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Visite guidée: le manoir où Mary Shelley créa Frankenstein

Mary Shelley diodati frankenstein F H Jullien Bibliotheque de Geneve

L’intérieur de la Villa Diodati a beaucoup changé depuis 1816, mais les très rares visites accordées au public permettent de s’imaginer l’atmosphère où évoluait le groupe de romantiques.

© F.H. Jullien / Bibliothèque de Genève

Il y a 205 ans, l’Europe vivait aussi un été pourri. La période ressemblait à un interminable défilé d’orages, de pluies et de frimas indignes de la saison. Pas de chance pour une bande d’amis britanniques venus profiter de l’exotisme du Léman. Le poète Lord Byron a en effet invité Percy Bysshe Shelley, autre pointure des lettres anglaises et comparse de toujours, à le rejoindre près de Genève pour une villégiature au bord du lac.

Il y loue, pour l’été, la Villa Diodati, un manoir de Cologny construit au XVIIIe siècle. L’auteur romantique sulfureux et séducteur en série y est arrivé dès le printemps en compagnie de sa nouvelle conquête, Claire Clairmont, ainsi que de son médecin personnel John Polidori. Percy Shelley se présente au mois de mai, et occupe une petite villa en contrebas de la Diodati, plus proche du lac. Et lui non plus n’est pas seul.

Romantiques en huis-clos

L’auteur d’Ozymandias, adepte de l’amour libre et végétarien convaincu, vit depuis deux ans une idylle avec Mary Wollstonecraft Godwin, dix-neuf ans, fille d’une célèbre philosophe féministe. Elle a, il y a quatre mois, donné naissance à leur fils William, qui fait également partie du voyage.

Dès son arrivée à Cologny, Mary détonne par son intelligence, ses idées avant-gardistes et sa beauté. Tandis qu’elle subit la drague insistante de John Polidori, Mary espère pouvoir bientôt s’échapper en direction des Alpes. Elle rêve d’excursions au cœur de paysages tourmentés et sauvages. Mais voilà, le temps infect de cet été 1816 oblige la bande à rester entre quatre murs la plupart de la journée, ne laissant que de courtes parenthèses pour visiter la région.

Une histoire pour se faire peur

Le soir, les amis se retrouvent à la villa Diodati pour manger et, surtout, partir dans de longues discussions sur la littérature et les sciences. Lord Byron et Percy Shelley devisent jusqu’à pas d’heure, parfois sur des sujets prompts à donner le frisson en plein milieu de la nuit. En ce début de XIXe siècle, les fantômes, esprits et autres spectres ont la cote. L’Europe jubile à se faire peur avec des histoires de démons, de succubes nocturnes, de diables manipulateurs.

Alors qu’on finit par s’ennuyer ferme après de nombreuses semaines assignées à résidence, Lord Byron et John Polidori posent sur la table Fantasmagoriana, un recueil de récits sur les fantômes publié peu auparavant. La lecture va enthousiasmer l’auditoire. On propose alors un concours: que chaque membre du groupe se mette à composer sa propre histoire d’épouvante.

En dépit de l’émulation autour du projet, les deux grands auteurs de la maison, Percy Shelley et Lord Byron, commettent quelques brouillons, puis sèchent et doivent rendre copie blanche. John Polidori, dont l’imagination du moment est peut-être sublimée par son attirance pour Mary, conçoit la trame de la nouvelle Le Vampire, texte crypto-érotique où un dandy se métamorphose en créature suçant le sang de séduisantes jeunes femmes.

Genèse d'un mythe

La compagne de Percy, également non-professionnelle de l’écriture, souhaite rédiger son propre récit macabre, mais le fait de tourner en rond confinée l’empêche de laisser courir ses pensées. «On me demandait chaque matin si j’avais avancé sur quelque chose, et chaque matin j’étais obligée de répondre par un non de la tête mortifiant», raconta Mary. C’est lors d’une nuit sans sommeil qu’elle élabore ce qui allait devenir son premier roman et chef-d’œuvre lui servant d’autoroute vers la postérité: Frankenstein ou le Prométhée moderne.

Inspirée par des discussions autour de la science de la conservation des cadavres, mais aussi par la lecture de plusieurs récits romantiques parlant revenants et démonologie médiévale, elle imagine un savant qui se pense l’égal de Dieu et crée un être vivant monstrueux à partir de morceaux de chair d’individus décédés.

Sauf que la créature recomposée d'outre-tombe, naïve et sensible, peine à s’intégrer dans la société et décide de se venger.

Entourée par la mort

Cette thématique de la résurrection pourrait toutefois avoir été inspirée par des éléments plus intérieurs. Avant de donner naissance à William, Mary avait en effet souffert d’une profonde dépression causée par la perte d’un premier enfant, une petite fille, née prématurée et morte à l’âge de deux semaines en mars 1815. Elle confia avoir été longtemps hantée par les images de son bébé retrouvé sans vie au petit matin.

Bien qu’il ait été écrit au retour à Londres quelques mois plus tard, Frankenstein a bel et bien été inventé à Diodati, ce carrefour momentané des démons de tous vents, qu’ils aient été littéraires ou plus intimes. Mary, devenue Shelley en prenant Percy comme époux fin 1816, dut vivre encore avec nombre d'entre eux. Elle perdit deux autres enfants en bas-âge et pleura également la disparition de Percy, noyé à 29 ans lors d'une tempête en Italie.


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