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Enseignante insultée: Le combat de Madeleine Courvoisier

Enseignante insultée: Le combat de Madeleine Courvoisier

L’État de Vaud a été condamné pour atteinte aux droits de la personnalité d’une enseignante secondaire, suite aux tags sexistes et injurieux qui ont visé Madeleine Courvoisier fin septembre 2019.

© BRIGITTE BESSON - MAKEUP: SANDRINE THOMAS

Fait rare, le Tribunal des prud’hommes de l’Administration cantonale (Tripac) a condamné, le 21 février 2024, l’État de Vaud pour atteinte aux droits de la personnalité d’une enseignante secondaire, suite aux tags sexistes et injurieux qui l’avaient visée fin septembre 2019. «Le manque de soutien de l’État de Vaud a porté atteinte aux droits de la personnalité [de l’enseignante]». De plus, «l’absence de réaction de l’État de Vaud condamnant les tags constituait potentiellement une discrimination», a tranché la Cour. Précisons que les détails de la décision du Tripac ne sont pas connus et qu'un recours de l'État est encore possible.

Avant le témoignage de Madeleine Courvoisier, l'enseignante visée par les tags incriminés, à propos de cette expérience difficile, petit retour en arrière.

Rappel des faits

«Sale pute. Courvoisier la pute», accompagné de dessins obscènes de phallus et de vulve, sur 2 mètres à la sortie d’un passage menant à l’école fin septembre 2019. Ce tag est resté une semaine en place (car recouvert dans l’urgence d’une peinture lavée derechef par la pluie). À la suite de cela, Madeleine Courvoisier a peu à peu perdu le sommeil et l’appétit, attendant en vain une prise de position officielle auprès des élèves et de leurs parents, comme l’auraient fait d’autres hiérarchies pour dire qu’un tel geste est inacceptable.

Son supérieur a au contraire estimé à l’époque (et a répété devant le tribunal) qu’une telle réaction aurait été «contreproductive». Femme discrète qui n’avait jamais pris la parole en conférence des maîtres en dix ans, Madeleine Courvoisier a dénoncé devant ses collègues ce qui lui apparaissait comme une «gestion patriarcale». Et a dit sa peine de ne pas avoir été appelée par sa direction.

Elle a été applaudie. Réaction du directeur, relatée dans 24 heures à l’époque: «Vos applaudissements sont une gifle pour le conseil de direction!» Si bien que les enseignant-e-s avaient dû écrire qu’ils et elles avaient simplement voulu signifier leur soutien et empathie à leur collègue meurtrie et non disqualifier leur hiérarchie.

Le directeur n’a ni appelé ni rencontré Madeleine Courvoisier. Il a expliqué au Tripac que c’est parce que la situation était si tendue suite à un différend sur le nombre d’heures d’enseignement qu’il et elle ne devaient désormais plus se rencontrer en l’absence d’un tiers. Selon ce qu’il a déclaré au tribunal, c’est pour cette raison que l’enseignante aurait fait «mousser cette affaire» des tags.

Concernant son manque de communication aux élèves, il a déclaré devant le Tripac: «Je pense que, parfois, ne pas remuer les choses va plus dans une démarche d’apaiser les choses.» Il n’a pas non plus apprécié que Madeleine Courvoisier exprime qu’elle avait des soupçons sur un élève précis, devant lequel elle a dû dans un premier temps continuer à donner la classe tout en se sentant humiliée. Au terme de l’enquête de la police, seul un auteur du tag (ex-élève de l’école) a été interpellé, sans qu’il soit clair s’il avait d’éventuels complices.

Le directeur a reconnu devant le Tripac: «J’aurais pu lui demander plus directement ce qu’elle aurait souhaité que nous entreprenions en tant que direction scolaire.» Sans doute procédera-t-il différemment à l’avenir: «Dans les mêmes conditions, je veillerai à quittancer avec la victime les démarches entreprises et à lui demander si elle a d’autres attentes en lien avec les événements». Au final, cette affaire a constitué un frein dans la carrière de l’enseignante, qui a dû changer d’établissement en 2020.

Contacté par nos soins, le directeur a répondu qu’il ne lui est «pas possible de donner suite» à notre requête. Condamné par le Tripac, l’État de Vaud va-t-il recourir? «En tant qu’employeur, la DGEO ne peut s’exprimer sur cette affaire sans connaître les motivations du jugement. Une fois ces motivations connues, une analyse sera faite sur les suites à donner ou non à cette affaire.» Elles seront rendues ces prochains mois.

FEMINA Cette affaire a atteint votre santé. Ce jugement vous aide-t-il sur la voie de la résilience puisqu’il vous reconnaît comme victime?
Madeleine Courvoisier Je suis légitimée dans ma lutte pour mes droits fondamentaux et ma dignité. Mais je subis aussi le contrecoup d’un long combat qui a généré beaucoup de souffrance. J’ai connu la dépression. Une victime, même reconnue par la justice, ne sort jamais indemne de ce qu’elle a traversé.

Après l’injure (une infraction punie pénalement), vous avez souffert davantage de l’absence de réaction de votre hiérarchie…
J’ai attendu des heures et des jours. Je considère que non seulement ma direction n’a pas pris la mesure de la gravité et du mal que ces tags sexistes et pornographiques pouvaient me faire, mais ma hiérarchie s’est retournée contre moi. Le soutien dont j’aurais impérativement eu besoin s’est mué en hostilité, parce que j’ai osé déclarer en conférence des maîtres, après neuf jours de silence et d’abandon de leur part, que la façon dont ils et elles géraient cette situation était une honte. Tenue par mon devoir de réserve, je ne peux révéler le contenu d’un mail dont le tribunal a eu connaissance, qui ne laisse planer aucun doute sur le fait que j’ai été immédiatement clouée au pilori pour avoir parlé, bien qu’on n’ait eu de cesse d’affirmer que l’on m’avait soutenue.

Au moment du tag, un membre de la direction vous a assuré par mail son «soutien moral». Il vous a donc demandé des excuses publiques pour avoir affirmé que vous n’aviez pas été soutenue. Comme s’il suffisait de le dire pour que ce soutien soit réalisé…
Il s’est senti offensé par mes propos, alors que moi je n’avais pas le droit d’être blessée par des tags me portant outrage et par l’absence de réaction de ma hiérarchie. Ils et elles m’ont aussi reproché plus tard de ne pas avoir su formuler clairement l’aide que j’attendais. C’est oublier qu’une victime se retrouve dans un état de sidération. Humiliée et terrassée, on ne sait pas, on ne peut pas dire.

J’avais juste besoin d’écoute et de chaleur humaine. Qu’on examine avec moi ce qui pouvait être fait concrètement, notamment en termes de communication aux élèves et aux parents.

À l’inverse, une chape de silence s’est abattue sur l’établissement. Quel message envoie ainsi l’école aux élèves et en particulier aux jeunes filles? Qu’on tolère d’insulter une femme, de surcroît une enseignante! C’est très grave. Selon moi, il était essentiel que l’école, en tant qu’institution garante de nos valeurs morales et éducatives, condamne pareils actes.

Un de vos ex-collègues a estimé que «sale pute» n’était pas sexiste, mais appartenait aux «petites insultes, comme ça», dans le vocabulaire des élèves. N’appartient-il pas aux enseignant-e-s de les rendre attentifs au caractère sexuel et sexiste de ce genre d’insultes?
Absolument. Et cette minimisation est malheureusement représentative de l’inconscient collectif qui nous habite, même nous les femmes. Des collègues sont allé-e-s jusqu’à me dire que je devais prendre cette insulte comme la preuve de l’importance que j’avais pour certain-e-s élèves… Que ne faut-il pas entendre! Ce n’était pas le mot «conne» qui figurait en grand sur le mur, mais bien celui de «pute» et de «sale pute». L’insulte visait ainsi directement l’intimité et l’intégrité d’une femme.

Je suis de nature plutôt discrète et réservée. Pourtant, la douleur et la colère étaient telles que je devais non seulement me défendre mais aussi dire le droit des enseignant-e-s à être entendu-e-s et soutenu-e-s en cas de violences et de discriminations.

Ce qui m’est arrivé met également en lumière les difficultés auxquelles les enseignant-e-s sont de plus en plus confronté-e-s, parmi lesquelles le sexisme à l’école, qui existe mais dont personne ne parle.

De la part d’autres profs?
Oui, en partie, et surtout de la part d’élèves. Dans les années du secondaire I (9 à 11 P Harmos), les garçons traversent un âge où ils se séparent symboliquement de leur mère et où ils découvrent la sexualité. Asseoir son autorité d’enseignante face à des élèves en pleine mutation n’est donc pas simple. Il faut aussi avoir le courage de dire que la mixité culturelle n’est pas évidente à gérer.

Quelles sont les solutions?
Déjà, prendre conscience des problématiques devant lesquelles les enseignants, et encore plus les enseignantes, demeurent trop souvent seul-e-s.

Les autorités scolaires doivent prendre en compte nos réalités au sein d’une institution qui reflète l’évolution de la société.

Nous pourrions nous inspirer des personnels soignants qui, grâce à des débriefings et à une analyse constante de leurs pratiques, réfléchissent ensemble aux façons d’aborder les difficultés. Que fait-on pour endiguer les agressions verbales et physiques contre les enseignant-e-s? Si je témoigne aujourd’hui à visage découvert, c’est parce que la justice m’a donné raison et que mon affaire dépasse largement ma propre personne.

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