Nutrition
Jeûner, est-ce bon pour la santé?
La nourriture est au centre de nos préoccupations. En témoigne le nombre phénoménal d’articles, d’émissions, de sites, de pages de réseaux sociaux ou encore de livres consacrés à la cuisine, d’une part, et à la nutrition ou au «mieux manger» d’autre part. Et, depuis quelque temps, au jeûne. Une pratique de plus en plus populaire qui se décline sous toutes sortes d’appellations mais obéit toujours à la même règle. À savoir «supprimer toute prise alimentaire pendant un certain temps», résume la Dre Maaike Kruseman, responsable du cabinet MK-Nutrition à Carouge.
Prudence, prudence!
L’idée de base de cette tradition ancestrale: purifier et détoxifier l’organisme, mettre le système digestif au repos et alléger son esprit. Que du positif, donc? A priori. Parce que les choses ne sont pas tout à fait aussi simples. Évidemment.
Également chargée de cours à l’Institut de sciences du sport de l’Université de Lausanne, l’experte en nutrition et diététique explique ainsi que si ne pas manger peut avoir des effets bénéfiques dans certaines situations précises, ce n’est toutefois pas sans dangers. Ainsi, physiologiquement, on risque de provoquer ou d’aggraver des carences et, psychologiquement, de déclencher des troubles du comportement alimentaire.
En clair, pour elle, quelles que soient les raisons pour lesquelles on décide de s’y mettre, il convient d’être très prudent, de ne pas se lancer à l’aveugle et sans les conseils éclairés d’une ou un spécialiste dans n’importe quel type de jeûne. Dont le concept même est problématique: «Ne pas manger pour nettoyer son système digestif est un peu comme cesser de respirer pour nettoyer ses poumons. Une aberration physiologique!» rappelle la Dre Kruseman. Mais comment s’y retrouver dans la jungle des modèles proposés aujourd’hui? Éclairage…
Le jeûne intermittent: pas pour tout le monde
C’est quoi?
Il consiste à manger/jeûner pendant des fenêtres horaires réparties sur un cycle de vingt-quatre heures. Comme le stipule Maaike Kruseman, il peut y avoir différents modèles. On peut ainsi, par exemple, jeûner pendant seize heures puis répartir deux ou trois repas sur huit heures.
Pour qui?
Les gens qui ont tendance à grignoter entre les repas, mangent trop ou souffrent de pathologies particulières.
Combien de temps?
Sans durée précise.
Les points forts
«Le jeûne intermittent montre des bénéfices pour la santé chez des gens qui souffrent de maladies chroniques comme le prédiabète ou l’obésité. Ou, aussi, sur des personnes qui mangent trop, de manière déséquilibrée et ne bougent pas assez, note Maaike Kruseman. Si ce modèle fonctionne si bien, c’est parce qu’en le suivant, on se retrouve simplement très proche d’une structure alimentaire considérée comme «recommandée», c’est-à-dire deux à trois prises alimentaires par jour.» En gros, dit-elle, cette intermittence permet de restructurer les choses et, finalement, «de revenir à la manière dont mangeaient nos grands-parents!»
Elle reprend: «Autre note positive montrée par la recherche: quand on ne mange que deux ou trois fois par jour et qu’on élimine le grignotage, non seulement on a moins d’occasions d’avaler de la junk food, mais on a aussi souvent tendance à diminuer les quantités ingérées et à consommer des aliments de meilleure qualité. Si la bière et les chips ne sont pas proscrits, ils ne sont que rarement l’essentiel du repas d’un adepte du jeûne intermittent!»
À savoir
«Quand tout va bien, suivre cette mode ne sert à rien: cela peut créer des fausses structures alimentaires, générer des problèmes chez des gens qui n’en avaient pas, fausser des rythmes naturels et, au final, se révéler largement plus négatif que bénéfique», soupire la spécialiste. Qui précise: «Pour éviter les problèmes, mieux vaut donc se faire conseiller que de foncer tête baissée!»
Le jeûne liquide: de temps en temps
C’est quoi?
On ne mange plus rien mais on boit de l’eau ainsi que des jus, des bouillons et des soupes à base de légumes et de fruits. Ou des poudres pré-préparées. L’idée est de se détoxifier et, éventuellement, de perdre du poids.
Pour qui?
Uniquement les adultes en bonne santé, sans carences ou problèmes du comportement alimentaire préexistants.
Combien de temps?
Généralement, de 1 à 10 jours selon les programmes.
Les points forts
«Psychologiquement, cela peut donner l’impression de se faire du bien», précise la diététicienne.
À savoir
«Les cures de ce type, et notamment celles qu’on trouve dans le commerce sous forme de kits généralement très coûteux, sont en réalité des régimes alimentaires à très faibles calories, explique la spécialiste. S’il est sous forme de «pack», cet apport sous forme liquide va «mimer» un jeûne au niveau psychologique, parce que la personne n’a pas à se préoccuper de planification de repas, ni de nourriture, ni de quoi que ce soit, en fait.» Si elle relève qu’au niveau nutritionnel, un certain nombre de nutriments sont là, surtout dans les produits pré-préparés, Maaike Kruseman relève que cela ne fait pas tout: «Je ne vois aucun avantage en termes de plaisir, de mastication ou de digestion. Pour le système digestif et le microbiote, ce n’est à vrai dire pas du tout une bonne chose que de n’avoir que du liquide à se mettre… sous la dent.
Ce qui est plus embêtant encore, c’est qu’au niveau des comportements alimentaires, ce genre de cure peut déclencher un trouble potentiellement grave ou aggraver un problème préexistant. Par ailleurs, comme pour le jeûne total, il faut avoir réfléchi à ce qu’on va faire après.
En un mot comment en cent: un jour de temps en temps, oui. Mais de manière prolongée, non!
Le jeûne sec: à proscrire!
C’est quoi?
Notamment promu par des influenceurs sur les réseaux sociaux, le «dry fasting» consiste à ne rien avaler du tout. Pas même de l’eau. Là encore, il est question de reposer et détoxifier corps et esprit. À noter qu’il est pratiqué de manière intermittente par les musulmans pendant la période de ramadan, la règle étant de s’abstenir d’ingérer quoi que ce soit du lever au coucher du soleil pendant environ un mois.
Pour qui?
Strictement personne sur des durées dépassant quelques heures.
Combien de temps?
Jamais au-delà de vingt-quatre heures.
Les points forts
«Je n’en vois vraiment pas!» s’enflamme Maaike Kruseman.
À savoir
Sans apport d’eau, les reins, tout comme les autres organes, sont mis à mal. À très court terme, l’organisme court à la déshydratation. Surtout en périodes de chaleur et si l’on continue à s’activer et à bouger comme si de rien n’était:
«On voit des cures de jeûne sec vendues très cher sur différents sites – et c’est non seulement une catastrophe, mais c’est vraiment prendre les gens pour des imbéciles: si les personnes qui les vendent en retirent des bénéfices, notre santé, absolument pas. Au contraire, même!» se fâche la diététicienne.
Elle reprend: «Ce type de restriction est vraiment très dangereux. Certes, en suivre une va nous permettre de tester notre volonté et notre capacité à résister au désir – en l’occurrence de nourriture et, pire encore, de boisson. Mais à quel prix? Si on a envie de boire, c’est simplement parce que c’est vital. Je rappelle que l’eau est à la base de notre pyramide des besoins fondamentaux! Bien entendu, on peut se priver de tout et tenir ainsi quelque temps. Arrive un moment où l’on va même passer par une étape d’euphorie… mais ensuite, on meurt. Donc, franchement…»
En clair, ce type de jeûne est «une hérésie» et donc vivement déconseillé.
Le jeûne complet: c’est selon
C’est quoi?
Il consiste à ne rien avaler à part de l’eau. Son but est de reposer, détoxiquer et régénérer l’organisme tout en libérant l’esprit et, accessoirement, de perdre du poids.
Pour qui?
Les adultes en bonne santé, sans carences ni problématiques alimentaires préexistantes exclusivement.
Combien de temps?
De un à vingt et un jours selon les programmes. Toutefois, «le corps n’est pas fait pour être privé de nourriture, donc de nutriments, au-delà de vingt-quatre heures, prévient Maaike Kruseman. Mais si on est en bonne santé, qu’on ne souffre d’aucune pathologie et que le jeûne est limité à quelques jours, cela n’aura pas de conséquences graves. En revanche, un «rien» qui dure trop peut avoir des incidences négatives, car l’organisme devra mettre en place un certain nombre d’adaptations physiologiques qui ne sont pas anodines», insiste la diététicienne.
Les points forts
«On peut espérer un très éventuel rééquilibrage dans certains cas spécifiques, relève la diététicienne. On entend parfois parler de bénéfices anecdotiques comme un meilleur sommeil, un regain d’énergie, etc. Cela peut être le cas pour les personnes qui ont une mauvaise hygiène de vie au quotidien – mais aucun de ces pseudo-avantages n’a jamais été prouvé par des études sérieuses!»
À savoir
La prudence est de mise: «On voit régulièrement des hospitalisations après que des gens se sont lancés seuls dans ce genre de pratique ou suite à des stages proposés par des gens insuffisamment formés», déplore Maaike Kruseman. Et d'ajouter: «Sur les plans spirituel ou psychologique, jeûner quelques jours peut s’avérer positif pour certaines personnes, leur permettre une espèce de reset et/ou de remise à l’endroit dans leurs habitudes alimentaires.
Pour d’autres, qui ont déjà une relation un peu problématique à la nourriture, cela risque au contraire de déclencher des troubles du comportement alimentaire sévères!»
En résumé, à ne jamais entreprendre sans supervision médicale.
Le jeûne alterné: oui, mais...
C’est quoi?
Il s’agit d’alterner des semaines de jeûne avec des périodes de prises alimentaires habituelles.
Pour qui?
Essentiellement des personnes qui ont tendance à trop et/ou mal manger et consomment beaucoup et régulièrement de l’alcool.
Combien de temps?
Pour certains, cette méthode se limite à une semaine par année. Pour d’autres, l’alternance est plus régulière et se monte à deux, trois, quatre fois par an, souvent dans un établissement proposant un programme de ce type à prix d’or: «Ça coûte cher, de ne pas manger!» déplore Maaike Kruseman.
Les points forts
«Quand on vit de manière stressante, qu’on a tendance à abuser de tout, ces semaines «sans» peuvent effectivement permettre un petit reset, une espèce de remise à l’heure, indique la diététicienne. De manière générale, on constate ainsi un mieux-être après. Ce qui est logique:
La spécialiste poursuit: «La recherche montre que si les gens qui suivent ces cycles restrictifs limitaient et équilibraient leurs portions alimentaires au quotidien, oubliaient un peu leurs téléphones et ordinateurs, allaient se promener et bougeaient régulièrement, ils iraient globalement mieux sur la durée.»
À savoir
«Ces alternances de rien/beaucoup ne sont pas anodines: quand on ne mange pas, notre corps va puiser dans nos réserves. Or, contrairement à ce qu’on pense souvent, celles-ci ne sont pas uniquement un excès de matière grasse, mais aussi constituées de protéines, de vitamines et de toutes sortes de nutriments dont l’organisme a besoin, appuie la spécialiste. En être privé quelque temps quand on ne manque de rien, ce n’est pas grave, on va s’en sortir très bien.
Par contre, si l’alternance est trop fréquente et que, hors jeûne, on ne mange pas sainement, on rabote à chaque fois un bout de notre capital santé!» Autrement dit, tout est question d’équilibre et si la pratique est potentiellement utile, elle doit tout de même être suivie sous contrôle médical.