ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE EN TURQUIE
«Les femmes sont encouragées à assumer leur identité musulmane»
Zeynep Ersan est née en Turquie puis a vécu en Suisse avec ses parents. Journaliste, directrice du magazine Bon à Savoir, elle a ensuite rejoint Le Temps. Elle a publié en novembre 2022 Turquie, un pont entre deux mondes (collection L’âme des peuples, éditions Nevicata). Elle revient sur la réélection de Recep Tayyip Erdogan qui s'est déroulée le 28 mai 2023.
FEMINA Vous êtes née à Ankara, mais vous avez toujours vécu en Suisse. Quels sont vos liens avec votre pays d’origine?
Zeynep Ersan En effet, je suis née à Ankara, mais je n’y ai vécu que peu de temps. Mes parents sont venus en Suisse pour sa position centrale en Europe qu’ils voulaient découvrir tout en y travaillant. Mon père était architecte, il a commencé comme dessinateur puis a pu exercer son métier. Ma mère était assistante de direction. C’était leur choix de vie, pas un exil contraint. Comme ils travaillaient tous les deux beaucoup, je passais toutes mes vacances en Turquie, à Istanbul. Ça m’a permis d’apprendre la langue, d’avoir des amis et surtout d’apprécier cette double identité.
Un sens de l’observation qui vous a permis de publier récemment Turquie, un pont entre deux mondes. Pourquoi ce livre?
Richard Werly (journaliste à Blick, ndlr) est le directeur de la collection L’âme des peuples. Il m’a proposé d’écrire ce livre. Cela me permettait de faire comprendre la Turquie aux lecteurs francophones par des rencontres avec des gens du pays et de dresser des parallèles entre les deux hommes forts: Mustafa Kemal Atatürk d’abord, puis Recep Tayyip Erdogan. Tous les deux tirent sur les mêmes ficelles: la question de l’identité. Atatürk devait créer la Turquie au sortir de la Première Guerre mondiale en misant sur le nationalisme. Erdogan suit le même chemin. Et tous les deux ont placé au cœur de leur action les femmes et la religion. Enfin, pour l’un comme pour l’autre, il s’agissait de redonner aux Turcs leur honneur perdu, en particulier aux Turcs d’Anatolie.
Quels effets auront ces élections dans le futur?
La Turquie a toujours eu besoin d’un leader avec une vision forte. Les régions où il y a eu les séismes ont voté Erdogan. Mais la crise économique ne va pas s’arrêter au lendemain des élections. Elle mine le pays. Autre grande question, celle de la migration. Cela nous concerne aussi. Rappelons qu’il y a 4 millions de Syriens en Turquie. La Turquie continuera à jouer son rôle de plaque tournante entre les grandes puissances. Erdogan ne se considère pas comme faisant partie de l’Occident. Dans le discours qu’il a tenu au soir de sa victoire, il a réaffirmé que pour lui, seule la Turquie compte.
Et pour les femmes?
Le gouvernement – et Erdogan l’a réaffirmé dimanche passé – considère que «les femmes doivent pouvoir porter le voile avec fierté» et les invite à ne pas «adhérer aux mœurs occidentales». Elles peuvent étudier, travailler, se promener librement, tout en étant fières d’être musulmanes. Le voile n’est pas obligatoire mais il est recommandé.
Quand vous vous baladez à Istanbul, comment ça se passe?
J’ai un appartement, dans un quartier plutôt conservateur. Quand je prends le métro pour aller au centre, je vois de tout, des filles en short qui discutent avec des femmes portant le voile. En ville, ce n’est pas un sujet.
Oui, mais les femmes ont-elles moins d’accès à une formation ou un travail depuis 2014?
Je pense que les femmes sans voile sont plutôt victimes de remarques de personnes – hommes ou femmes – bien plus conservatrices. Comme partout dans le monde, ces courants conservateurs progressent aussi en Turquie.
Les droits des femmes se seraient-ils améliorés avec la victoire de l’opposition?
Difficile à dire. Je vous donne un exemple. Erdogan avait d’abord signé la Convention d’Istanbul (celle du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences domestiques entrée en vigueur en 2018, ndlr) puis il a retiré l’engagement de la Turquie. Le candidat de la coalition d’opposition avait promis de la ratifier à nouveau en cas de victoire mais l’un des six partis qui formaient sa coalition a clairement posé son véto. On voit que les choses sont plus complexes.
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