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Pourquoi les femmes règnent sur les réseaux sociaux

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La blogueuse Soraya Bakhtiar est suivie par 70 000 personnes sur Instagram.

© DR

En quatre ans, Soraya Bakhtiar a fidélisé plus de 70 000 abonnés sur son compte Instagram. La blogueuse genevoise de 26 ans a mis toutes les chances de son côté: «C’est avant tout de la persévérance, de la patience et énormément de travail, confie-t-elle. Je n’ai jamais acheté d’abonnés fictifs. En revanche, je me suis astreinte à poster chaque jour des photos différentes.» Comme elle, de plus en plus de femmes percent sur les réseaux sociaux. Selon une étude réalisée aux Etats-Unis en 2014 par le Pew Research Center, elles y sont plus actives et présentes que leurs homologues masculins: 77% des internautes féminines ont un compte Facebook face à seulement 66% chez les internautes hommes. Sur Instagram, elles sont 29% contre 22%, sur Snapchat 70% contre 30% et sur Pinterest 42% contre 13%.

Or – conséquence ou simple coïncidence? – les plateformes dominées par la gent féminine sont celles qui ont le vent en poupe. Alors que le «sec» Twitter où elles sont peu présentes est en perte de vitesse, les médias qui mettent l’accent sur le visuel lui dament la souris – et ce sont justement ceux où elles dominent. Mieux: l’avenir des réseaux sociaux est précisément là, dans l’image, nous explique Olivier Glassey, sociologue spécialisé en réseaux sociaux à l’Université de Lausanne (UNIL). Cette prépondérance croissante des images, avec lesquelles ces dames jonglent si aisément, pourrait donc maintenir, voire accentuer, leur avance sur le terrain.

Créativité et communication

Pour Delphine Remy-Boutang, cofondatrice de la Journée de la femme digitale en France, cela ne fait pas de doute: «Par définition, nous sommes plus créatives: nous créons la vie, affirme la dirigeante de the bureau, agence de conseil stratégique en social media basée à Londres et à Paris. Nous sommes plus intuitives, plus dans l’émotion. Le visuel véhicule nos valeurs.» Dont acte.

Mais le succès des femmes sur les réseaux sociaux ne s’explique pas seulement par cette créativité présumée native. Les usagères manient aussi brillamment, en effet, la gestion des multiples flux. Autrement dit: elles maîtrisent comme personne la participation en temps réel à plusieurs discussions virtuelles. A l'aise avec la dimension communicatrice du web, elles le sont d’ailleurs depuis les débuts de celui-ci, au milieu des années nonante. A l’époque déjà, explique Olivier Glassey, «par contraste avec l’option jeux vidéo, l’aspect communication de ce média suscitait statistiquement davantage l’intérêt des femmes que celui des hommes».

Cette séparation «genrée», on la constate assez tôt dans l‘existence des futurs acteurs de la vie économique. «Les filles entre 12 et 17 ans travaillent beaucoup plus que les garçons à entretenir leur réseau de sociabilité, que ce soit en ligne ou hors ligne, souligne Claire Balleys, sociologue à l’Université de Fribourg. Elles sont très investies dans les relations sociales et sentimentales, notamment entre filles.» Naturellement communicatives, sociales et connectées, ces filles bientôt femmes intègrent rapidement les codes des conversations 2.0.

«Le monde digital est un terrain de jeu parfait pour permettre aux femmes de décoller», estime Eileen Schuch, fondatrice de liferox, agence spécialisée en «influencer relations». Et la communicatrice d’énumérer une série de ces fameux soft skills dont le néomanagement est friand et dont la palme est réputée revenir aux femmes: networkeuses par nature, soucieuses de l’autre, à l’écoute, multi-task, chercheuses de dialogue, dotées d’un esprit communautaire...

Job de passionnées

Pour Barbara Demont, 28 ans, blogueuse sur Mademoiselle B et trade merchandiser, les performances digitales des femmes sont liées à leur vision particulière des réseaux. «Nous les considérons souvent comme des journaux intimes, nous nous dévoilons plus facilement, donnons plus de détails lorsqu’on nous pose des questions sur nos expériences. Les hommes sont plus concis, ils vont droit au but sans faire de chichis.» La jeune Morgienne ne vit pas pour autant de son exposition sur la toile. «Pour l’instant, cela n’est pas du tout rentable. J’adorerais que ça le soit, mais il me faudrait disposer de bien plus de temps pour développer mon blog.»

En Suisse, gagner sa vie grâce aux réseaux sociaux tient plus du mythe que de la réalité. «Bien sûr, on a tous accès aux mêmes outils, relève Matthieu Corthésy, spécialiste en marketing digital et blogueur sur PME Web. Mais c’est énormément de travail, l’investissement en termes de temps est extrêmement conséquent: il faut poster chaque jour, être connecté sans cesse. C’est avant tout une histoire de passion.»

Si toutes ne deviennent pas des Kristina Bazan, it girl en la matière, la présence digitale reste un atout pour les femmes. «Etre connectée, c’est une arme de visibilité, note Delphine Remy-Boutang. L’année dernière, dans le cadre de la Journée de la Femme digitale, nous avons posé la question suivante aux participantes: «Considérez-vous le digital comme un levier d’émancipation professionnelle?» La réponse était clairement négative: avec ou sans numérique, elles n’y arrivaient pas. Mais les mentalités sont en train d’évoluer: on a reposé la même question cette année: la réponse était devenue positive pour 93% des sondées.»

L’expérience de Mélina Neuhaus, fondatrice de l’agence de communication Elitia, le confirme. «Je suis la preuve vivante que les réseaux sociaux constituent une véritable chance pour les femmes dans le monde du travail. Via ces derniers, on crée une relation complètement inexplicable: petit à petit, cela m’a ouvert des portes incroyables. On m’a contactée pour écrire des articles, pour donner des cours, pour m’offrir de nouvelles opportunités. Mais pour y parvenir, cela m’a pris beaucoup de temps. Il faut avoir confiance en son projet et ne rien lâcher.»

Savoir se vendre, faire du «personal branding», tel est l’enjeu. Et dans un monde numérique encore très masculin (en France, les femmes n’y sont représentées qu’à 27%), peu osent se lancer. La preuve: elles sont en retrait sur Twitter et LinkedIn, deux réseaux jugés plus professionnels que les autres. Commentaire d’Annabelle Dentan, 45 ans, cofondatrice et directrice de Chic Cham, qui comptabilise 4500 abonnés sur Pinterest. «Je ne m’y intéresse pas, je trouve cela trop aride. Le manque de photos, peut-être? Twitter est un superoutil pour traiter les actualités, LinkedIn pour le réseautage professionnel, deux domaines qui, tristement, restent associés à l’univers masculin.»

Booster sa carrière

Pour Mélina Neuhaus, cette sous-représentation est liée à l’image de la femme dans le monde du travail. «Malgré tous les efforts, elles restent en retrait, s’excusent d’être là, analyse-t-elle. En Suisse, les mentalités sont encore très en retard: dès qu’une femme ose se mettre en avant, on assimile cela à un ego trip.» Un état de fait que regrette Delphine Remy-Boutang: «Il faut à tout prix être présentes sur toutes les plateformes: nous sommes 50% de l’humanité, nous devons être à 50% partout. Prenons donc exemple sur les hommes, qui ont l’habitude de beaucoup montrer ce qu’ils font et d’en faire… un peu moins.»

Les réseaux sociaux seraient-ils un moyen pour les femmes d’obtenir une société plus égalitaire? Yolicia Wallace, instagrameuse et étudiante en management et psychologie, n’en doute pas une seconde. La Neuchâteloise parle même d’une «révolution numérique de la femme 2.0». Avec ses 95 000 abonnés, la jeune blogueuse de 21 ans évoque avec passion les perspectives d’avenir proposées par les réseaux: «Ils permettent aux femmes de booster leur carrière, de progresser, de s’élever au rang de leaders. Les technologies digitales mettront fin aux inégalités homme-femme, j’en suis convaincue.» Elle n’est pas la seule à l’être, puisque beaucoup se laissent tenter. Renée Bäni, codirectrice de la formation de spécialiste en médias sociaux au SAWI, note ainsi que 80% de ses élèves sont de sexe féminin. «Les réseaux permettent d’être en contact permanent, les femmes ne sont plus coupées du monde. Je pense qu’une mère au foyer, il y a vingt ans, pouvait parfois se sentir isolée. Aujourd’hui, il y a toujours des personnes connectées avec qui l’on peut échanger, partager. Ces médias aident les femmes à s’ouvrir sur le monde.»

Delphine Remy-Boutang va plus loin: «Le digital a un ADN féminin, c’est l’équivalent de la minijupe qui a tant fait pour l’émancipation des femmes. Etre connectée, c’est la clé pour enfin accéder à des postes qui comptent.»

Un bel optimisme, que nuance Annabelle Dentan: «Les réseaux sont un lieu d’expression pour tous, il n’y a plus ni femmes, ni hommes, ni Noirs, ni juifs: juste des usagers qui partagent leurs intérêts.» Autrement dit: si les médias sociaux n’émancipent pas les femmes, ils leur donnent simplement la place qu’elles devraient avoir partout.


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«En acceptant n’importe quoi, je pourrais en vivre facilement»

Soraya Bakhtiar, 26 ans, digital influencer à Genève et à Londres

«J’ai commencé mon blog mode il y a quatre ans. Aujourd’hui, 70 000 personnes me suivent chaque jour sur Instagram. Je pourrais facilement en vivre si je faisais n’importe quoi car, dès que l’on dépasse les 50 000 followers, beaucoup de marques nous contactent pour se servir de notre notoriété et communiquer à travers nos comptes. Mais la plupart des demandes n’ont aucun rapport avec mon image ou mes goûts. Je veux rester authentique et ne faire que des collaborations avec les enseignes que j’apprécie et qui me ressemblent. J’ai récemment engagé quelqu’un pour m’aider à gérer les partenariats et l’administration de mon site. Je suis aussi représentée par une agence de mannequins à Londres. Mais j’ai d’autres projets professionnels, je ne mise pas tout sur mon blog.»

«Des commentaires très touchants qui me motivent pour continuer»

Chloé Margraitner, 22 ans, étudiante, blogueuse culinaire et Instagrameuse fitness, Bienne

«Grâce à mon blog et à mes deux comptes Instagram, j’ai fait de nombreuses rencontres. Et les messages de soutien et les commentaires que je reçois sont touchants. Contrairement à ce que l’on croit, la négativité est peu présente sur ces médias. Ils transforment notre manière de vivre, de travailler et d’établir des relations professionnelles et privées. Pour les femmes, c’est un excellent moyen de se positionner comme actrices principales de cette nouvelle dynamique. Elles créent facilement des liens, prennent du temps pour partager ce qui leur tient à cœur et sont plus impliquées dans les communautés. Cela dit, je suis aussi de très beaux profils tenus par des hommes.»

«Toutes les 5 minutes, je me connecte»

Harmonie Keller, 32 ans, blogueuse sur Second.Thought, Neuchâtel

«J’ai ouvert mon compte Instagram il y a 18 mois, un peu par hasard. Puis j’ai trouvé de plus en plus de plaisir à poster, à voir mon audience augmenter. Et je me suis prise au jeu. Aujourd’hui, c’est plus qu’une passion: toutes les 5 minutes, je me connecte! J’ai gagné beaucoup de confiance en moi. Voir que mes looks et mes clichés pouvaient plaire m’a boostée. Depuis que j’ai franchi la barre des 15 000 followers, je peux commencer à demander de l’argent aux marques qui me sollicitent. Heureusement, car mon site me coûte une certaine somme chaque mois: j’ai acheté du bon matériel. Et je ne vous parle même pas de l’investissement vestimentaire (rire) ! Mais c’est un vrai plus pour ma carrière: maîtriser les réseaux sociaux est une nécessité.»

«Miser sur le qualitatif plutôt que de s’éparpiller»

Barbara Demont, 28 ans, blogueuse lifestyle sur Mademoiselle B, Morges

«Si l’on utilise bien les réseaux, je suis convaincue qu’ils peuvent devenir une véritable carte de visite. Faute de temps, il m’a fallu faire des choix: je préfère être un peu moins présente mais le faire bien, avec du contenu qualitatif, plutôt que de m’éparpiller sur toutes les plateformes. Mes comptes sont une nouvelle version de mon CV, plus détaillée et animée. J’apprécie Facebook et Instagram: d’après moi, les visuels ont beaucoup plus d’impact qu’un simple texte, ils sont plus visibles. Sur les réseaux sociaux, tout est éphémère. Vous pouvez créer du contenu intéressant et être suivie sans engendrer beaucoup de retombées, tout comme vous pouvez soudain créer le buzz en un rien de temps. Tout cela est très aléatoire.»

«J’ai gagné 35 000 abonnés en six mois»

Christiane Nill, 48 ans, directrice créative chez MC2, Lausanne

«Je travaille pour de nombreux designers, architectes et artistes. Je me suis intéressée à Instagram car c’est un moyen fascinant de faire de l’autopromotion avec de très petits budgets. En faisant des tests, j’ai gagné 35 000 abonnés en six mois. L’avantage de ce réseau? On accède immédiatement à un public international et très jeune. J’aime passer du temps à dénicher de nouvelles sources d’inspiration. Grâce aux hashtags, j’ai découvert des talents fous qui vivaient à deux pas de chez moi et que je n’avais jamais croisés auparavant. J’adore cette liberté, ce réseau qui n’a pas de frontière!»

«Un travail d’arrache-pied est capital»

Yolicia Wallace, 21 ans, étudiante et blogueuse mode, Neuchâtel

«53 000 abonnés sur Instagram? J’avoue ne pas savoir très bien comment j’en suis arrivée là. J’ai fait plusieurs collaborations avec de grandes marques, par exemple, qui ont relayé mes looks. Comme elles sont suivies par des millions de personnes, cela m’a apporté des centaines d’abonnés en quelques minutes. De fil en aiguille, mon blog a trouvé son public, surtout anglophone et adepte des looks audacieux... Pour se faire connaître, il faut travailler d’arrache-pied. Les plateformes ne sont plus ce qu’elles étaient à leurs débuts: la compétition est intense, cela exige une authenticité et une marque de fabrique propres à susciter un fort intérêt des internautes.»

«Je n’accepte aucun placement de produit»

Annabelle Dentan, 45 ans, cofondatrice et directrice de Chic Cham, Lausanne


©Catherine Gailloud

«Pour réussir à percer sur Pinterest, c’est un long travail. J’ai toujours vu cette plateforme comme un outil et non comme une vitrine. Je l’utilise pour répertorier des images selon des thèmes et je l’imaginais, d’abord, comme un moodboard personnel. Mais quand j’ai réalisé que 4500 personnes me suivaient, j’ai été ravie. Cela fait partie de la philosophie de Chic Cham: nous aimons inspirer les gens. Les réseaux sociaux nous apportent beaucoup de visibilité, de nombreuses personnes nous ont découverts par ce biais. Nous ne faisons pas de placement d’objets et n’acceptons pas de publicité. Je considère notre compte Pinterest comme un service pour nos clients, pas comme une source de revenu.»

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