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Récit poignant

Inna Geletiuk: elle a lancé le «Femina» ukrainien

Inna geletiuk elle a lance le femina ukrainien 1

«Cela peut paraître dérisoire dans un contexte où les gens souffrent et meurent, mais je crois qu’il est important de garder une presse lifestyle vivante qui donne aux lectrices et lecteurs d’Ukraine autre chose que des news anxiogènes.» - Inna Geletiuk

© ZOÉ JOBIN

Note: La version ukrainienne de cet article est disponible à la suite de la version française.

Inna Geletiuk est un peu notre alter ego ukrainienne, ici, chez Femina, alors forcément, son histoire nous interpelle et nous touche. Jusqu’au 23 février 2022, cette maman et brillante working girl était responsable de plusieurs publications dédiées au lectorat féminin, dont les magazines lifestyle Viva, Beauty.ua et Edinstvennaya, ainsi que des titres consacrés à la parentalité comme 4mama et Tvoï Malych.

Mais le 24 février, c’est un nouveau monde qui a commencé pour les Ukrainiennes et les Ukrainiens. Un monde où toutes les certitudes, toutes les choses patiemment construites au fil des décennies ont disparu. Ce jour-là, comme nombre de ses compatriotes, Inna, qui habite à Kiev, est sidérée par le lancement de l’«opération spéciale» décidée par Vladimir Poutine. Une invasion qui semblait jusqu’ici du domaine du bluff, de la science-fiction.

«Des avions de chasse russes faisaient soudain des piqués au-dessus de la ville et on entendait des bombardements, raconte-t-elle. J’ai dit à mon fils de huit ans que des gens voulaient juste nous faire peur, que ce n’était pas grave. Je souhaitais à tout prix lui éviter un choc.

Mais au fond de moi, j’avais compris qu’une guerre venait de commencer. Je n’ai eu qu’une obsession, partir loin de ce qui allait devenir un champ de bataille.»

Alors que l’invasion russe a débuté il y a quelques heures, Inna, accompagnée de son jeune garçon et des deux enfants de son frère, prend sa voiture et file tout droit vers l’ouest. Son fils aîné de 21 ans, lui, a décidé de rester. «J’ai tout quitté mais je ne regrette pas cette décision, car les hostilités ont vraiment débuté le lendemain, et c’est alors devenu très violent. Pas mal de collègues sont partis également. Mon assistante personnelle a vu son immeuble être bombardé.»

Inna laisse derrière elle cette patrie qu’elle aime tant et met le cap sur la Suisse, où résident plusieurs de ses connaissances. Vingt-deux heures de voyage sur les routes. «J’envisageais au départ de passer via la Hongrie, mais on nous a dit que les contrôles à la frontière étaient longs et laborieux. J’ai alors choisi de cheminer à travers la Slovaquie, puis la République tchèque et l’Allemagne. À Munich, tandis que je montrais mon passeport, quelqu’un a remarqué que j’étais native de Donetsk et on m’a demandé pourquoi je fuyais mon pays, puisque j’étais censée être contente que les Russes viennent chez nous. Tout le monde ne semblait pas comprendre que toute l’Ukraine est ukrainienne et que le récit d’un Donbass russe est une histoire fabriquée depuis des années par le Kremlin.»

Un destin ukrainien

C’est en effet dans la capitale de cette région tant convoitée par Poutine qu’a vu le jour Inna. C’était alors l’URSS. Pourtant, ses premières années ne ressemblent pas à l’enfance soviétique typique, encadrée et où les trajectoires semblent tracées à l’avance.

«Mes parents étaient médecins et étaient très ouverts d’esprit. Ils avaient travaillé à l’étranger, dont en Afrique. C’est probablement pour toutes ces raisons qu’ils ont favorisé un environnement stimulant pour nous. J’adorais tout ce qui avait trait à la créativité, et ils m’ont beaucoup soutenue dans mes passions. Ils m’encourageaient à suivre des cours en musique, en mathématiques, en peinture.»

Son père, qui n’adhère pas au Parti communiste, n’est pas intégré aux structures officielles garantissant les carrières dans les plus hautes sphères. «Grâce à eux, j’avais l’impression que tout était possible.» Inna envisage un temps de devenir journaliste, mais ses études à l’Université de Donetsk la conduisent finalement à explorer le management et le commerce.

Boom de la presse féminine

Son parcours professionnel la réoriente toutefois vers l’univers des médias. Après être venue travailler à Kiev pour suivre celui qui était son mari à l’époque, elle est ainsi recrutée par une entreprise dont nombre des Romands ont déjà entendu parler: Edipresse.

En 2000, l’entité, qui ne s’appelle pas encore Tamedia Publications romandes, décide de conquérir le marché ukrainien, dans lequel il perçoit un grand potentiel, sous le nom d’Edipresse Ukraine. Edinstvennaya, magazine féminin fondé en 1996, fait partie des publications du groupe.

Au fil des années, Inna est chargée de développer les différents titres et se retrouve bientôt à diriger une douzaine de médias féminins, parmi lesquels Viva, qui est un peu le Femina ukrainien. «J’étais très chanceuse de travailler chez Edipresse, car ils offraient beaucoup de liberté et ne fonctionnaient pas avec plein de strates bureaucratiques comme c’est parfois le cas dans les grandes entreprises.»

Mais la crise de 2008 passe par là et frappe durement le marché ukrainien. Puis arrive 2014. Tandis que le peuple ukrainien fait chuter le président Ianoukovytch, Poutine s’empare de la Crimée et se met à soutenir les indépendantistes du Donbass. La guerre commence dans l’est du pays. Le contexte étant devenu trop compliqué, Edipresse finit par se retirer d’Ukraine, mais les marques dirigées par Inna continuent et se regroupent sous la bannière d’EdiMedia Ukraïna.

«La distribution est toujours un peu difficile mais on a réussi à tout gérer par nous-mêmes. En 2021, on employait une centaine de collaborateurs. Puis le Covid, et surtout la guerre, ont presque tout mis par terre. Il faudra des années pour retrouver des journaux imprimés en Ukraine.»

© ZOÉ JOBIN

Lire pour vivre

Depuis février, certains sites internet continuent de fonctionner et de publier des articles, comme ceux de Viva et d’Edinstvennaya. «Cela peut paraître dérisoire dans un contexte où les gens souffrent et meurent, mais je crois qu’il est important de garder une presse lifestyle vivante qui donne aux lectrices et lecteurs d’Ukraine autre chose que des news anxiogènes.»

D’autant plus que le stress le plus intense hante tous les habitants, qu’ils soient encore sur place ou qu’ils aient fui à l’étranger. «Mon fils et les jeunes enfants de mon frère montrent déjà des signes de syndrome post-traumatique, même ici en Suisse. Dès qu’un avion passe dans les environs, ils s’inquiètent», déplore Inna.

Reste que celle-ci ne veut pas perdre tout espoir et se laisser entraîner dans les pensées négatives. «Je demeure optimiste et je sais que notre peuple se battra. Poutine a été vraiment stupide de sous-estimer notre fort sentiment patriote. Évidemment, je reconnais que je suis chanceuse. Ici, à Tolochenaz où je réside, l’accueil a été incroyablement chaleureux et humain.» Et l’avenir, alors? Un jour, espère-t-elle, elle et sa famille pourront revenir vivre en Ukraine. «Je suis toujours en contact avec mes collègues, dont mon éditeur, qui est actuellement sur le front.» Un pays qu’elle voudrait retrouver entier, en dépit des convoitises du Kremlin. 

Ce qui la fait sortir du lit

Le projet «Stand4WomenUA», un agrégat de dix médias féminins ukrainiens servant de ressource pour les femmes pendant la guerre.
Si vous voulez soutenir ce projet, écrivez-nous: redaction@femina.ch

Вона створила українську «Феміну»

До того, як Інна Гелетюк приїхала до Швейцарії як біженка, вона очолювала кілька жіночих журналів у Києві. Ми зустрілися з цією жінкою-борцем, захоплену медіа та жіночою справою

Текст Ніколя Пуансо Фото Зое Жобен

© ZOÉ JOBIN

Інна Гелетюк-Катющенко — наша українська колега тут, у «Femina», її історія промовляє до нас і зворушує. До 24 лютого ця мама та блискуча working girl була відповідальною за кілька видань для жінок, серед яких журнали про стиль життя «Viva», «Beauty.ua» та «Единственная», а також видання, присвячені батьківству, такі як «4mama» та «Твій Малюк». Але 24 лютого для українок і українців почалося нове життя. Життя, в якому зникли всі визначеності, все те, що терпляче будувалося десятиліттями. Того дня, як і багато її співвітчизників, киянка Інна була приголомшена початком «спецоперації» за наказом Володимира Путіна, повномасштабного вторгнення, яке досі здавалося блефом. «Російські винищувачі раптово з’явилися над містом і бомбардували, – розповідає вона. — Я сказала своєму восьмирічному синові, що ці люди просто хочуть нас налякати, що це не страшно. Я хотіла будь-якою ціною не шокувати свою дитину, але в глибині душі розуміла, що почалася війна. У мене була лише одна нав’язлива ідея – втекти з місця, яке мало стати полем битви».
Через кілька годин після початку російського вторгнення, Інна разом зі своїм маленьким хлопчиком та двома дітьми брата взяла свою машину й виїхала з міста на захід. Її старший 21-річний син вирішив залишитися.

«Я залишила все, але не шкодую про це рішення, тому що жорстокі бойові дії не вщухали. Багато моїх колег також виїхали. Моя особиста помічниця бачила, як бомбили її будинок». Інна залишила Батьківщину, яку вона так любить, і подалася до Швейцарії, де живе багато її знайомих. Двадцять дві години в дорозі. «Спочатку я планувала їхати через територію Угорщини, але нам сказали, що прикордонні перевірки тривалі й копіткі. Тому попрямували через Словаччину, Чехію та Німеччину. У Мюнхені, коли я показувала паспорт, хтось помітив, що я з Донецька, і мене запитали, чому я тікаю з країни, адже я мала би радіти, що до нас прийшли росіяни. Не всі, здається, розуміли, що Україна – українська, а розповідь про російський Донбас – це історія, яка роками вигадується Кремлем».

Українська доля

Справді, саме в столиці цього регіону, настільки бажаного Путіним, Інна з’явилася на світ. Тоді це був СРСР. Однак її ранні роки не нагадують типове радянське дитинство: під наглядом і де життєві орієнтири, здається, визначені наперед. Її батько, який не був членом компартії, не був інтегрований в офіційні структури, що гарантували кар’єру на вищих рівнях. Вона пригадує: «Мої батьки були лікарями і були дуже відкритими. Вони працювали за кордоном, у тому числі в Африці. Ймовірно, саме через це вони створили для нас стимулююче середовище. Я обожнювала все, що пов’язано з творчістю, і вони мене дуже підтримували в моїх захопленнях. Вони заохочували мене відвідувати уроки музики, математики, живопису. Завдяки їм мені здавалося, що все можливо».

Інна мріяла стати журналістом, але навчання в Донецькому університеті зрештою привело її до вивчення менеджменту та бізнесу. Проте, професійна кар’єра таки привела її у світ медіа. Після того, як слідом за колишнім чоловіком приїхала на роботу до Києва, почала працювати в компанії, про яку багато жителів Романдії вже чули — «Едіпресс». У 2000 році компанія, яка ще не називалася «Tamedia Publications romandes», бачила великий потенціал і вирішила вийти на український ринок під назвою «Едіпресс Україна». Одним із видань групи був жіночий журнал «Единственная», заснований у 1996 році. Протягом багатьох років Інна була відповідальною за розробку різних видань, і вже незабаром стала керувати десятком жіночих медіа, у тому числі «Viva», яка трохи схожа на «Femina». «Мені дуже пощастило працювати в «Едіпресс», тому що вони пропонували велику свободу і працювали без бюрократії».
Але криза 2008 року сильно вдарила по українському ринку. Згодом настав 2014 рік. Доки український народ скидав президента Януковича, Путін захопив Крим і почав підтримувати сепаратистів Донбасу. Почалася війна на сході країни. Контекст став занадто складним і Едіпресс зрештою пішла з ринку України, але бренди, якими керувала Інна, продовжили існувати та увійшли до «Едіпресс Медіа Україна». «Дистрибуція завжди є трохи складною, але ми впоралися з усім самостійно. У 2021 році в нас працювало близько 100 осіб. Потім Covid-19, а особливо війна, майже все зруйнували. Знадобляться роки, щоб відновити справу в Україні».

Читати, щоб жити

З лютого деякі сайти продовжують працювати і публікують статті, наприклад, «Viva» і «Единственная». «Це може здатися незвичним в умовах, коли українці страждають і вмирають, але я вважаю, що важливо підтримувати пресу про стиль життя, щоб читачі мали доступ не лише до тривожних новин». Тим паче, що сильний стрес нині переслідує всіх українців, незалежно від того, перебувають вони у горнилі війни чи виїхали за кордон. «Мій син і діти мого брата мають ознаки посттравматичного синдрому навіть тут, у Швейцарії. Як тільки пролітає літак, вони хвилюються», – зі смутком констатує Інна. Однак вона не хоче втрачати надію і концентруватися на негативних думках. «Я залишаюся оптимісткою і знаю, що наш народ буде боротися. Путін дійсно дурний, що напав на Україну і недооцінив наш патріотизм. Мені пощастило — тут, у Толошена, де я живу, мене зустріли неймовірно тепло і по-людськи. А зі своїми українськими колегами теж продовжую спілкуватися. Зокрема з редактором, який зараз на фронті». А що ж з майбутнім? Жінка сподівається, що колись разом із сім’єю зможе повернутися в Україну. До країни, яку вона хотіла б знову побачити цілісною, незважаючи на зазіхання Кремля.

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