recherche au féminin
Science: rencontre avec trois jeunes Romandes époustouflantes
Ce matin-là, autour d’une tournée de jus d’abricot, Alice Krieg, Cassandre Emmenegger et Sara Pereira Dias sont presque surprises de se retrouver réunies pour une interview croisée. Surprises, mais ravies de l’opportunité qu’on leur donne la parole. Venues de trois cantons différents, les jeunes femmes ont en commun leur âge, 18 ans, et d’être sélectionnées pour la finale du Concours national de science et jeunesse, qui se tiendra le 21 avril prochain sous les palmiers de Lugano.
Pour sa 56e édition, le plus grand concours suisse officiel consacré à la recherche scientifique et aux jeunes talents entre 16 et 23 ans réunira cinquante-huit filles pour cinquante-neuf garçons. Une quasi-parité qui fait rêver tout en laissant un peu perplexe quand on se penche sur les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique autour de la représentation des femmes dans la science et la recherche en Suisse: elles seraient en effet 36%, entre les entreprises privées, la Confédération et les hautes écoles à faire une carrière scientifique. Mais à l’âge des trois protagonistes du jour, les filles sont largement majoritaires dans les filières vouées aux sciences. Car c’est à partir du master que la proportion s’inverse entre les sexes.
Émotions, vagin et pleine conscience
Peu importe, ces chiffres n’impressionnent pas le trio de scientifiques motivées à bloc pour la finale et pour la suite de leur parcours. «Je suis en option biologie-chimie au Collège Saint-Michel à Fribourg, et on est beaucoup plus de filles que de garçons, commente Cassandre Emmenegger. Je suis en dernière année de collège et encore en réflexion, mais je pense que je vais aller à l’Université de Genève en pharmacie. J’ai toujours été passionnée par les laboratoires de chimie et de biologie, j’ai envie de travailler sur du concret.»
Également en chimie-biologie, mais au Lycée Denis de Rougemont à Neuchâtel, Sara Pereira Dias s’oriente plutôt vers la psychologie pour la suite de ses études. Un choix qui peut-être s’explique par le thème de son travail de maturité.
Approche scientifique oblige, Sara, guidée par une experte, s’est appliquée à analyser les émotions de manière très objective: «On a retranscrit ce que les participant-e-s ont dit afin de regarder les mots qui avaient des connotations plus liées à une certaine émotion. Ensuite, on a divisé par le nombre de mots pour voir le pourcentage d’émotions pour chaque participant. Au final, il y avait peu de corrélations entre les émotions et la performance, mais on a quand même pu voir que la tristesse, par exemple, influençait négativement à l’entretien d’embauche.»
Clash de générations
À l’écoute de ce que Sara raconte tout en sirotant son jus avant de prendre la parole, Alice Krieg sort de son sac son propre travail de maturité qu’elle a terminé il y a deux ans au Gymnase de la Cité, en option philo-psycho. «Aujourd’hui, j’étudie les sciences sociales à l’Université de Lausanne. Contrairement à Sara et Cassandre qui étudient les phénomènes physiques, chimiques et biologiques, j’étudie les phénomènes sociaux et culturels de nos sociétés, soit une autre approche des sciences», raconte Alice.
Militante engagée, Alice suit notamment un séminaire en genre. Lorsqu’elle lit le titre de son travail, Le sexe féminin dans l’Antiquité gréco-romaine: le vagin en phallocratie, son engagement féministe prend toute sa dimension. «À la base je voulais le faire sur les menstruations dans l’Antiquité gréco-romaine, mais le sujet de la femme est déjà tellement invisibilisé dans cette période de l’histoire que je n’ai trouvé qu’un article sur les menstruations», raconte Alice.
Si Alice s’attendait à avoir peu de sources, elle n’était pas prête à un tel clash de générations: «Il y a des médecins qu’on idéalise dans le monde scientifique qui sont très misogynes. J’ai été surprise par certaines phrases chocs, comme dans le dictionnaire de l’Antiquité dans lequel Aristote suggère que "le corps masculin est la norme et le corps féminin est une déviation par rapport à cette norme". Quand ils parlent de la femme, ils parlent de mâle inversé, et tout est toujours en comparaison avec l’homme. Ça s’inscrivait dans mon militantisme comme sujet.»
Le calme avant la finale
Un peu bouche bée à l’autre bout de la table, même si elle juge les propos d’Aristote relayés par Alice aujourd’hui définitivement dépassés, Cassandre affiche un calme olympien lorsque vient son tour. Peut-être un effet de la méditation qu’elle pratique depuis toute petite, en famille? Elle sourit, et admet que c’est en tout cas ce qui l’a menée à choisir le sujet de son travail de maturité, soit les effets de la méditation de pleine conscience sur le bien-être. Épaulée par une experte neuroscientifique qui travaille depuis vingt ans sur la méditation, Cassandre a ainsi réalisé un sondage auprès d’une soixantaine de participants, avec des questions subjectives sur la méditation. En parallèle, la Fribourgeoise a joué les cobayes.
Si biologiquement elle n’a pas pu le mesurer, Cassandre a constaté une meilleure gestion des émotions à la suite de la pratique de la méditation chez les participant-e-s: «Les effets se remarquent notamment avec une baisse du stress et plus de calme ressenti.» Un silence s’installe alors autour de la table, comme si l’évocation de ce retour au calme était un souhait pour la finale. Une petite appréhension teintée d’impatience joyeuse après une demi-finale qui a eu lieu en virtuel. Alice, Cassandre et Sara ont beau être en compétition, après avoir passé une heure ensemble, elles n’ont qu’un objectif en tête: se retrouver en vrai à Lugano.
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