littérature
Géraldine Savary: «Joël Dicker côtoie les fruits et légumes»
Le dernier livre de Joël Dicker est vendu sur les étals des supermarchés, à côté des fruits et légumes. Ouh, la honte, ouh le scandale, que dis-je le sacrilège! Les milieux littéraires en débattent, partagés entre celles et ceux qui s’en félicitent et les autres qui s’indignent de voir un livre (qu’ils profitent d’étriller) vendu comme un vulgaire bien de consommation.
Au-delà des qualités artistiques de l’œuvre – je laisse les lectrices et les lecteurs en juger, cet édito n’a pas vocation de critique culturelle –, on peut déjà remercier l’écrivain genevois de contribuer à ce que la population se jette dans la foulée sur les pommes, les carottes et les poires, bonnes pour la santé.
La littérature a toujours la cote
D’autre part, je constate qu’Animal sauvage trône en tête de vente dans toutes les librairies romandes, ce qui signifie que sa place dans les rayons des grandes surfaces n’affaiblit pas la légitimité des enseignes consacrées exclusivement aux bons vieux bouquins. Enfin, on devrait se réjouir quand un livre se consomme, quel que soit le support, quels que soient ses voisins de panier. Ça veut dire qu’il y a toujours des gens pour s’intéresser aux histoires, pour pleurer quand ils tournent les dernières pages ou pour veiller toute une nuit parce qu’ils n’arrivent pas à s’arrêter.
Concédons aussi à Joël Dicker un sincère engagement pour nous rappeler à quel point il est important de lire des livres et pas que les siens. Longtemps, assidûment, passionnément. Il en est tellement convaincu qu’il a édité l’ouvrage de la neuroscientifique américaine Maryanne Wolf. Lecteurs, reste avec nous! montre l’importance de la lecture profonde sur le raisonnement critique, les capacités d’empathie, et même l’exercice démocratique. Si la nouvelle génération reste ligotée à son smartphone ou aux seuls réseaux sociaux, elle ne pourra devenir l’architecte de son destin. À ne lire plus qu’en diagonale, le cerveau prend la tangente, nous rappelle la scientifique. Message entendu?
En tous cas, les plus jeunes n’ont pas encore atteint le stade du crétinisme vers lequel on les précipite parfois: on constate, comme dans des cercles littéraires à ciel ouvert, sans distinction ni de classe ni de diplôme, un regain d’intérêt pour les fragiles écrits, les vrais livres, pour la poésie, pour le beau papier. Donc, puisque c’est jour de congé, après avoir cherché les lapins de Pâques, lisez, lisez, lisez.
Retrouvez cet édito dans le magazine «Femina» du 31 mars 2024.