Sobriété heureuse
Pourquoi nous devrions tous tester un mois sans alcool
«J’ai bien réfléchi et je pense que le mois d’octobre est le meilleur moment de l’année pour faire une cure sans alcool. J’ai moins de fêtes, pas trop d’amis à visiter, pas de voyages de prévus… oui, en octobre, je serai moins tentée», raconte Élise, 28 ans, un peu écœurée de son été trop arrosé au rosé piscine. Et l’envie de la jeune femme de s’offrir une pause «alcohol free» n’est pas une lubie isolée. Sur les réseaux sociaux, la cuite du samedi soir n’est plus du tout l’expression d’une vie sociale triomphante. A l’image du mouvement Sober Curious, lancé par Ruby Warrington, une journaliste américaine quadra, et qui réunit des gens «tentés d’essayer la sobriété», les réseaux mettent désormais en avant un mode de vie healthy où le gif assoiffé du vendredi n’a plus sa place.
Interviewée par le Guardian, elle explique qu’elle s’adresse depuis 2016 à ceux qui se situent dans la zone grise de l’alcool, à ceux qui «picolent un peu mais pas trop». Elle souhaite que les gens interrogent leur rapport à la substance et, à terme, qu’ils ralentissent leur consommation. Questionnée par le média Bustle, elle analyse:
La nouvelle icône de l’abstinence light a également lancé Club Söda (Sober Or Debating Abstinence), un mouvement de consommation responsable, qui s’étend dans les pays anglo-saxons et aide ses adhérents avec, notamment, des plannings d’objectifs sans alcool. Club Söda organise ainsi des soirées sobres dans les bars et possède également dans son giron le Mindful Drinking Festival, qui a pour objectif de recréer une société inclusive où les gens qui ne boivent pas d’alcool ne passent plus pour des rabat-joie.
Nouvelle ère
A Paris cette fois, les «free spirit» ou boissons sans alcool, – ne dites plus «mocktails» – emballent de plus en plus de bars pointus et composeraient plus de 25% des cartes. En outre, fin mai 2019, l’Irlande ouvrait son premier pub sans alcool, qui l’eût cru! Enfin, selon Alcohol Change UK, 4,5 millions d’Anglais ont participé en 2019 au Dry January. Pour le Dr Thierry Favrod-Coune, spécialiste de l’addiction à l’alcool aux HUG, une nouvelle ère est définitivement arrivée, et voir la tendance des pauses sans alcool se généraliser est une bonne chose. «D’ailleurs, plusieurs pays organisent des défis sans alcool comme le Québec ou la Belgique avec sa Tournée Minérale qui montre, dans sa campagne au profit de la lutte contre le cancer du sein, des jeunes dansant en buvant… de l’eau.» Le spécialiste ajoute:
Dans une Suisse où la consommation est globalement haute par rapport à ses voisins européens et au reste du monde, mais qui a tout de même tendance à baisser un peu, l’expert encourage les gens à faire plusieurs pauses sans alcool dans l’année. Le choix du mois n’a pas d’importance et «la durée peut être d’une semaine ou de plusieurs semaines. Tout est bon à prendre». L’enjeu? «Voir si on arrive à se passer d’alcool, bien sûr, reprendre son sens critique par rapport à la quantité d’alcool ingéré et perdre sa tolérance.» En résumé, si on ressent de l’ivresse au bout de quatre verres seulement, ce n’est pas normal.
Modération et bénéfices
L’intérêt d’un sevrage, ce sont également les bienfaits sur notre santé. Pour le professeur Jean-Bernard Daeppen, chef du service de médecine des addictions au CHUV, il est indéniable qu’au bout d’un mois sans alcool, les effets positifs sur notre corps sont multiples. Le premier constitue une vraie carotte, puisque l’arrêt de la consommation peut amener à une perte de poids. Pour se donner une idée concrète, un verre de vin correspond aux kilocalories d’un yaourt, environ 100. Vous n’avez plus qu’à faire le calcul! L’expert ajoute: «Chez les gros buveurs, lors de l’arrêt de la prise d’alcool, j’observe des visages moins bouffis, les rougeurs et les œdèmes disparaissent.»
Interviewée sur Bustle, Michelle Cady, une coach santé américaine et auteure de «Self-Care in the City», raconte un fragment de sa quasi vie de «teetotaller» (soit une personne qui ne boit jamais d’alcool): «Il y a quelque chose de très libérateur dans le fait de vivre sans alcool et de se réveiller sans gueule de bois», dit-elle. «En 2017, je n’ai pas bu pendant 100 jours et j’avais tellement d’énergie le matin! Je me levais à 6h15, sans réveil, prête à partir. Je ne me souvenais plus de m'être sentie aussi bien que ça.» Toutefois, l’énonciation de tous ces bénéfices ne doit pas cristalliser les «dry months». Selon le Dr Thierry Favrod-Coune, «pratiquer une période de modération ne signifie pas qu’on peut partir en beuverie le reste de l’année». Le Pr Jean-Bernard Daeppen martèle quant à lui: «L’important est de rester dans le contrôle et de s’éloigner durablement de la dépendance.»
Solution dans la tempérance
Besoin de faire le point sur votre consommation? Le Dr Thierry Favrod-Coune encourage la visite du site internet stop-alcool qui propose d’évaluer son rapport à l’alcool et des accompagnements en cas de besoin. Le spécialiste rappelle les recommandations de l’OFSP qui sont, pour une femme, de 5 à 7 verres d’alcool par semaine, jamais plus de 4 verres par occasion pour un usage ponctuel, deux jours d’abstinence par semaine au moins, ainsi qu’une mise en garde en cas de grossesse, au travail et en voiture. Le Pr Jean-Bernard Daeppen résume:
Il alerte: «L’alcool, même à petite dose, augmente les risques de cancer du sein et du colon.» Le dernier rapport de l’OMS, publié le 4 septembre 2019, révèle en outre les autres dangers du psychotrope: en dépit d’une diminution globale du nombre de décès, en Europe l’alcool reste responsable de 5,5% de l’ensemble des décès.
Et si on n’arrive pas à s’arrêter par nous-mêmes parce que «la sobriété n’est pas aussi facile que de mettre un filtre Instagram», dixit l’Américaine Laura McKowen, ex-alcoolique et auteure du livre «We are the luckiest: The Surprising Magic of a Sober Life» (à paraître en janvier 2020)? Le spécialiste est clair: «On en parle au plus vite à son médecin.» Son mot de la fin? Arrêter ne vous fera pas de mal. Le prochain WhatsApp «Un verre ce soir?» n’aura peut-être plus le même goût, mais en Belgique, on «s’enjaille» à l’eau minérale, alors, pourquoi pas nous?
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