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Mon amitié avec Francis date de plus de vingt-cinq ans

Nous nous sommes d’abord connus par le biais de sa femme, Sandrine. Et, malgré nos caractères relativement opposés, un lien fort s’est instauré entre nous. Il y a quelques années, nous avons même travaillé ensemble dans la restauration, en France où je vis. Puis il est parti exercer son métier de cuisinier en Suisse. Malgré la distance, nous avons continué à nous voir régulièrement chez l’un ou chez l’autre. Cela fait plus de vingt ans que nous passons tous les Nouvel-An ensemble. Quand Francis a épousé Sandrine, il m’a demandé d’être son témoin. Et nous manquons rarement de nous téléphoner tous les deux ou trois jours pour nous donner des nouvelles.

Il y a deux ans, pour mes 50 ans, j’ai décidé de faire un bilan de santé. J’ai découvert que j’étais atteint d’une hépatite C à un stade avancé. Selon mon médecin, si je ne me soignais pas immédiatement, il me restait moins de deux ans à vivre. Pour moi qui suis un grand voyageur et un fêtard invétéré, fini les excès! J’ai arrêté de fumer et de boire de l’alcool. Et j’ai commencé un traitement afin de combattre cette infection. Père d’une fillette d’une dizaine d’années, j’étais d’autant plus motivé à guérir: je voulais la voir grandir.

A la même époque, Francis a dû faire face lui aussi à des soucis de santé. Atteint d’une maladie génétique rare qui provoque une insuffisance rénale, il a subi un triple pontage coronarien. Puis, ce qu’il redoutait depuis des années s’est produit: il allait falloir lui enlever les deux reins. Une greffe devenait donc nécessaire. En attendant de trouver un organe – ce qui peut prendre jusqu’à cinq ans pour les personnes inscrites sur la liste d’attente – Francis supportait des dialyses très contraignantes trois fois par semaine. Sa femme s’est alors proposée comme donneuse vivante. Les premiers examens ont montré que tous deux étaient compatibles. Mais en creusant plus, l’équipe médicale a découvert que Sandrine avait une malformation rare touchant les artères rénales, ce qui rendait le don impossible.

Compatibles ou pas?

J’étais très déçu pour mon ami qui, la veille encore, était plein d’espoir. Venu passer quelques jours en Suisse pour le soutenir, je l’ai trouvé très affaibli. Lui qui est un bon vivant ne pouvait pratiquement rien avaler, et il souffrait beaucoup. Le voir dans cet état m’a fait de la peine. Spontanément je me suis demandé: «Et moi, est-ce que je ne peux pas donner un rein?»

Mon mauvais état de santé rendait la chose impossible, malheureusement. Mais un spécialiste m’a indiqué que, si je guérissais de mon hépatite, et après un délai de six mois, je pouvais effectivement devenir donneur. A condition d’être compatible avec le receveur, évidemment. Ça, c’était une bonne nouvelle! Ça me donnait même une raison supplémentaire de vaincre ma maladie. C’est là que, dans mon for intérieur, ma décision fut prise: si je m’en sortais, je donnerais un rein à Francis.

Quelques mois plus tard, quand on m’a annoncé que j’étais guéri, ma détermination n’avait pas faibli. Francis allait mal; il fallait agir vite. Après de multiples analyses, le résultat est tombé: j’étais compatible avec mon ami. Je pouvais donc lui offrir un rein! Nous en avons sauté de joie tous les deux.

C’était presque gagné…

Il me restait à convaincre le psychologue chargé de vérifier ce qui pouvait bien me pousser à offrir un organe à quelqu’un qui n’était pas de ma famille. Comment expliquer les liens forts qui m’unissent à cet homme que je considère comme un frère? Le psy a tenté de me désarçonner en me parlant de ma fille, qui pourrait peut-être un jour avoir besoin de mon rein. Mais je savais qu’il me testait. Rien ne pouvait me dissuader d’offrir cette partie de moi à mon ami Francis, qui en avait besoin pour retrouver une vie normale.

L’équipe médicale m’a alors informé des risques que comporte une transplantation, très faibles dans mon cas, mais à considérer tout de même. Cela n’a entamé en rien ma détermination. Avec Francis, nous attendions impatiemment le feu vert des médecins. Et lorsque, après deux mois d’attente, nous l’avons enfin reçu, nous avons fait une entorse à notre hygiène de vie très stricte en buvant un verre de champagne, pour fêter ça.

Signe du destin?

La veille de l’opération, nous nous sommes offert un bon repas. On ne sait pas ce qui peut arriver! Nous avons passé cette nuit-là côte à côte, dans la même chambre d’hôpital. Mon ami était un peu anxieux, moi je me sentais très serein. Cette greffe n’était-elle pas placée sous le signe du destin, Francis étant le 400e patient du CHUV à subir une transplantation d’un rein? Ça ne pouvait pas être le hasard…

Tôt le matin, on m’a emmené le premier au bloc opératoire et, avant l’anesthésie, on m’a demandé une dernière fois si j’étais sûr de mon choix. Ma décision était prise, elle était irrévocable. Après trois heures d’intervention, j’ai repris conscience en salle de réveil. Francis se trouvait déjà en salle d’opération afin de recevoir mon rein, qui avait vu du pays et qu’il allait devoir apprendre à dompter. Quatre heures plus tard, j’étais soulagé d’apprendre que la transplantation s’était bien passée et que mon ami allait bien. Nous sommes restés encore quelques jours hospitalisés. Francis a dû rester sous surveillance médicale, car un rejet était toujours possible. Nous avons été chouchoutés par les infirmières, admiratives de mon geste envers un ami.

Quelques mois se sont écoulés depuis cette intervention, et je suis très content de constater que Francis va de mieux en mieux. Il a retrouvé son appétit. Il peut de nouveau faire des projets d’avenir. Pour ma part, après une période de convalescence, j’ai pu reprendre mon travail. Mise à part une grande cicatrice, je n’ai aucune séquelle. Je ne regrette pas mon geste, car les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main. Une telle expérience a encore resserré les liens entre nous. Nous sommes plus proches que jamais. Nous nous considérons désormais comme «frères de rein».


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