diversité
Canton de Vaud: des initiatives pour une école arc-en-ciel
En cette année 2021-2022, qui réunit 91 000 jeunes sur les bancs de l’école obligatoire vaudoise, près de 1800 élèves sont potentiellement trans, non-binaires ou en questionnement. C’est-à-dire qu’ils et elles ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance, ou ne s’identifient pas exclusivement en tant que fille ou en tant que garçon. La transidentité ou la non-binarité peuvent être vécues difficilement, à la maison tout comme dans le cadre scolaire: intimidation, discrimination, harcèlement, ces violences doivent être réduites afin d’offrir un environnement propice à l’épanouissement. De leur côté, les élèves lesbiennes, gays ou bisexuels – 5 à 10% de la population serait concernée, rapporte le site de l’État de Vaud, donc potentiellement 1 à 2 élèves par classe – peuvent également vivre un parcours scolaire compliqué.
Agir contre les LGBTIQ-phobies
Face à ce constat, le Département de la formation (DFJC) a lancé à la rentrée d’août 2021 un plan d’action afin de lutter contre l’homophobie et la transphobie dans les lieux de formation vaudois des scolarités obligatoire et postobligatoire. Une initiative pionnière en Suisse romande, qui a pour but de «garantir un environnement d’apprentissage et de travail exempt de discriminations et respectueux de l’ensemble des personnes, quelle que soit leur orientation affective et sexuelle, leur genre, leur configuration familiale», annonce la présentation du plan. Harmonisation des formulaires administratifs, nomination d’une personne-ressource, précision de la marche à suivre pour accompagner des élèves trans et non-binaires (prénom et pronom d’usage, utilisation des toilettes, etc.) et guide pédagogique cantonal sont différentes mesures qui seront déployées progressivement.
«De plus, des conférences sont proposées à destination des parents, à la demande des APE locales et, depuis le mois de mars 2022, je dispense une formation continue à la HEP Vaud sur la prévention et le traitement de l’homophobie et de la transphobie.»
Plaider en faveur de la diversité, un devoir de l’école? «Son rôle est précisément d’offrir un apprentissage de l’ouverture au monde, aux autres», explique Adèle Zufferey, psychologue FSP, sexologue et codirectrice de la Fondation Agnodice, qui accompagne les mineurs trans, non-binaires et en questionnement et leur famille, afin qu’ils puissent vivre au mieux leur identité. «Si les jeunes que nous accompagnons aujourd’hui ont moins de problèmes à l’école qu’auparavant, grâce à une meilleure compréhension des thématiques LGBTIQ, ils sont plus souvent la cible de violences et de harcèlement que les élèves cisgenres, poursuit la psychologue. Rappelons que les jeunes trans et non-binaires ont 7 fois plus de risques de faire des tentatives de suicide, et, dans des cas moins extrêmes, la stigmatisation peut mener notamment à des comportements à risque, une détresse psychologique et une baisse des résultats scolaires. Être accepté dans son identité ressentie offre en outre de meilleures chances d’insertion professionnelle», développe Adèle Zufferey.
Visibiliser la diversité en classe
Combattre les LGBTIQ-phobies à l’école, c’est aussi lutter contre des normes tenaces d’expression de genre et d’orientation sexuelle, fortement établies dans la société. D’après une étude de la chercheuse canadienne Gabrielle Richard, parue en 2016, le fait d’omettre de «présenter des modèles identitaires, conjugaux et familiaux s’émancipant des hétéronormes en suggérant que la discrimination d’élèves sur la base d’une expression de genre atypique puisse dans certains cas être considérée comme légitime, ou encore en discourant sur la nature féminine ou masculine comme une essence déterminée, (les enseignants) peuvent contribuer à la reproduction d’attentes liées à la conformité de genre, à la complémentarité des sexes et à la contrainte à l’hétérosexualité.» L’école aurait donc un rôle déterminant à jouer dans l’éducation des jeunes à la diversité.
Certains membres du corps enseignant n’ont pas attendu la mise en place du plan d’action vaudois pour sensibiliser leurs étudiants. Marion, la trentaine, est enseignante au secondaire I. Elle n’a pas été formée à bannir les stéréotypes de genre, mais elle mène des recherches de son côté afin de ne pas cloisonner ses élèves de 9, 10 et 11H dans des hétéronormes répressives: «Je lis des articles et je m’informe sur Instagram, confie Marion. Je suis notamment des comptes de personnes trans pour mieux connaître leur vécu. Acquérir des outils me permettra de mieux gérer la prise en charge d’un ado concerné, si j’y suis amenée un jour.» Dans ses cours, l’enseignante féminise son matériel pédagogique en ayant recours au point médian:
Toutefois, évoquer la question du genre en classe peut être un défi. «J’ai abordé la transidentité dans un cours de débat: le thème était l’installation de toilettes non genrées à l’école. La méconnaissance des étudiants m’a étonnée, relate Marion, et certains ont toujours une vision très binaire de la société.» Dans son établissement, le sujet fait aussi débat en salle des maîtres et Marion ne se sent pas toujours soutenue dans sa démarche: «L’écriture inclusive passe mal», regrette-t-elle. La jeune femme craint également la réaction des parents d’élèves et, malgré sa volonté, elle n’est pas encore prête à utiliser le pronom neutre iel.
Pas compliqué pour les enfants
Le langage inclusif est un débat profondément idéologique. Selon ses détracteurs, les outils linguistiques comme le point médian, pour abréger les doublets, ou encore le pronom iel, qui peut désigner des personnes non-binaires, sont incompréhensibles et inutilisables. Surtout pour les enfants. Sophie*, la trentaine également et enseignante en primaire dans un établissement vaudois, prouve le contraire avec son travail de déconstruction des stéréotypes auprès de sa classe de 6H: Iels se marieront. Iel jouait. Rafraîchir – rafraîchissant·e. Le musicien ou la musicienne porte un casque. Les êtres humains du néolithique sont appelés des éleveur·euse·s: un langage inclusif court, fluide, dans les exercices de français et d’histoire de ses élèves les plus doués, âgés de 9 ou 10 ans. C’est que l’enseignante aborde la question du genre dès la 5e, lorsqu’ils révisent les pronoms et les accords en conjugaison.
«Iel côtoie les autres pronoms dans mon tableau de classe, cependant je ne l’exige jamais», souligne-t-elle. Le langage inclusif ne se limite pas aux pronoms: la maîtresse de classe parle et écrit en prononçant les doublets, c’est-à-dire la forme féminine d’un nom, aux côtés de la forme masculine. «Les enfants m’imitent, autant les filles que les garçons. Il arrive même qu’ils reprennent des adultes, se réjouit l’enseignante. Je sens que rendre le langage plus égalitaire est important pour eux.» Les limites? «Nous nous cantonnons aux noms, car ils n’aiment pas un texte entier accordé à l’inclusif. Les dyslexiques ont également plus de peine, mais je fais attention que ce langage ne pénalise aucun enfant.»
Si les élèves de Sophie ont rapidement compris que le genre n’est pas forcément binaire, pour eux, l’homosexualité est moins évidente. Or, il est également important pour la jeune femme de visibiliser les minorités amoureuses et sexuelles. «Si leur référentiel est hétérocentré, les enfants vont avoir une première réaction de rejet», analyse Sophie. Tout l’art est de dénicher une porte d’entrée vers le sujet.
Ces apprentissages feront vraisemblablement de ces jeunes des individus capables d’ouverture d’esprit: «Si on ouvre leurs possibilités, ils mettront aussi moins de temps à se trouver eux-mêmes», complète Sophie. L’an prochain, la jeune femme aura une nouvelle classe. Tout est à refaire. «Recommencer à zéro avec des enfants qui ne savent pas écrire à la plume, c’est pénible. Mais recommencer à parler de diversité, c’est génial», conclut l’enseignante, avec enthousiasme.
«Un effet de mode!» Vraiment?
Cette critique répandue sous-entend qu’il y aurait plus de jeunes LGBTIQ+ aujourd’hui qu’il y a 10 ou 15 ans. Pas complètement faux, selon la psychologue et sexologue Adèle Zufferey: «C’est vrai qu’on voit plus de jeunes LGBTIQ, mais c’est parce que ces questions sont plus médiatisées, dès lors, les jeunes se permettent plus facilement de parler tôt de leur homosexualité ou de leur transidentité.» L’âge du coming out a d’ailleurs drastiquement baissé à chaque nouvelle génération, comme le montre une étude de 2021: de 50 ans chez les baby-boomers, il est passé à 34 ans pour la génération X et à 17 ans aujourd’hui. «Une meilleure accessibilité à l’information et des modèles à suivre sur les réseaux sociaux offrent la possibilité de réfléchir différemment», poursuit la codirectrice de la Fondation Agnodice.
«C’est un questionnement profond et, malheureusement, beaucoup de personnes subissent du harcèlement et des agressions.»
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