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Fabienne Proz Jeanneret, une vie au service de la justice des mineur-e-s

Fabienne Proz Jeanneret, une vie au service de la justice des mineur-e-s

Pour cette magistrate mère de deux enfants, il était impossible d’exercer ces fonctions avec une démarche purement procédurière.

© LUC FREY - MAKEUP: MARINKA HAAS/MAKEITUP THE AGENCY

Il suffit parfois d’une rencontre pour donner une direction à toute une vie. Dans le cas de Fabienne Proz Jeanneret, cela s’est passé à 12 ans, avec la lecture du roman Chiens perdus sans collier, de Gilbert Cesbron. L’écrivain français y narrait le parcours de gamins des quartiers pauvres. «Beaucoup auraient voulu devenir éducateurs après avoir lu cette histoire, mais moi, j’ai tout de suite eu envie de devenir ce vieux monsieur aux cheveux blancs, ce juge qui, dans le livre, essaie d’influer positivement sur le destin de ces jeunes défavorisés.» Promesse tenue.

Un demi-siècle plus tard, elle publie à son tour un ouvrage, C’est ma juge (Éd. Slatkine), récit de ses vingt-sept ans comme juge auprès des enfants à Genève. «J’avais commencé l’écriture de ce livre avec l’idée d’un devoir de mémoire envers ces jeunes dont j’ai croisé le chemin durant ma carrière. Mais il répondait également à une motivation plus personnelle, celle de libérer les émotions que je n’avais pas pu exprimer en audience.»

Juge de la protection de l’enfant

Pour cette magistrate mère de deux enfants, il était en effet impossible d’exercer ces fonctions avec une démarche purement procédurière. Une notion de responsabilité d’aider autrui, de savoir ouvrir des perspectives pour ces jeunes parfois engagés dans des voies sans issue, a vite guidé ses premiers pas: «En commençant mes études de droit, je savais déjà que je voulais devenir juge, mais pour mineurs, pas pour adultes. L’enfant est comme une glaise malléable et il est donc possible d’agir sur lui pour changer son futur.» D’abord avocate au barreau – «il me fallait une expérience significative de la vie avant de prétendre juger les autres» –, celle qui a œuvré toute sa vie à Genève, mais dont les week-ends et une partie de son cœur se sont bien souvent trouvés en Valais, origines familiales obligent, devient juge de la protection de l’enfant en 1993.

«Cette longue étape de mon parcours m’a permis d’instaurer un lien de confiance et de respect mutuel qui s’installe souvent entre les magistrats et les enfants.

Beaucoup m’appelaient «ma juge» en parlant de moi.

On se rend compte que notre rôle va bien au-delà de celui consistant à instruire des causes et rendre des jugements dans un tribunal.» En 2008, l’occasion de devenir juge des mineurs se présente. «Ce qui m’a motivée à accepter cette nouvelle fonction, c’était le nouveau droit pénal des mineurs, entré en vigueur en 2007, qui présentait une philosophie assez inédite: alors que la tendance, chez les pays voisins, est de juger de plus en plus les jeunes comme des adultes et de voir la peine privative de liberté comme la seule manière d’intervenir, le texte suisse suit une voie différente en prévoyant à la fois la possibilité de sanctionner mais aussi d’aider par des mesures d’éducation, de soins et de placement.»

Derrière l’infraction, une vie

Pour cette magistrate à la présence bienveillante, dont le mantra est d’être «douce mais ferme», il est fondamental de toujours donner le sentiment aux jeunes prévenus que la société a besoin d’eux, qu’ils peuvent réussir à faire quelque chose de bien, au-delà de leurs erreurs. «Grâce à cette nouvelle loi, on cherche à comprendre les raisons du passage à l’acte plutôt que de faire le focus sur l’acte lui-même. C’est sa spécificité d’obliger à faire la lumière sur l’environnement de vie et la personnalité de l’auteur des faits.»

Reste que Fabienne Proz Jeanneret n’idéalise pas tout, loin de là. Elle s’inquiète du manque criant de moyens pour encadrer la délinquance juvénile féminine, en nette augmentation ces dernières décennies. Alors que les filles représentaient autrefois 10% des mineurs devant rendre des comptes face à la justice, elles en composent aujourd’hui plus du tiers.

«Ce sont surtout les cas où des actes graves ont été commis avec une responsabilité pénale diminuée voire absente qui m’inquiètent.

La réforme de 2007 donnait dix ans aux autorités cantonales pour mettre à disposition des établissements fermés pour s’occuper de ces mineures. Les garçons, eux, disposent déjà d’un tel site, aux capacités certes insuffisantes.

Si les choses ont été accomplies pour les filles en Suisse alémanique, ce n’est pas le cas en Romandie, où une petite dizaine de mineures concernées chaque année demeure dans la nature faute d’institution alors qu’elles peuvent représenter des bombes à retardement.» Malgré ses efforts pour faire évoluer la situation lorsqu’elle était encore en fonction, rien n’a bougé. «En faisant ces démarches et ces recherches, je suis allée au-delà de ce qu’on attend d’un juge, mais j’ai toujours vu mon métier ainsi, aider les autres.» 

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