hommes. On a peut-être davantage besoin de soumission aujourd’hui.»


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Un vent de renouveau

Toutefois, sur l’autre rive de l’Atlantique, des jeunes femmes, profitant de leur célébrité, ont décidé de reprendre le flambeau. Elles se nomment Jennifer Lawrence, Lena Dunham, Beyoncé, et n’ont plus peur de se définir comme féministes, emboîtant le pas d’Emma Watson. Un nouveau féminisme, parfois qualifié de pop. Mais pas toc. «Avec l’émergence de cette mouvance, les gens viennent désormais au féminisme à travers la pop culture plus que par les canaux traditionnels du militantisme ou des théories», écrivait récemment Andi Zeisler, rédactrice en chef de «Bitch», magazine féministe américain. Oui, le risque de la récupération marketing existe, mais il ne faudrait pas minimiser l’impact du phénomène, touchant des millions de personnes à travers le monde. «Grâce à ce genre d’initiative qui démocratise l’engagement, les jeunes filles vont pouvoir se dire féministes de plus en plus jeunes», se réjouit la journaliste et militante française Caroline Fourest.

Se dire féministe, ou quel que soit le terme à brandir. Il suffit de surfer sur les réseaux sociaux pour voir à quel point les initiatives contre le harcèlement et la discrimination abondent, sans, la plupart du temps, revendiquer un quelconque label en «isme». Comme celle de cette jeune Romande, dont la vidéo moquant le sexisme d’une affiche de campagne UDC a eu un récent succès sur le web. Des individus qui font du féminisme sans s’en rendre compte, à la manière du bourgeois gentilhomme de Molière qui fait de la prose sans le savoir? Lorsqu’il s’agit de prôner l’égalité entre hommes et femmes, peu importe, au fond, le mot qu’on utilise. Presque tout le monde est pour.

Retour vers le (futur) féminisme

Grâce à elles, la fameuse réplique: «Je ne suis pas féministe, mais…» sera bientôt à jeter aux orties. Chanteuses pop, humoristes, actrices, cette nouvelle garde soucieuse des droits des femmes n’hésite plus à se réapproprier une étiquette devenue encombrante. Sans la crainte de faire fuir leur public. Bien au contraire: la remise au goût du jour du «girl empowerment» trouve des échos favorables dans la webosphère. A tel point que même les garçons suivent, comme Justin Trudeau, premier ministre canadien de 44 ans, affirmant qu’en 2015 la parité était juste «normale». Sans oublier l’acteur Mark Ruffalo qui, lui, a publié une lettre ouverte dans laquelle il se clamait féministe. Bref, on est déjà demain.


©Michael Loccisano/Getty Images; DR; Kevin Mazur/Getty Images; Pascalito/ Corbis; Mark Davis/Getty Images

Kendall Jenner A l’image de Taylor Swift, la demi-sœur de Kim Kardashian se mobilise pour le «Girl Empowerment». On l’a vue poster, sur son compte Instagram, un selfie copiant la pose d’un célèbre dessin féministe.

Emma Watson Revenue du quai 9 ¾ dans «Harry Potter», la comédienne anglaise a trouvé sur sa route encore plus coriace que les dragons: le sexisme. Depuis, elle a fait de la défense de l’égalité sa priorité. Fondant même un club de lecture féministe.

Beyoncé «Une catastrophe», lançait Lou Doillon face au féminisme de la diva pop… Reste que ses chansons font, sans détour, l’éloge de l’«empowerment». Ses concerts aussi: en 2015, FEMINIST s’affichait en lettres capitales sur la scène. La chanteuse a également publié un essai sur l’égalité des genres. Pourquoi la bouder?

Jennifer Lawrence Panique à Hollywood. Encouragée à être belle, se taire et générer des millions d’entrées, l’héroïne des «Hunger Games» a dénoncé «ces chanceux qui gagnent plus qu’elle parce qu’ils ont une bite». Los Angeles en tremble encore…

Florence Foresti Via des sketches burlesques en surface, dont le mémorable «avion Barbie», la Française tire à boulets ardents sur tous les clichés qui collent encore à la peau des femmes, depuis leur enfance jusqu’au travail. Drôle, mais également engagée. Elle fait mouche.

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