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Interview

Le yoga nous fait-il vraiment du bien?

Le yoga nous fait il vraiment du bien

Pour l'auteure Zineb Fahsi, on donne au yoga des vertus exagérées: «Il ne doit pas être regardé comme la solution aux dérives de notre société ultralibérale, dont le stress, la fatigue, le surmenage sont devenus des problèmes systémiques.»

© GETTY IMAGES/TOM WERNER

Adulé sur tous les continents, pratiqué en club, au travail, dans les hôpitaux, le yoga connaît une popularité exponentielle depuis les années 60. Et pour cause: dans notre quotidien grignoté par le stress permanent et le consumérisme effréné, cette discipline millénaire au carrefour de la philosophie et du travail sur le corps apparaît comme un remède idéal. Mais a-t-on eu raison de faire du yoga l'un des piliers contemporains du développement personnel?

Dans Le yoga, nouvel esprit du capitalisme (Éd. Textuel), un essai aussi érudit que polémique, Zineb Fahsi, professeure de yoga et diplômée en sciences politiques, affirme que cette pratique a été caricaturée, voire dénaturée, pour mieux promouvoir les valeurs ultralibérales de notre société: amélioration continue de soi, responsabilité individuelle de son bonheur, culte de la performance... Si nombre de bienfaits du yoga sont avérés pour la santé mentale et physique, n'y a-t-il pas ainsi le risque de nous faire oublier le principal: que ce sont d'abord les dérives de notre société qui nous rendent malades et que ce sont aussi sur elles qu'il faudrait agir? Entretien avec une passionnée qui plaide pour une approche plus émancipatrice de la discipline.

FEMINA Pourquoi avez-vous commencé le yoga, et pourquoi ensuite l'enseigner?
Zineb Fahsi
J'ai découvert cette discipline il y a plus de dix ans, lors d'un voyage à Bali, et comme beaucoup, je suis entrée dedans de façon assez caricaturale, c'est-à-dire via le côté physique, postural, mis en avant dans le yoga mondialisé. Avec le temps, je suis devenue encore plus accro et j'ai exploré la dimension méditative, la respiration, ainsi que les soubassements philosophiques, ce qui m'a donné envie d'approfondir davantage le versant historique. Quelques années plus tard j'ai suivi des cours afin de devenir enseignante, car je ne trouvais plus trop goût à mon métier d'avant.

Qu'est-ce que cette pratique a changé pour vous?
Mon métier, déjà. Mais surtout, le yoga a été une manière pour moi de plonger dans les questionnements existentiels tout en se raccrochant au quotidien. J'ai toujours été passionnée de philosophie et cette discipline nourrit ma curiosité. Evidemment je profite aussi des bienfaits avérés du yoga, qui invite à se recentrer, à baisser son niveau d'anxiété. Tous ces bénéfices sont réels dans la vie de tous les jours.

Vous soulignez pourtant dans votre livre que les textes fondateurs du yoga, parmi lesquels le Yoga Sūtra, la Bhagavad-Gītā ou la Haṭha yoga pradīpikā, sont loin de mettre en avant la dimension du bien-être, de l'amélioration de soi.
Lors de mes premières années de pratique, je baignais dans le discours d'un yoga qui aiderait à être plus productif, plus résilient, plus adaptable. Or je n'étais pas certaine que ces textes fondateurs parlaient du bonheur comme on en parle aujourd'hui. En approfondissant ces écrits, j'ai réalisé que les différentes versions du yoga prémoderne avaient surtout pour vocation d'ouvrir un chemin vers l'ascèse, qui parle de tourner le dos au monde, de transcender vers un état plus élevé que la vie ici bas, synonyme de souffrance. Elles le permettaient par une promesse de concentration et un état méditatif profond. En fait, le yoga des origines évoque davantage l'oubli de soi que sa valorisation.

Comment expliquer cette tendance actuelle mettent l'accent sur la performance physique et la recherche de bien-être?
La diffusion du yoga depuis l'orient s'est opérée par plusieurs faisceaux. La branche la plus visible a fait plusieurs aller-retours entre l'Inde et les USA, et notamment la Californie. Les premiers intérêts portés au yoga ont eu lieu à la fin du XIXe siècle, lorsque l'Inde était encore une colonie britannique. L'élite hindoue, dans une démarche nationaliste, souhaitait refonder et redévelopper la religion traditionnelle à l'aune de la religion occidentale, pour montrer que celle-ci n'avait pas le monopole. Pour marquer sa différence avec elle, on a mis en exergue les dimensions de sagesse et de spiritualité millénaires, en s'appuyant sur la réutilisation de vieux clichés orientalistes d'une religion authentique et non corrompue par l'occident.

En outre, comme il était question de lutter contre la colonisation, il a été opportun de valoriser la force et la vigueur de la population hindoue via le yoga notamment. Il ne s'agissait pas juste de techniques de libération du corps et de l'esprit, mais également de techniques de renforcement. C'est surtout cette approche physique, posturale, qui a conquis les pays occidentaux par plusieurs vagues successives au cours du XXe siècle, en particulier aux Etats-Unis, avec une démocratisation massive durant les années 60 et la naissance de la contre-culture. Depuis, nous avons largement affaire à un yoga très américanisé, idéalisé et conceptualisé autour des valeurs en vogue dans la société ultralibérale des USA.

Avec le succès planétaire qu'on connaît...

Marie Kock (qui a signé Yoga, une histoire-monde, Éd. La Découverte, ndlr), une auteure que j'aime beaucoup, dit du yoga qu'il fonctionne comme «une planche de salut aussi accessible que transformatrice». Je suis plutôt d'accord avec ça.

Beaucoup de gens ressentent une certaine fatigue de notre mode de vie mettant beaucoup d'exigences sur les individus, il y a des questionnements qui ne sont pas ou peu traités par la société contemporaine, qui prend ses distances avec la religion. On tend alors à chercher des réponses dans d'autres univers que la spiritualité «locale». Cette dimension un peu à la carte de la spiritualité actuelle est favorable au yoga.

Ont-ils raison de pratiquer cette discipline?

On sait que le yoga a des effets très positifs sur les individus, donc oui. Mais ce qu'il faut aujourd'hui dire, c'est qu'on lui donne des vertus exagérées. Oui il détend, met à distance de l'état anxieux, mais il reste une sorte de pansement sur une plaie ouverte.

Il ne doit pas être regardé comme la solution aux dérives de notre société ultralibérale, dont le stress, la fatigue, le surmenage sont devenus des problèmes systémiques.

Avec cette promotion du yoga, on cherche parfois à faire porter aux gens la responsabilité de leur bien-être, de leur équilibre mental, alors que les causes sont souvent extérieures à eux. Le yoga peut aider à mieux les supporter, même s'il ne doit pas faire perdre de vue que les progrès pour toutes et tous se feront à l'échelle politique, économique et sociale.

C'est-à-dire?
Un exemple frappant selon moi est celui d'Amazon, qui a installé des cabines baptisées «Amazen» dans ses entrepôts. Le but est de permettre aux employés d'y prendre des pauses reconstructrices, de méditer, de faire des exercices de respiration. Tout ça pour les encourager à supporter les cadences infernales et inhumaines imposées en toute connaissance de cause par l'entreprise...

Ici l'instrumentalisation du yoga est claire, comme dans nombre de situations professionnelles où on le présente comme la méthode miracle pour rester à flot. Sauf qu'il ne faut pas juste tout attendre du yoga, il faut aussi savoir lutter collectivement pour faire évoluer les choses. Il est de la responsabilité des enseignants de ne pas trop promettre à ce sujet, et de rappeler que le babyfoot c'est bien, mais que le droit du travail c'est mieux.

Est-ce pour cela que vous avez voulu écrire ce livre?
En effet, au fil des années de pratique, une sorte d'inconfort est né à ce sujet. Ayant fait des études de sciences politiques, j'ai gardé cette habitude de porter un regard critique sur la société. Dans le cadre des cours ou des formations, j'entendais des phrases comme «le bonheur est une affaire de disposition intérieure», ce qui me faisait tiquer, car cela ressemblait un peu trop à des rengaines venues du développement personnel.

Je sentais par ailleurs que les profs étaient assez mal à l'aise avec la dimension ascétique des yogas prémodernes, comme s'il fallait évacuer cet aspect qui ne coïncide pas avec ce qu'on attend souvent de cette discipline. On voit de nos jours des gens en leggings faire des postures en groupe sous la tour Eiffel, on est bien loin de la conception des origines.

A-t-on eu tort d'inclure le yoga dans la sphère du développement personnel?
Je crois que oui, en effet. Le yoga est à l'opposé de ce développement du moi, car il invite l'oubli du petit moi pour s'élever vers ce qui est plus grand. Cette discipline s'intéresse peu à la singularité des gens, il y est plutôt question de se relier aux autres par ce qui nous est commun. On notera par ailleurs que la notion de «soi» dans les textes fondateurs du yoga en Orient n'a que peu à voir avec la définition moderne occidentale.

Alors que les promoteurs des techniques de développement personnel visent la réalisation de soi, le yoga, lui, était plutôt orienté vers la réalisation du Soi.

La discipline telle qu'elle est promue aujourd'hui participe à faire croire qu'on porte la responsabilité de se transformer soi et pas de transformer le monde si quelque chose va mal dans notre vie. Beaucoup de pratiquants de yoga vont apporter une réponse individuelle de quête de perfection et d'amélioration de soi en devenant végétariens, en consommant moins, mais peu s'imagineraient apporter une réponse sociale et politique. Le yoga est judicieux quand on est prêt à accorder de l'attention aux autres, à prendre conscience de l'interdépendance entre les individus.

Au fond, comment devrait-on pratiquer le yoga et avec quel état d'esprit? En revenant aux origines?
Il faudrait déjà revenir à davantage d'humilité et de simplicité. Le yoga est une pratique merveilleuse mais il ne faut pas l'accompagner de promesses irréalistes. L'industrie du bien-être accueille souvent des gens en période de vulnérabilité et il serait malhonnête de capitaliser là-dessus pour promouvoir une discipline comme le yoga, qui en outre est parfois, dans certains lieux, à la limite de la dérive sectaire. Les pratiquantes et pratiquants devraient peut-être un peu plus lui rendre hommage en s'intéressant aux textes, à sa culture, remettre le yoga en perspective et sortir de la dimension purement posturale et de performance dans laquelle on l'a enfermé ici en occident, pour s'ouvrir à des dimensions plus vastes.

On a parfois tendance à oublier que cette discipline nous aide à nous relier à nos émotions et à notre corps, c'est une invitation à une expérience incarnée de notre existence. Elle nous connecte également davantage aux autres, elle nous rend plus à l'écoute de l'altérité, au vécu de nos semblables, aux injustices.

En résumé, le yoga peut nous donner l'énergie de transformer le monde, mais il ne changera pas le monde à lui tout seul.


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