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Carole Gomez: «Les joueur-euse-s de rugby sont des diplomates en short»

Carole gomez les joueur euse de rugby sont des diplomates en short

De g. à d.: Sydney Niupulusu (Australie), Damian de Allende (Afrique du Sud) et Charles Ollivon (France).

© UNSPLASH/THOMAS SERER - GETTY IMAGES/RAMSEY CARDY-KELLY DEFINA

FEMINA Quelle est aujourd’hui la place du rugby dans le monde?
Carole Gomez
C’est un sport qui présente encore plein de contradictions, car tout dépend du point de vue qu’on adopte. D’un côté, on constate une pratique très développée en Europe et une forte empreinte culturelle, tandis que, dans d’autres espaces du monde, le rugby est absent. C’est, finalement, un sport encore en construction au niveau planétaire. On compte 132 fédérations nationales autour du globe, ce qui est assez peu au vu de sa longue histoire.

Quelles valeurs véhicule-t-il?
C’est une question au cœur de l’ADN du rugby. Tout un narratif s’est construit au fil du temps. La solidarité, l’abnégation, le respect aussi, sont convoqués dans le cadre de cette discipline, mais je crois que ces fameuses valeurs sont de plus en plus devenues un enjeu de communication, voire un argument marketing, même si je pense qu’il y a un fond de vérité. À mes yeux, un sport n’est pas porteur de valeurs par essence. Et les risques de dérives, de triche, de violence, sont tout aussi présents ici.

On dit souvent que le rugby est un sport de brutes pratiqué par des gentlemen, tandis que le foot serait, lui, un sport de gentlemen pratiqué par des brutes…​
Il y a des faits historiques derrière cette anecdote. Au départ, le rugby était pratiqué par les étudiants dans les collèges prestigieux de l’Empire britannique. Si des règles venaient encadrer le jeu, ce sport restait un sport de contact, de mêlée, de regroupement.

Mais sous ses aspects violents, encore une fois, beaucoup de règles sont là pour produire un jeu intéressant et cohérent à regarder. Le foot, lui, a très vite été un sport populaire pratiqué par toutes les classes sociales et est moins assimilé à ce milieu d’hommes de l’élite et de la noblesse.

Dessine-t-il une autre manière de faire du sport, plus à l'écart des grands enjeux d'argent?
Evidemment, le football ou le basket évoluent dans des sphères très différentes de celle du rugby, qui reste assez confidentiel. Ce sport est en retard sur ce point. La mondialisation demeure incomplète. Il n'y avait que huit fédérations dans la fédération internationale il y a quarante ans. Ce sont surtout les coupes du monde de rugby organisées dans les années 80 qui ont permis le développement et la structuration de ce sport. Le retard sur le plan de la professionnalisation est également à souligner.

Dans le football, il a très vite été vu comme normal que les joueurs puissent recevoir des dédommagements, avant même que ceux-ci touchent des salaires réels. A l'inverse, l'amateurisme est un pilier essentiel du rugby, il était davantage perçu comme un hobby à ses débuts. Ainsi, la professionnalisation n'est apparue qu'en 1995. C'est seulement depuis cette date que les choses ont pu prendre de l'ampleur, avec des salaires en progression et des transferts de joueurs entre clubs qui se monétisent de plus en plus. Il y a donc une vraie accélération depuis trente ans, mais avec presque un siècle de retard.

Ce sport est-il valorisant pour les pays concernés?
Cela dépend des pays. Le rugby appartient au patrimoine national au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, et il existe une véritable diplomatie sportive passant par les performances de leurs joueurs. Cette discipline suscite un fort sentiment d’appartenance, il y a presque un patriotisme qui s’est développé autour.

Les joueurs sont en quelque sorte des diplomates en short. Il y a aussi les Fidji, les Samoa, les Tonga, des États insulaires du Pacifique Sud que le rugby permet de faire exister sur la scène internationale. C’est un outil de soft power.

Quelle autre géopolitique propose-t-il?
Il existe une polarisation historique entre les pays du Commonwealth et le reste du monde. Mais la France, exclue du Tournoi des cinq nations dans les années 30 à cause de ses joueurs réputés trop violents, a quand même su exister en développant une vraie politique en matière de rugby. Plus récemment, on voit de nouveaux pays émerger, tentant de devenir de futures puissances mondiales du rugby, notamment les USA et la Chine, qui ont trouvé, avec ce sport, un autre moyen de se mesurer.

Le fait que le rugby soit devenu discipline olympique en 2016, et ce, dans la version de la pratique du rugby à sept, offre aux pays une nouvelle opportunité pour briller à l’international, notamment pour les nations où ce sport est moins présent traditionnellement. Le rugby à sept, avec des clubs plus restreints, laisse une porte ouverte aux outsiders, en particulier parce qu’il nécessite des qualités athlétiques et tactiques différentes. Le petit archipel des Fidji est par exemple la meilleure nation du globe en matière de rugby à sept.

Pourquoi n'est-ce pas le rugby à quinze qui s'est imposé discipline olympique?
Le temps de récupération nécessaire entre deux matchs est long à cause de l'extrême engagement physique, c'est pourquoi les coupes du monde s'étalent sur presque deux mois. Un tel timing est cependant inadapté pour des JO qui durent à peine trois semaines. Le rugby à sept, avec ses matchs de quatorze minutes, permet d'organiser un championnat international avec de nombreuses nations représentées dans un laps de temps aussi court.

Qu’en est-il du rugby féminin?
On constate une amélioration de sa visibilité depuis l’organisation de la Coupe du monde féminine en 2014. L’affluence dans les stades a été importante. Au début, le nombre de pratiquantes était estimé entre 500’000 et un million, ce qui constitue un vivier potentiellement intéressant de talents à développer pour World Rugby, la fédération internationale. On sait qu’un programme avait été mis en place pour booster les politiques en matière de rugby féminin, il y a cinq ans, mais il y a encore peu de suivi et de communication sur ces thématiques et sur les possibles évolutions.

Le Covid a malheureusement fragilisé les clubs, surtout ceux qui étaient déjà les plus vulnérables, autrement dit les clubs féminins, qui recevaient moins d’argent. Depuis, plusieurs grands clubs féminins de rugby ont fermé au Royaume-Uni.

On demande aux sports féminins de faire leurs preuves et de montrer leur potentiel, mais cela s’avère difficile à tenir si l’on donne moins de moyens aux sportives qu’aux sportifs. Pour qu’il y ait un retour sur investissement, il faut déjà faire un investissement.

Comment développer la pratique des femmes?
Je sais que la question de la sécurité dans ce sport peut être rebutante pour les joueuses, comme pour les joueurs, d’ailleurs. On a documenté beaucoup d’accidents lors de placages et de mêlées, on a vu sortir des rapports scientifiques sur la récurrence des commotions cérébrales et leurs conséquences sur le long terme, et cela a pu générer des craintes chez les parents. Les chiffres du nombre de licenciés semblent d’ailleurs en baisse depuis quelques années.

Le risque est en effet que se crée une désaffection du public face à ces pratiques trop violentes. Pourtant, ce sport est à la base, en théorie, un sport d’évitement. On a sans doute trop mis l’accent sur la puissance physique brute et la confrontation spectaculaire récemment, alors qu’on pourrait revenir à l’origine de ce sport, où l’on évitait d’abord le contact. Certaines équipes sont en train de développer davantage cette approche.

© DR

«Géopolitique du rugby», de Carole Gomez (Éd. Dunod).

La finale de la Coupe du monde du rugby se déroulera le samedi 28 octobre 2023 à 21 heures au Stade de France à Paris, pour un choc qui s’annonce forcément historique.

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