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La série historique, un miroir déformant du passé?

La serie historique un miroir deformant du passe 1

Sortie en 2023, la série Lessons in Chemistry, avec Brie Larson, retourne dans les années 1950-1960 et raconte notamment comment les femmes scientifiques se faisaient spolier leurs travaux.

© APPLE TV

Le passé est une source d’inspiration intarissable pour les scénaristes. En témoigne le nombre incroyable de séries historiques sorties ces dernières années – dont The Crown, Lessons in chemistry, The Gangs of New York, The Gilded Age, Toute la lumière que nous ne pouvons voir, Lidia fait sa loi, Tapie, Tout pour Agnès ou encore The Buccaneers, La reine Charlotte, Davos et 1923, pour ne citer que celles-ci. Pour passionnants qu’ils soient, ces voyages dans le temps sont-ils réalistes? Ces récits donnent-ils un reflet objectif et fidèle des périodes et/ou des personnalités qu’ils racontent? Evidemment, c’est selon.

Non sans préciser qu’il ne s’agit pas de juger – il est ici question de fictions et non de documentaires ou d’essais historiques universitaires –, passage en revue de petits arrangements avec l’Histoire relevés dans quelques-uns des grands succès de ces derniers mois.

Lessons in Chemistry, sur AppleTV et Canal+

L’héroïne de Lessons in Chemistry a-t-elle existé? Non
Basée sur le best-seller éponyme de Bonnie Garmus, Lessons in Chemistry retrace le parcours imaginaire d'Elizabeth Zott, superbement incarnée par Brie Larson. Le pitch? Brillante chimiste peu à l’aise dans les relations sociales (et ce n’est rien de le dire!), la jeune femme travaille dans le labo d’une université américaine, où elle mène des recherches révolutionnaires. Seulement voilà… dans les années 50, impossible d’être prise au sérieux quand on est une femme - même scientifique de haut vol. Pour le coup, non seulement elle se fait licencier mais, pire encore, voler le résultat de ses travaux. Déterminée, elle rebondit et se fait engager à la télévision, où elle anime une émission culinaire – l’une de ses passions «parce que la cuisine, ce n’est que de la chimie!» Faisant souffler un vent nouveau sur ce genre de programme – non seulement elle instruit les téléspectatrices, mais elle en profite aussi pour faire passer des messages féministes –, elle devient une star…

L’intrigue est-elle basée sur des faits réels? Oui et non
Si la vie d’Elizabeth Zott est pure fiction, la toile de fond, elle, est ancrée dans l’histoire puisqu’elle décrit en sous-texte mais avec beaucoup d’acuité le patriarcat, le sexisme ainsi que la montée lente mais inexorable de la deuxième vague féministe aux États-Unis dans les années 50-60. Et dénonce, entre autres choses, l’appropriation scientifique – un phénomène tristement récurrent. On pense notamment à Jocelyn Bell, astrophysicienne ayant découvert les pulsars, qui fut dépossédée de son travail par son directeur de thèse dans les années 70. Ou à la biochimiste Rosalind Franklin, dont les travaux sur la structure de l'ADN ont valu un prix Nobel... à ses collègues masculins en 1962!

Les reconstitutions sont-elles réalistes? Oui
Décors, costumes et accessoires racontent remarquablement l’époque dépeinte - si des anachronismes se sont glissés ça et là, ils ont passé inaperçus!

The Crown, disponible sur Netflix

L’intrigue de The Crown est-elle basée sur des faits réels? Oui et non
Réalisation exceptionnelle, distribution époustouflante et histoire… royalement racontée font de The Crown une série phénomène – ce que montrent d’ailleurs les chiffres, avec près 40 millions d'heures de visionnage… avant même la sortie des ultimes épisodes, le 14 décembre 2023! Cela dit, comme l’expliquent Corentin Lamy et Pierre Trouvé, journalistes au Monde, et Joffrey Ricome, co-créateur du podcast Vérifiction, dans leur essai The Crown, le vrai du faux, (Éd. Gründ),

«il ne faut pas prendre pour argent comptant ce qui est décrit dans la série».

Concrètement, même si la vérité est respectée dans les grandes lignes, de nombreuses libertés ont été prises pour raconter la vie d'Elizabeth II entre 1947 et 2005 – de son plus jeune âge au mariage du Prince Charles et de Camilla. Dans le détail…

Un calendrier moyennement respecté: Si la plupart des événements importants de la vie des Royals sont évidemment correctement datés, d’autres, en revanche, sont déplacés dans le temps. Deux exemples parmi d’autres, tirés de la saison 6: les conclusions de l’enquête exigée par Mohamed Al Fayed sur la mort de Diana et Dodi en été 1997 ont été livrées en 2008 – et non en 2002 comme relaté. Et la Reine Mère, maman d’Elizabeth, n’est pas morte le jour où William et Kate échangeaient leur premier baiser. Cela dit, il est évident qu’il est impossible de retracer 58 années en 60 épisodes sans élaguer, faire des raccourcis saisissants ou arranger les calendriers. En clair, les showrunners ont fait ce que font tous les scénaristes de séries historiques et qu’Antoine Faure et Emmanuel Taïeb résument dans l'article L’Histoire à l’épreuve des séries: ils ont proposé «un déroulement propice à la dramatisation», avec des «montées en intensité» permettant «de mettre en scène des arcs narratifs faits d’ascensions et de chutes».

Des faits non avérés: Bien que crédibles, de nombreux tableaux ne sont basés que sur des rumeurs: les infidélités de Philip ou la rivalité entre Elizabeth II et Jackie Kennedy sont certes plausibles mais rien n’a jamais été avéré.

Par ailleurs, les «inventions» sont nombreuses – à commencer par la teneur des discussions privées entre les différents protagonistes tout au long de la série. Plus spécifiquement, dans la saison 6, on voit Diana vendre des journaux en faveur des sans-abris dans une rue de Londres: fiction! Tout comme la rencontre fortuite de Kate et Diana en 1996, la relation amoureuse entre William et Lola Airdale Cavenish Kincaid (qui n’existe pas!) ou encore la présence du jeune Prince chez les Middleton pour regarder en leur compagnie le Jubilé d'or d'Elizabeth II à la télé en 2002.

The Gilded Age, disponible sur Play RTS et Canal+

Les héros de The Gilded Age ont-il existé? Oui et non
Portrait d’une époque, The Gilded Age, du génial créateur de Downton Abbey, Julian Fellows, raconte les destins croisés de plusieurs familles new-yorkaises à la fin du XIXe siècle. Si certaines sont purement fictionnelles, d’autres ont réellement existé – dont celle de Mrs Astor, alors reine incontestée de la haute société, comme dans la série – ou ont inspiré des personnages. Ainsi les Russell, qui présentent de nombreuses ressemblances avec le couple Vanderbilt – tant dans leur ascension financière fulgurante que dans leur désir quasi obsessionnel de faire partie de l’élite, en organisant des soirées impensables ou en devenant mécènes.

L’intrigue est-elle basée sur des faits réels? Oui et non
Ce que dépeint The Gilded Age est socialement exact: racisme, industrialisation du pays, grèves d'ouvriers, naissance du capitalisme échevelé, prémices d’un désir d’émancipation des femmes… De même, de nombreux témoignages d’écrivains ou de journalistes mentionnent la rivalité implacable qui opposait la soi-disant élite – entendez les descendants de colons installés de longue date – et les nouveaux riches ayant fait fortune dans la banque, le commerce et l’industrie.

Les reconstitutions sont-elles réalistes? Oui
Malgré quelques anachronismes (certains dialogues et points de vue sont trop contemporains, l’amitié entre une jeune fille de bonne famille d’origine anglaise et une écrivaine afro-américaine est alors, malheureusement, à peu près inimaginable, etc.), la série est assez réaliste historiquement parlant. Y compris en termes de grands événements, dont l’illumination de la ville par Edison en 1882. Et de facto, la psychologie coincée et engoncée d’une partie des personnages, les décors, les costumes et reconstitutions sont quasi irréprochables. Ce dont s’est d’ailleurs assuré l’historienne Erica Armstrong Dunbar, consultante sur la série, et qui expliquait dans une interview:

«L’histoire se déroule à l’époque où l’Amérique entrait dans une ère moderne. L’idée est que les téléspectateurs vivent et s’émerveillent de la progression de ce moment, mais qu’ils comprennent également les obstacles très réels qui existaient pour de nombreux Américains.

Toute la lumière que nous ne pouvons voir, disponible sur Netflix

Les héros de Toute la lumière que nous ne pouvons voir ont-ils existé? Non
Vrai succès depuis sa mise en ligne, Toute la lumière que nous ne pouvons voir, adaptation du best-seller d’Anthony Doerr, suit des jeunes gens dont l’existence a été totalement bouleversée par la Seconde Guerre mondiale: Marie-Laure Leblanc, une jeune Française aveugle réfugiée chez son oncle, et Werner Pfennig, un ado allemand et véritable génie des transmissions radio. Ils sont attachants et bouleversants – mais totalement inventés.

L’intrigue est-elle basée sur des faits réels? Oui et non
Intense et magnifique, l’intrigue principale est une fiction. En revanche, la toile de fond, elle, est sinistrement véridique.

Les reconstitutions sont-elles réalistes? Oui et non
La réalisation et les reconstitutions sont magnifiquement soignées mais… Le diable se cache dans les détails. Des exemples: contrairement à ce qui est affirmé à plusieurs reprises dans la série, les autorités allemandes n'ont absolument pas imposé aux habitants de Saint-Malo de rester dans la ville pendant les bombardements alliés. Au contraire, elles ont exigé l'évacuation de la population civile. Par ailleurs, comme l’ont signalé des milliers de fans sur les réseaux, situer Paris à trois heures de train de Bordeaux dans les années 1940 est une aberration! De même, en termes d’images, il est un peu dommage de reconnaître Villefranche-de-Rouergue, petite ville touristique du sud de la France, alors que l’action est supposée se dérouler à Saint-Malo, cité elle aussi très connue… mais en Bretagne.

Lidia fait sa loi, disponible sur Netflix

L’héroïne de Lidia fait sa loi a-t-elle existé? Oui
Grand succès (inattendu) de Netflix en début d’année 2023, Lidia fait sa loi raconte les tribulations d’une jeune avocate diplômée qui n’a pas le droit de plaider – une intrigue qui s’inspire très, très librement de la vie de Lidia Poët. Née en 1855, cette militante féministe fut en effet la première avocate d’Italie et dût attendre l’âge de 65 ans pour être enfin reconnue et admise au barreau.

L’intrigue est-elle basée sur des faits réels? Oui et non
Une avocate interdite de plaidoyers au motif délirant que le simple fait d’être femme la rendrait… instable, irascible et donc incompétente tous les 28 jours? C’est ce qu’a véritablement subi Lidia Poët. Dame, c’est qu’en cette Italie de la fin du XIXe siècle, on ne plaisante pas avec le patriarcat! Dans la série, et de ce point de vue la vérité historique est respectée, la jeune femme ne se résigne pas: elle veut viscéralement défendre la veuve, l’orphelin et les causes perdues, elle le fait, point… barre. En revanche, les moyens pour y parvenir divergent totalement. Tandis que la vraie Lidia Poët s'arrange des normes en vigueur pour exercer le droit dans le cabinet de son frère tout en militant civilement pour les droits des femmes, sa sœur fictionnelle rue dans les brancards, se moque ouvertement des règles et se transforme en détective de choc, ce qui la conduit à vivre des aventures rocambolesques.

Les reconstitutions sont-elles réalistes? Oui et non
Magnifiquement réalisée, cette série mêlant habilement action et propos féministe s’affranchit joyeusement de l’Histoire. Et assume sans complexe ses anachronismes. Car si les effets délétères et monstrueux du patriarcat reflètent parfaitement la réalité de cette époque, les comportements, les dialogues, la musique, la psychologie des personnages ou même certains costumes ont clairement été pensés pour un public de 2023. Ce qui fonctionne d’ailleurs merveilleusement, pour autant qu’on se plonge dans cette série comme dans des aventures de Tintin au féminin et non comme dans une œuvre historique!

The Buccaneers, disponible sur AppleTV et Canal+

Les héroïnes de The Buccaneers ont-elles existé? Non
Imbroglio sentimental sur fond de fin de XIXe siècle, The Buccaneers est l’adaptation d’un roman d’Edith Wharton, publié à titre posthume en 1938. Même si les héroïnes ont pu être inspirées par des amies de l’autrice, elles n’ont aucune existence véritable.

L’intrigue est-elle basée sur des faits réels? Oui et non
L’intrigue de The Buccaneers trouve sa source dans un phénomène historique baptisé «Les princesses du dollar». En gros: de jeunes héritières américaines, poussées par leurs parents, cherchent à épouser des aristocrates britanniques, possiblement désargentés, histoire de dorer le blason de leurs familles respectives. En clair: nous avons l’argent, vous avez la respectabilité, unissons-nous!

Selon une édition de 1915 de The Titled American, un périodique destiné à faciliter de telles rencontres, environ 454 unions de ce type ont eu lieu entre la fin du XIXe siècle et 1920, ce qui permit d’injecter quelque 25 milliards de dollars dans les comptes bancaires des nobles britanniques et de préserver de nombreux domaines alors au bord de la faillite… Pour mémoire, on retrouve ce petit échange de bons procédés (!) dans Downton Abbey...

Les reconstitutions sont-elles réalistes? Non
En mode pop et coloré, la série revisite l’Histoire sans se préoccuper le moins du monde des innombrables anachronismes dont elle est truffée. Et n’est donc pas à regarder sous ce prisme-là. Par contre, elle est un bon modèle dans un monde où la diversité, l'inclusion, l’égalité et le combat contre les violences faites aux femmes doivent être valorisées plus que jamais.

Tour pour Agnès, disponible sur Canal+

Les protagonistes de Tout pour Agnès ont-ils existé? Oui
Basé sur un fait divers qui a défrayé la chronique française entre 1977 et 2014 et inspiré des livres, des documentaires et un long-métrage de fiction, L’Homme qu’on aimait trop, d’André Téchiné (2014), Tout pour Agnès raconte notamment le combat judiciaire mené par Renée Le Roux, persuadée que sa fille Agnès avait été assassinée par son amant, Maurice Agnelet. On y croise donc pratiquement tous les protagonistes de cette saga, y compris les fils de Maurice Agnelet - l'aîné jouant d'ailleurs un rôle prépondérant lors du dernier procès du présumé coupable.

L’intrigue est-elle basée sur des faits réels? Oui
Comme le raconte la série, tout commence en 1977, quand Agnès Le Roux, 29 ans, disparaît sans laisser de traces. Sa mère, Renée Le Roux, alors propriétaire et directrice du casino du Palais de la Méditerranée, à Nice, est rapidement persuadée que la jeune femme a été tuée par son amoureux, l’avocat Maurice Agnelet. Malgré des problèmes sans fin notamment liés à la bonne marche de son établissement, Renée (incarnée par une Michèle Laroque épatante) va tout faire pour qu’il soit condamné. Et y parviendra en 2014. Bien entendu, pour d’évidentes raisons narratives, le scénario prend des chemins de traverse, résume, interprète, suppose. Toutefois, globalement, il respecte le déroulé de cette incroyable affaire.

Les reconstitutions sont-elles réalistes? Oui
Ambiance générale, décors, costumes, coiffures, musique… les détails sont soignés et évoluent selon les époques, la série couvrant près de quatre décennies.


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