Coronavirus
Comment parler à un ami complotiste?
Avant, on pouvait se moquer sans arrière-pensée des différentes théories du complot qui essaimaient ici ou là. Entre les terre-platistes et l’existence d’une entité reptilienne qui se cacherait sous les traits des puissants de la planète, il y avait en effet matière à rire. Mais voilà, depuis, l’épidémie de Covid est passée par là, avec son florilège de théories du complot.
Surtout, il arrive désormais que ce soient des proches qui colportent ces absurdités à l’heure de l’apéritif, alors qu’on a à peine levé nos verres pour faire santé; comme lorsque la tante de Patricia fait savoir à la tablée qu’elle ne téléchargera pas l’application SwissCovid, car elle permet à la Confédération de surveiller ses faits et gestes… ou, plus grave, comme lorsque cette collègue et amie conseille à ses proches de lire un texte appelé Plandémie (qualifié d’intox par l’AFP ou le Décodex du Monde, notamment, mais diffusé massivement par les milieux conspirationnistes), qui explique en gros que le virus a été «activé par des lobbies» pour permettre une campagne mondiale d’un vaccin contenant… une intelligence artificielle programmée pour nous affaiblir.
Afin que ces moments avec nos proches ne finissent pas en bataille rangée, des spécialistes – des complots comme du savoir-vivre – nous ont livré leurs trucs et astuces pour désactiver ces petites bombes potentielles. Et non, nous n’avons pas oublié la baronne Nadine de Rothschild.
Le grand méchant Bill
En guise de préambule, Thomas Huchon, grand spécialiste des questions de complot, note que c’est le propre des questions de santé publique que d’intéresser tout le monde, «car potentiellement tout le monde peut être touché». De plus, cette épidémie contient tous les ingrédients d’un succès conspirationniste: elle est brusque, ses origines sont peu claires, il n’existe pas de solution clés en main et il y a même un grand méchant tout désigné, Bill Gates la plupart du temps.
Pour ce journaliste devenu expert ès fake news, face à ces incertitudes, de nombreuses personnes cherchent des informations sur le virus. «Le problème est que pas mal de monde se tourne alors vers les moteurs de recherche, les plateformes de partage de vidéos, les réseaux sociaux… des endroits sans vrai contrôle, sans ligne éditoriale, avec peu de vérifications de l’information, quelles que soient les mesures aujourd’hui mises en place. Et les gens se retrouvent vite à la ramasse.»
Désinformés sur la Toile, ils vont ensuite transmettre ce qu’ils ont appris; en ligne, mais aussi à leurs proches – nous, en l’occurrence. Ainsi, tout un tas de conspirationnistes qui s’ignorent entament un gigantesque travail de sape, persuadés de détenir le savoir. Prenez des notes, voilà comment gérer ces moments délicats.
9 façons de gérer ces situations
Espionner ses connaissances sur les réseaux sociaux
Dans un monde idéal, on connaît ses amis. Toutefois, il arrive fréquemment qu’une connaissance un chouia plus lointaine se retrouve à la même table que nous. Avant de faire une blague sur le génie maléfique de Bill Gates, on pourra donc aller vérifier sur différents réseaux sociaux ce que la personne en question a posté, afin de se faire une idée. «D’abord, quand on a des copains extrémistes, on ne les mélange pas avec tout le monde», prévient d’emblée Marie de Tilly, experte en savoir-vivre et business étiquette. «C’est pareil quel que soit le domaine: on se renseigne un peu sur les gens qu’on invite, ne serait-ce que pour connaître leurs habitudes alimentaires ou leur religion, histoire de ne pas présenter des plats qu’ils ne pourront manger. De la même manière, je me renseigne toujours sur la culture de telle ou telle entreprise avant de prendre la parole.»
Prévenir les autres invités
L’ère des cartons d’invitation est certes derrière nous, mais Claudine Robert, directrice de l’Ecole des bonnes manières, à Neuchâtel, conseille, lorsque vous invitez des amis à un événement, de leur permettre de voir qui d’autre est invité (en créant un groupe sur WhatsApp ou en mettant tous les invités en copie du mail). «De cette manière, on sait à qui on a affaire et si on n’a pas envie de voir telle ou telle personne, on dira qu’on a déjà un engagement. On ne devrait jamais inviter des gens pour les prendre en traître.»
Eviter le sujet…
Prendre les devants pour assurer toutes les chances de passer une bonne soirée, c’est bien, mais comment réagir sur le moment, en plein repas? Premier tuyau, partagé par toutes nos papesses des bonnes manières: éviter le sujet. Ça paraît facile? «N’oubliez pas que certaines personnes complotistes voudront à tout prix entrer dans la polémique; ne leur faites pas ce plaisir», martèle Marie de Tilly, aperçue plusieurs fois à la télévision aux côtés de Stéphane Bern. Moi, je ne rentrerais pas dans ce jeu-là, parce qu’il ne sert à rien de discuter avec des gens qui sont persuadés d’avoir raison, qui sont bornés et qui cherchent la confrontation.» La réponse est cinglante. Elle est appuyée par Nadine de Rothschild:
… Ou le remettre à plus tard
Votre connaissance tient mordicus à vous faire part de ses croyances et vous ne voulez pas envenimer la situation? Claudine Robert a une proposition: «Je dirais à cette personne que je ne connais pas très bien le sujet, ou que je ne suis pas scientifique, et que je préfère ne pas donner mon opinion même si j’en ai une, explique-t-elle. Je lui dirais quelque chose comme: écoutez, nous sommes à un délicieux repas entre amis et je pense que ce n’est ni le moment ni le lieu pour en débattre, mais j’en discuterais très volontiers avec vous à un autre moment, autour d’un café par exemple. On orientera alors la conversation sur des sujets plus anodins.»
Et la baronne d’en rajouter: «Si vraiment on ne veut pas rester enfermé dans une discussion qui ne nous convient pas, il faut la couper… et parler chiffons! La personne devrait comprendre la manœuvre.»
Prendre son temps
Comme l’assure le journaliste Thomas Huchon, il faut partir du présupposé que discuter sérieusement de théories complotistes avec une personne convaincue va prendre du temps. «C’est long et fastidieux, il faudra s’armer de patience.» Et dégainer son plus beau sourire, selon Nadine de Rothschild: «Il peut arriver qu’une discussion ne nous intéresse pas. C’est notre droit, mais c’est aussi notre devoir de ne pas s’en offusquer. Des mauvaises langues, des imbéciles et des incompétents, il y en aura toujours. Il faut faire semblant… et sourire, en n’en pensant pas moins!
Poser des questions
Même si l’envie est grande de balayer toute affirmation complotiste d’un revers de main, n’hésitez pas à poser des questions. «Interroger, c’est la meilleure manière de mettre un peu de recul, insiste Thomas Huchon. Plutôt que de dire: tu racontes n’importe quoi, lui demander où il a appris ça, dans la bouche de qui?»
Ne pas être dans la confrontation
Dans les discussions entre amis comme dans les débats politiques, le proverbe Le premier qui crie a perdu est valable. Et comme le souligne Sophie Mazet, auteure d’un Manuel d’autodéfense intellectuelle, «il ne sert à rien d’attaquer bille en tête, d’affirmer: ce que vous dites est faux. Ce serait contre-productif.» Pour cette enseignante, interviewée par LCI car elle apprend à ses élèves à repérer des fake news, les deux meilleures armes pour lutter contre les théories du complot sont l’humilité et le manque de certitude.
Argumenter, mais pas trop
Si le cœur vous en dit, sortir quelques faits peut être utile, mais on évitera le mille-feuille argumentatif. Comme le résume Thomas Huchon, «si on n’arrive pas à convaincre une personne avec trois arguments, on n’y arrivera pas avec cinq ou dix.» Car l’adhésion à une thèse conspirationniste n’est pas rationnelle, c’est une croyance. «Si vous essayez de contrecarrer une croyance avec du savoir, c’est comme d’essayer de faire rentrer un rond dans un carré, ça ne peut pas marcher.» Nadine de Rothschild est plus catégorique: «C’est tout simple: ne fréquentez pas des gens qui ont un sale caractère.»
Revoir son ami complotiste (ou pas)
Doit-on profiter de la fâcheuse découverte des tendances complotistes de nos proches pour les rayer de nos vies, ou au moins de notre liste de fidèles camarades, pour les repas et autres apéros? «Il faut se poser la question au cas par cas. Si c’est un ami proche ou un membre de la famille qui nous a déçus par ses propos, il faut passer par-dessus, pardonner, oublier. La personne a d’autres qualités qui compensent.
En revanche, si c’est quelqu’un qu’on vient de rencontrer, ça n’est pas la peine de s’encombrer de son amitié», détaille Nadine de Rothschild, qui ne manque pas de formules pour illustrer son conseil: «Personnellement, je préfère boire mon vin sans devoir le couper à l’eau. Il en va de même pour ces discussions, pourquoi vouloir les diluer, alors qu’on peut juste passer à autre chose et profiter des vraies saveurs d’une conversation plus enrichissante?» Paroles de baronne.
Nos 10 théories du complot préférées #NousSachons
1. Bill Gates aurait créé ce virus pour vacciner la population mondiale et lui implémenter une micro-puce dans la foulée. Le fondateur de Microsoft a été contraint de démentir, tant les vidéos l’accusant de vouloir «contrôler les masses» sont devenues virales. Les accusations sont parties de conférences datant de 2015, et repartagées, dans lesquelles le milliardaire annonçait que le monde n’était pas prêt pour la prochaine épidémie. Il faisait référence à Ebola.
2. Il s’agirait d’un programme d’armes biologiques chinois, conçu dans le laboratoire de Wuhan, d’où l’épidémie est partie. La moitié des adhérents veulent que la propagation soit un acte volontaire, l’autre moitié parlant plutôt d’un accident.
3. En Chine aussi, on accuse les autres pays d’être responsables du virus, dont… les Etats-Unis, qui l’auraient créé pour «cibler précisément le peuple chinois». En mars, l’ambassadeur chinois à Washington
a été convoqué par le gouvernement américain pour s’expliquer.
4. Après la chauve-souris et le pangolin, le raton laveur est aussi devenu persona non grata, puisque, en anglais, racoon est l’anagramme de corona. De plus, il passe son temps à se laver les mains et porte un masque…
5. La mouvance d’extrême droite américaine QAnon a affirmé que Donald Trump avait planifié la pandémie pour ordonner un confinement. Il aurait eu pour but de procéder à une «arrestation massive de pédophiles, de politiciens, de personnalités comme Tom Hanks ou Hillary Clinton et d’acteurs hollywoodiens».
6. Selon certains, la 5G propagerait le virus; selon d’autres, elle serait même à l’origine du virus. Des antennes ont été détruites aux Pays-Bas et au Royaume-Uni où ces théories sont très populaires.
7. Dans un post Facebook viral, des internautes avancent que Nostradamus avait prédit la pandémie. Or, les textes partagés… n’ont jamais été écrits par l’auteur français.
8. La Corona a été désertée par les amateurs de bières – on n’est jamais trop prudent, n’est-ce pas. Un sondage publié en mars aux Etats-Unis a montré que 38% des sondés ne boiraient plus de Corona. Parmi eux, 16% soupçonnent un lien entre le virus et la bière. Quand le Covid était encore un sujet de plaisanterie, en janvier et février, les ventes de Corona avaient augmenté de 5%.
9. Par peur de se faire griller les neurones par les pistolets thermomètres (ce qui évidemment n’arrive pas), au Mexique, les clients des magasins ont réussi à faire plier les vigiles: ces derniers prennent désormais leur température au poignet.
10. Fake news encore, des recettes permettraient de se prémunir contre le virus, parmi lesquelles se laver à l’huile de sésame ou à l’urine d’enfant, manger de l’ail ou du foie de bœuf, boire de la Javel (attention, ce peut être mortel), du jus de fenouil ou de gingembre.
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