témoignages
J’apprends aux autres à vaincre leur peur de l’avion
Je me souviens comme si c’était hier de mon baptême de l’air. Agée de 21 ans, durant mon doctorat en sciences politiques à l’Université de Genève, je suis montée avec la boule au ventre dans l’avion qui devait me mener à Tel-Aviv. Jusque-là, je n’avais jamais quitté le cocon familial, une tribu très soudée de plusieurs générations. Ma première tentative de quitter le nid, à 18 ans, pour partir seule en Espagne s’était révélée catastrophique. Terrifiée à l’idée de prendre le train, j’avais fait une crise de panique et avais dû renoncer à mes premières vacances de jeune fille émancipée.
Cette fois, je n’avais pas le choix: je faisais ce séjour dans le cadre d’études pour ma thèse. Quand je me suis assise dans la carlingue, je me suis sentie très mal. Je n’avais qu’une envie: fuir loin de ce maudit engin volant. Au décollage, victime de vertiges et de sensations d’étouffement, j’ai cru que j’allais mourir. Tétanisée sur mon siège, le cœur battant à tout rompre, les quatre heures de vol m’ont semblé une éternité. Je me suis promis de ne plus jamais remettre les pieds dans un avion. Mais il allait bien falloir rentrer quelques semaines plus tard. Ce trajet de retour m’a obsédée jour et nuit. Rien que d’y penser, je tremblais et j’étais prise de vagues d’angoisse. Le jour J, décomposée, je me suis agrippée à mon voisin lors du décollage. Ironie du sort, il était technicien sur avion! Mais face à mes accès de panique, il était impuissant. Pire encore: il a dû supporter mes ongles plantés dans son bras jusqu’à l’atterrissage.
Inquiète, je suis allée consulter médecins et spécialistes qui n’ont décelé aucun problème physiologique. Refusant l’idée d’être aérophobe, d’autant plus en me destinant à une carrière diplomatique, j’ai pris mon courage à deux mains et acheté un billet pour Tel-Aviv, accompagnée d’une amie cette fois. Malgré la prise d’un calmant, resté coincé dans ma gorge – je revois encore le stewart me taper dans le dos alors que je m’étouffais – cette petite virée a été un cauchemar. Terrorisée encore après avoir retrouvé la terre ferme, j’ai fait un deal avec Dieu: «Si tu me laisses en vie pour le retour, je ne volerai plus jamais.» Adieu mes ambitions professionnelles dans le domaine de la diplomatie.
Une sensation de mort imminente
Mais le destin en a décidé autrement: je suis tombée sur une annonce dans le journal qui proposait un stage pour apprendre à vaincre la peur de l’avion. C’était l’occasion pour moi d’affronter l’objet de ma phobie. Et, pourquoi pas, de m’affranchir de celle-ci, même si je n’y croyais pas.
Première étape de ce séminaire: visiter le cockpit d’un MD11. Un pilote nous a donné des explications détaillées sur le fonctionnement de l’appareil. Et rappelé que ce moyen de transport est l’un des plus sûrs au monde. La conceptrice de cette «immersion aéronautique», Lucienne, nous a donné des outils et des techniques pour apprendre à gérer ses angoisses. Cette partie théorique était suivie d’un vol en fin de stage. Pour moi, il était d’abord hors de question de quitter le sol. Mais après trois jours de séminaire, je me sentais nulle de me dégonfler. J’ai donc fait le trajet Genève-Zurich, dans un grand état de stress. Pour le retour, Lucienne m’a convaincue de ne pas rentrer en train, et est restée à mes côtés. Comme pour un accouchement, je me suis concentrée sur ma respiration alors que l’engin quittait la piste. Pour la première fois, je n’ai pas souffert de sensation de mort imminente. Avant d’amorcer l’atterrissage, ma coach m’a fait relever le volet du hublot. Quand j’ai risqué un œil dehors, j’ai aperçu un magnifique champ de tournesols dont les couleurs m’ont bouleversée. Tout à coup, je me suis sentie immensément libre. Comme un canari qui s’échapperait de sa cage et découvrirait l’ivresse de la liberté.
Lucienne m’a prise sous son aile et m’a proposé de devenir son assistante. Travaillant sur la question des mémoires traumatiques pour mon doctorat, j’ai accepté, car cela correspondait à mon envie d’approfondir mes connaissances en psychologie. Inutile de dire que les premiers mois, durant les vols de fin de stage, je n’en menais pas large! Mais petit à petit, ma peur a totalement disparu et s’est transformée en plaisir. Cette thérapie «sur le terrain» et les notions psychologiques acquises m’ont permis de prendre mon envol aussi sur le plan privé. Moi qui étais multiphobique et qui peinais à quitter le nid familial, j’ai enfin pu m’émanciper en prenant un studio. Car j’ai découvert que la crainte de l’avion était souvent la pointe de l’iceberg et le début d’un travail sur soi de longue haleine.
Le coup de main des anges gardiens
A l’heure de la retraite, quelques années plus tard, Lucienne m’a transmis les rênes du stage. Ayant remarqué l’importance de voler régulièrement, en plus d’être encadré, j’ai créé une sorte d’association des anciens. Ce système de coaching permet à chaque participant du séminaire d’aider un débutant en effectuant à ses côtés le vol de fin de stage. Ces «anges gardiens du ciel» prennent de l’assurance au fur et à mesure de leurs missions. Grâce au forum de l’association, ils peuvent aussi échanger sur leurs expériences et progrès, souvent fulgurants. Chaque mois, nous organisons des vols d’exercices dans toute l’Europe, mais aussi plus loin: à New York, Cuba, Dubaï, ou le Japon.
C’est pour moi une immense satisfaction de voir un ou une ex-aérophobe reprendre le contrôle de sa vie et éprouver du plaisir à voyager. Parmi les 4000 personnes croisées lors de mes stages, il y a eu par exemple cette étudiante apeurée qui a appris à voler de ses propres ailes. Elle a non seulement réussi à prendre un vol long courrier quelques mois plus tard, mais elle est tombée amoureuse d’un pilote. Ah, l’effet domino. Quand on bouleverse un élément, cela a un impact sur tout le reste. Autre réussite dont je suis fière: celle de cette femme qui a effectué son baptême de l’air à l’âge de 65 ans. Elle est devenue très active dans l’association des anciens et a participé à de nombreux week-ends organisés à Paris, Lisbonne ou à Hammamet, pour une thalasso. Devenue une véritable aventurière – n’hésitant pas à jouer au casino à chacune de ses escales ou à faire de l’hélicoptère dans un pays nordique – cette participante fait partie des 98% de passagers ayant réussi à surpasser leur peur initiale et à donner un nouvel essor à leur vie.
Voler sans peur. Vols organisés à Genève et Bâle en collaboration avec Swiss.
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