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Débat à l'école: Quand la tablette remplace le tableau noir

Débat à l'école : Quand la tablette remplace le tableau noir

«En quoi est-ce un progrès que l’école dépense des millions pour du matériel informatique condamné à l’obsolescence, consommateur d’énergie, dans une période comme celle que nous traversons?» - Anne-Marie Cruz, coprésidente de l’association Rune

© GETTY IMAGES/KLAUS VEDFELT

Les enfants de Neuchâtel et du Jura ont commencé l’année scolaire le lundi 15 août 2022, les autres ont suivi ou suivront en file dispersée ces prochains jours. Un domaine par contre où les cantons tiennent le même agenda: l’introduction, durant l’école obligatoire, de l’éducation numérique. Finis les tableaux noirs, les craies qui salissent et qui crissent, désormais les classes romandes se mettent aux écrans interactifs.

Neuchâtel en a fait son thème principal de rentrée. Le canton prévoit entre autres de mettre à disposition un ordinateur pour quatre élèves (au lieu de six) pour les 7 et 8e années. Fribourg a annoncé un programme très ambitieux, pour un montant de 75 millions avec référendum obligatoire. Genève discute de projets de loi pour financer des équipements numériques. Le canton du Valais forme ses enseignant-e-s et dans le canton de Vaud, le nouveau conseiller d’Etat Frédéric Borloz annonce la présentation devant le Grand Conseil d’une enveloppe supplémentaire pour étendre l’enseignement numérique sur tout le territoire. Les autorités politique semblent unanimes dès qu’on parle écran digital.

Ce n’est pourtant pas le cas parmi les scientifiques. Les responsables des programmes PISA, observateur-trice-s de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) dans le domaine de l’éducation, portent des conclusions dubitatives pour ne pas dire critiques au tout à l’écran à l’école. On les cite, pour poser le débat:

«Au cours des dix dernières années, les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les technologies de l’information et de la communication n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences.»

D’autres spécialistes un brin provocateurs, tel Michel Desmurget (La fabrique du crétin digital), précisent: «Au mieux la dépense est apparue inutile, au pire, elle s’est montrée néfaste.» Selon elles et eux, il faudrait plutôt décoloniser les cerveaux fascinés par le mirage numérique.

Des résistances dans les cantons

Ces observateurs critiques sont rejoints par des personnes (enseignant-e-s, parents d’élèves, logopédistes, etc.) ou organisations (environnementales ou syndicales) qui s’opposent à la présence plus soutenue des tablettes et autres écrans dans l’enseignement primaire. Dans le canton de Fribourg, une manifestation s’est tenue le 30 juin pour s’opposer au projet du Conseil d’État d’octroyer un ordinateur à chaque enfant, au moment du cycle d’orientation; à Genève, une association, RUNE, a lancé une pétition, soutenue par le Grand Conseil, pour demander un moratoire sur les investissements numériques à l’école primaire. Alors, est-ce une bonne ou une mauvaise idée que nos enfants accèdent à l’éducation numérique dès la primaire?

Anne-Marie Cruz, coprésidente de l’association RUNE à Genève, soulève de nombreuses questions face à ce que certains appellent le fétichisme technologique. «Les cantons avancent au pas de charge, ils disent que s’ils ne le font pas, ils seront les derniers. Mais en quoi ces investissements onéreux sont-ils une urgence?»

«En quoi est-ce un progrès que l’école dépense des millions pour du matériel informatique condamné à l’obsolescence, consommateur d’énergie, et en plus dans une période comme celle que nous traversons actuellement où il faut viser la sobriété énergétique?»

Crystel Graf, cheffe du Département de l’instruction publique dans le canton de Neuchâtel, au contraire, considère que c’est la mission de l’école de prévenir les enfants des dangers du numérique, de les former aux bonnes pratiques. «La plupart des activités que nous introduisons cette année sont débranchées, ajoute-t-elle. Elles consistent à expliquer aux enfants l’impact d’internet, de mettre en garde contre certains contenus, de réfléchir aussi à la manière d’appréhender l’information.» Il y a bien eu quelques critiques mais le projet a été largement accepté. «Nous avons travaillé différemment des autres cantons, rappelle la conseillère d’État. Nous avons attendu que soit adopté le plan d’études romand, puis dès cette année formé 600 enseignant-e-s à l’éducation numérique.»

Hébétude et fake news

Anne-Marie Cruz pointe le doigt sur un autre problème. «Chez les petit-e-s, tout ramener à l’audiovisuel génère un phénomène d’hébétude. L’enfant est happé par l’écran au détriment des contenus d’apprentissage.»

«Ce type d’enseignement ne favorise pas la socialisation et l’empathie pour les autres, n’amène pas de regard critique sur le monde, voire conduit à des troubles de l’attention.»

«C’est encore pire pour des enfants vivant dans les milieux modestes qui passent beaucoup de temps à la maison devant leurs tablettes.» Pour l’association RUNE, il faut distinguer l’éducation au numérique (prévention, explication, recherches des sources, lutte contre les fake news, etc.), pour laquelle ses membres agréent, et l’éducation numérique, qui consiste à utiliser le support digital comme instrument d’éducation.

Crystel Graf défend elle aussi la volonté de faire de l’école un lieu de prévention. «C’est la mission de l’école de prévenir contre les dangers du numérique. D’autant plus que les parents n’ont pas bénéficié de ce type de formation. Pour les enfants plus grand-e-s, on les amène à trier les données trouvées sur internet, à repérer ce qu’ils et elles cherchent, à faire la distinction entre les messages publicitaires et l’information, à leur montrer aussi l’impact de l’utilisation des écrans pour le développement durable.»

Petit-e-s branché-e-s

Ne pas céder à l’enseignement par gadget? Voilà qui convient au président du Syndicat des services publics dans le canton de Vaud, Julien Eggenberger: «Il y a des choses à faire en termes d’éducation au numérique, mais il faut se garder de construire une école à travers les écrans.»

«Pour les petit-e-s, les retours sont très positifs concernant les activités débranchées, on a par contre de plus gros doutes pour les plus grand-e-s.»

«Il y a des matières qui s’enseignent très bien sans le support numérique. Certes, la mission de l’école est de préparer les enfants, sinon Microsoft le fera. Mais ce sont les contenus qui comptent, pas les supports.»

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