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Défilés de mode: est-ce la fin d’une ère?
Septembre dicte traditionnellement ce que nous porterons le printemps et l’été prochains. Malgré la pandémie, en effet, les incontournables Fashion Weeks auront bien lieu. Le virus, pourtant, a nourri le changement: les collections 2021 alterneront désormais défilés physiques et présentations digitales, afin de respecter les normes sanitaires liées au Covid-19. En mars dernier, déjà, la pandémie avait chamboulé les habitudes de toute une industrie. Ainsi, les villes accueillant les Semaines de la mode étaient-elles désertées par les acheteurs et certains shows annulés, tandis que magasins et usines fermaient leurs portes. Cette mise à l’arrêt, si elle a provoqué une crise parmi les acteurs de la mode, a aussi accéléré une prise de conscience des créateurs, qui remettent en question ses fondamentaux commerciaux.
Revenir à la création
Ainsi, en avril, Anthony Vaccarelo, directeur artistique de Saint Laurent, décidait de faire une croix sur la Fashion Week, qu’il jugeait «désuète». Quelques semaines plus tard, c’est Alessandro Michele, le créatif de Gucci, qui renonçait à ce «rituel démodé». Ces résolutions mettent à mal une certaine idée du secteur, faite de bling-bling et de défilés clinquants, mais peuvent-elles changer durablement l’industrie?
Pour Elisabeth Prat, directrice du pôle mode de l’agence parisienne de conseil en tendances Peclers,
Ce faisant, c’est l’entier d’un modèle économique, chapeauté par les toutes puissantes fédérations de la mode, qui est défié.
Signes avant-coureurs
«L’impact sur l’industrie de la mode est important, mais peut-être pas si négatif que ça», relève toutefois Elisabeth Prat. L’arrêt forcé de ce printemps a donné le temps aux designers de se rendre compte qu’ils étaient coincés entre la logique mercantile toujours plus gourmande du secteur et la nécessité d’innover constamment. Les maisons de prêt-à-porter produisent ainsi jusqu’à huit collections par an, si on compte les présentations intermédiaires (Croisière, Pre-Fall, High Summer, High Winter…).
Epuisé par tant d’exigences, Alber Elbaz avait d’ailleurs quitté Lanvin en 2015, tandis que Raf Simons s’affranchissait de son poste chez Calvin Klein. En octobre 2019, c’était au tour du styliste multicasquette et hyperactif Virgil Abloh de déclarer forfait, avant de revenir sur le devant de la scène quelques mois plus tard, reposé. Ces designers avaient tiré la sonnette d’alarme, mais de manière isolée. «Je trouve fort que Virgil Abloh se retire à un moment où ça ne va pas, puis finit par revenir, ajoute Elisabeth Prat. Le fait de dire: Attention je ne suis pas une machine! est intéressant et le rapproche du consommateur. Mais après, la mode ce n’est pas de l’art. Il y a trop d’enjeux, trop de business pour qu’on accepte que ce genre de chose devienne la norme. Un cinéaste, un artiste peuvent s’arrêter pendant cinq ans, pas un designer de mode.»
Podiums délirants
Les proportions qu’ont pris les défilés sont un autre problème. «Le show autour du défilé est devenu tellement important et se veut tellement luxueux, qu’on a oublié qu’il y avait une main-d’œuvre derrière», explique Yannick Aellen, fondateur et directeur de Mode Suisse, rendez-vous des professionnels helvétiques.
Aujourd’hui, on se montre et ça fait longtemps que les petites structures ne défilent plus, qu’elles veulent faire les choses différemment, aller de l’avant.»
Questionnant la mode et forcées par la pandémie, les grandes maisons de prêt-à-porter changent donc à leur tour. En juillet dernier, les défilés couture, prêt-à-porter homme et les collections Croisières printemps-été 2021 ont laissé place à des présentations hétéroclites, miroirs d’une industrie qui se cherche: Alessandro Michele, chez Gucci, a exposé ses looks mixtes sur les membres son équipe dans une vidéo qu’il a lui-même commentée; chez Valentino, toute la collection a été shootée sur le même mannequin, Mariacarla Boscono, alors que la maison Just Cavalli a planté ses silhouettes mixtes dans un décor photoshopé. D’autres labels, comme Prada ou Etudes, ont invité des cinéastes à réaliser leurs vidéos.
Une mode plus humaine
Plus proche de nous, la 18e édition de Mode Suisse a tout de même eu lieu, début septembre, à Zurich. Destinée à rassembler les acteurs de la mode et à soutenir la création locale, la manifestation a elle aussi fait son aggiornamento. Les défilés ont eu lieu sur une scène plus intimiste, dressée dans un espace de coworking design et chic, prenant des airs présentations privées. Loin du tape-à-l’œil habituel de ce genre de rendez-vous, les stylistes ont directement échangé avec les professionnels, privilégiant le contact et l’émotion.
Ce rapprochement, cette image humanisée de la mode constituent des effets à mettre au crédit à cette crise. «Mais quand tout va redevenir normal, va-t-on à nouveau céder à l’excès?» s’interroge Laurence Imstepf Fuentes. Une question qui est posée autant aux acteurs de la mode qu’aux consommateurs que nous sommes. Une chose est certaine, toutefois, si les grands groupes de l’industrie du luxe cherchent à se donner une nouvelle image, ils ne sacrifieront en aucun cas leur rentabilité.
Trois questions à Yannick Aellen, directeur et fondateur de Mode Suisse
FEMINA Quels défis a dû relever Mode Suisse en ces temps de crise sanitaire?
Yannick Aellen Nous avons l’énorme chance d’être soutenus par nos partenaires. Pour la suite, on va travailler avec plus de contenus vidéo et, bien sûr, Instagram, donc avec une stratégie plus digitale. Pour cette Fashion Week de Paris, nous lançons un salon en ligne avec le DACH showroom, une initiative commune entre les professionnels de Suisse, d’Autriche et d’Allemagne, ce qui est une grosse première.
Quelle est la situation de la création en Suisse?
Comme partout ailleurs, c’est très difficile. Toutefois, les créateurs ont fait preuve d’ingéniosité. Ce sont de petites marques aux ventes limitées mais, en mars, nous avions déjà senti que les acheteurs suisses – et même de grands magasins – étaient plus intéressés qu’avant. Pour la création locale, c’est une chance énorme. Les boutiques sont toujours là et ont besoin de nouveautés, car la majeure partie des clients n’est pas allée faire son shopping à New York ou à Londres.
Est-ce que vous sentez une tendance plus arty, moins commerciale?
Il me semble que les Fashion Weeks reviennent dans les mains des professionnels de la mode: les journalistes qui écrivent vraiment sur le sujet, les acheteurs et ceux qui l’affectionnent vraiment. Dès lors, un côté plus artistique, plus intellectuel se fait jour grâce à ces gens dont l’intérêt est sincère.
A quoi ressemblent ces nouvelles présentations?
Baptisée «Phygital», la saison des Fashion Weeks oscille entre présentations digitales ou physiques. Tandis que les défilés se font en petit comité, les nouvelles tendances font leur apparition sous forme de films ou de photomontages. Exit les shows ostentatoires, donc. Les collections printemps-été 2021 optent pour un rapprochement entre créateurs et acteurs de la mode. En témoignent l’événement Mode Suisse et le travail de quatre maisons de prêt-à-porter. Arrêt sur images.
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