Violences sexuelles
«Sacha»: Une série coup-de-poing sur la libération de la parole
Livre choc des années 90, Le soleil au bout de la nuit, autobiographie de Nicole Castioni évoquant abus sexuels et ténèbres de la prostitution, est adapté pour la première fois à l’écran. C’est son auteure, devenue juge au Tribunal criminel de Genève et scénariste de plusieurs fictions policières dont Port d’attache, qui cosigne cette production aux accents engagés.
FEMINA Pourquoi cette adaptation plus de deux décennies après la parution de votre ouvrage?
Nicole Castioni Cela fait une vingtaine d’années que moi et la réalisatrice Léa Fazer avions envie de le porter à l’écran. Nous songions au départ à un téléfilm. Mais le sujet semblait rendre les producteurs frileux et tous ont décliné le projet au fil du temps. C’est au milieu des années 2010 que les choses ont pu avancer grâce à la rencontre avec Rita Productions, qui a été séduit par l’idée.
Le concept de série s’est alors dessiné, avec une différence de taille: on évoquerait les conséquences de l’abus plus que la prostitution, qui était centrale dans mon livre. On était encore avant la période #MeToo et il faut avouer que c’était assez téméraire de vouloir s’emparer d’une telle thématique. Les mentalités étaient peut-être en train de changer. On voit d’ailleurs que le téléfilm Jacqueline Sauvage, sorti sur TF1 avec Muriel Robin, a brisé un tabou. On n’aurait sans doute pas pu voir ce genre de production passer à la télé il y a dix ans.
Le public comme les productrices et producteurs sont-ils désormais plus ouverts à des problématiques féministes?
Je crois surtout que la société a pris conscience qu’il fallait stopper les abus sexuels de toute sorte. #MeToo n’était pas un mouvement féministe en soi, c’était une dynamique globale, car même des hommes figurent parmi les victimes. On regarde ces sujets avec beaucoup plus de sérieux que dans le passé, on les intellectualise davantage.
Je me souviens notamment de la promo de mon livre à la fin des années 90, où les plateaux télé abordaient la prostitution et les violences sexuelles avec une attitude très racoleuse. C’était encore une autre époque, malheureusement. J’ai beaucoup souffert de ça car j’avais de la peine à faire passer mes messages.
Justement, avec Sacha, y êtes-vous parvenue?
Cette série, c’est un peu l’explication de texte de mon
autobiographie. Sans avoir été abusée dans ma jeunesse, je n’aurais pas
basculé dans la prostitution. Je voulais montrer que ces actes ont un
impact énorme et dramatique sur la vie des victimes. Et celles-ci se
comptent par millions, car un enfant sur dix vit ce genre d’horreurs.
Ici, on a toutefois procédé à quelques aménagements à l’histoire, puisque Anne, la protagoniste, tire sur un homme et est poursuivie pour son geste, ce qui n’était pas le cas dans mon livre.
N’y a-t-il pas aussi, inconsciemment, une certaine envie de
revanche, de vengeance même, quand Anne ose brandir un pistolet et
tirer?
C’est drôle, plusieurs journalistes ont eu cette lecture et leur
remarque m’a surprise. Je n’ai aucun pardon pour les personnes qui m’ont
fait ça et j’ai la haine contre elles, mais la vengeance, non je n’y
pense pas, ou alors une vengeance symbolique. C’est vrai que je veux que
la honte change de camp. Je me mets en danger par cette série, car mes
abuseurs pourraient s’y reconnaître.
Ce genre de choses demeure difficile à prouver, surtout des décennies après. Mais je suis arrivée à un moment de ma vie où je me fiche des conséquences. L’important, c’est que Sacha puisse avoir un effet positif sur la société. Peut-être que montrer cela à la télé pourra avoir plus d’impact qu’un procès médiatique.
Sacha, de Léa Fazer, avec Nicole Castioni, Sophie Broustal, Michel Voïta, Thibaut Evrard, Karine Guignard (la rappeuse La Gale), Roland Vouilloz et Isabelle Caillat. Avec des apparitions d'Ursula Meier et de Thomas Wiesel. Chaque jeudi à 21 h 15, du 11 au 25 novembre 2021 et en intégralité sur PLAY RTS dès la fin de la diffusion du premier épisode.