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Dans les pas de Marie Kondo

Cleanfluencers, livres, séries... D'où vient l'obsession du ménage?

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«Plus que dans le passé, l’espace domestique devient un lieu fort de gestion des pressions quotidiennes. Il est perçu comme une source essentielle de maintien de soi et de son identité, de soutien dans les épreuves.» - Luca Pattaroni, sociologue.

© ISTOCK/ANNA PUZATYKH

Nettoyeeer, balayeeer, astiqueeer. Depuis le tube de Zouk Machine en 1990 et les déhanchés qu’il finissait vite par provoquer, jamais le ménage n’avait autant fait vibrer les foules. Ces dernières années, la planète entière semble en effet devenue obsédée par le nettoyage et le rangement des intérieurs. Une sorte de maniaquerie collective qui s’exprime par tous les canaux, à commencer par celui des réseaux sociaux.

Ainsi, adieu les influenceurs glamours vantant voyages exotiques et crèmes de luxe, so 2015, désormais, la mode est aux «cleanfluenceurs», des personnalités révélées par internet qui entraînent des centaines de milliers, voire des millions de followers derrière eux avec leurs tutoriels pour bien récurer ses toilettes, faire briller ses vitres ou redonner vie à une casserole carbonisée.

Preuve de cet engouement extraordinaire des communautés connectées pour le ménage, le hashtag #cleaning a déjà généré près de 50 milliards de vues sur le réseau social TikTok. Comme devant des vidéos d’ASMR – ces contenus sensoriels satisfaisants pour le cerveau – les internautes s’arrêtent de scroller pour regarder, fascinés, des nettoyages de canapé ou des techniques de rangements ultra-optimisés à la japonaise.

La crasse passe à la télé

Même déferlement du côté des rayons des librairies. Marie Kondo, papesse originelle du phénomène dans les années 2010 et inventrice de la méthode minimaliste KonMari, vient de sortir un nouveau livre prodiguant des conseils pour organiser efficacement son espace de vie. Un carton, de même que pour Sophie Hinchliffe, alias Mme Hinch, l’une des cleanfluenceuses les plus en vue: son récent ouvrage Hinch Yourself Happy: All The Best Cleaning Tips To Shine Your Sink And Soothe Your Soul (les meilleurs conseils de ménage pour faire briller votre évier et votre âme») est devenu le deuxième titre littéraire de non-fiction le plus vendu de tous les temps.

Sur les écrans aussi le trend est à la poutze: Cleaners, les experts du ménage, diffusée sur TFX, ou encore Les Héros du nettoyage, sur W9, pour ne citer que les chaînes francophones, entraînent les téléspectateurs et téléspectatrices sur la piste d’accumulateurs compulsifs en plein repentir ou de techniciens de surface chargés de rendre à nouveau salubres des intérieurs colonisés par la poussière et la crasse.

Ménage, le nouveau sexy

Le succès est tel que ces nettoyeurs et nettoyeuses stars des émissions télé s’exportent dans notre quotidien: les coachs de nettoyage ou de rangement, phénomène importé des États-Unis, sont actuellement en train de conquérir l’Europe et promettent de nous épauler pour rendre nos séances de tâches domestiques plus efficaces.

Mais pourquoi le ménage, hier quasi universellement considéré comme une corvée, est-il devenu le nouveau sexy? L’effet coronavirus, peut-être. Marie Kondo vendait des livres avant que le Covid existe, n’empêche, la pandémie a fonctionné comme un véritable tournant dans la perception de nos intérieurs.

«Depuis plusieurs décennies, la population active passe globalement de moins en moins de temps dans ses logements, puisque la majorité est devenue pendulaire, augmentant peu à peu le temps passé dans les déplacements, constate Luca Pattaroni, chercheur au Laboratoire de Sociologie Urbaine (LaSUR) de l’EPFL. Cela a affecté les rythmes de vie au foyer, en général réduits au matin et à la soirée.

Mais depuis 2020 et les bouleversements sociétaux dus au coronavirus, ces rythmes de présence ont un peu changé avec l’irruption du télétravail et de l’école à la maison lors des confinements.»

Regagner de la place

Beaucoup se sont alors mis à passer davantage de temps dans leur logement, parfois pas si propice pour ce nouveau mode d’occupation plus long. Il a fallu, en quelque sorte, se l’approprier mieux. Déco, rangement, ménage, le temps qui lui est consacré est donc logiquement en hausse.

«On a vu que le premier geste lors du Covid a été celui des réaménagements, des rangements des intérieurs, afin d’accompagner le projet de vie autant symboliquement que pratiquement, souligne Luca Pattaroni. La pandémie a montré l’importance du cloisonnement pour les différents temps, activités et rythmes.»

Des intérieurs que l’on a plus longtemps sous le nez et dont on tolère moins bien les petites imperfections. Sans parler des surfaces qui se salissent plus rapidement quand on y passe plus de temps: on travaille sur la table de la cuisine, on mange sur la table basse du salon… Et lorsque la pression spatiale augmente, le réflexe est généralement de vouloir regagner de la place, résume le chercheur de l’EPFL, «nous occupons aujourd’hui des lieux de vie augmentés car on y invite des activités et des objets qui n’y figuraient pas avant, en provenance des sphères privée, professionnelle voire scolaire, il faut alors davantage penser et aménager le logement qu’avant».

Parade aux pressions du quotidien

Reste qu’en dépit de sa nouvelle complexité, l’intérieur est plus que jamais, également, ce lieu ressourçant, ce cocon protecteur qui nous coupe des mauvaises ondes extérieures, des nouvelles crispantes, du stress de l’univers professionnel, de l’anxiété face à l’avenir…

Un sondage OpinionWay pour Altavia le prouve, puisque pour 80% des personnes interrogées, le logement est envisagé comme «un havre de paix». Effectivement, «plus que dans le passé, l’espace domestique devient un lieu fort de gestion des pressions quotidiennes, fait remarquer Luca Pattaroni. Il est perçu comme une source essentielle de maintien de soi et de son identité, de soutien dans les épreuves.

D’ailleurs la manière dont on l’arrange signale que le logement a un rôle très important pour trouver son équilibre. Le logement actuel oscille entre une sorte de sanctuaire où l’on peut mettre en vigueur ses propres règles et un hub de connexion où l’on gère l’intrication du repos, des loisirs et du travail».

Maîtriser le monde à son échelle

Un phénomène notamment bien visible chez les personnes qui vous demandent de vous déchausser avant de pénétrer leur logis, où il s’agit autant d’hygiène que de sacré. Le trend du ménage et du rangement tiennent-ils la même fonction dans la maison?

«L’enjeu de la résistance à l’envahissement du monde extérieur est fort et nous déployons plusieurs stratégies pour cela, pointe Luca Pattaroni. Nous sommes de nos jours fréquemment confrontés à un sentiment d’étouffement, trop de flux, d’infos, d’objets, d’objectifs, et on voit bien que derrière cette question de l’envie de faire le vide et le propre chez soi se retrouve le besoin de reprendre son souffle. C’est vouloir acquérir une certaine maîtrise du monde là où on peut avoir une maîtrise.»

Nettoyer, ranger, mettre en valeur, décorer… Le meilleur moyen de consolider son territoire tout en se soignant l’âme. «On n’est pas bien dans sa tête si on n’est pas bien dans son logement. Avoir un logement que l’on peut s’approprier, aménager à a guise, est une condition essentielle pour avoir la force d’affronter le monde. Bien ranger chez soi, c’est alors bien ranger son mental», conclut Luca Pattaroni.

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