témoignages
Hémophilie: je me bats pour que mon fils reste en vie
A 27 ans, j’ai eu mon premier enfant, un petit garçon paraissant en très bonne santé. Mais à l’âge de 11 mois, tout a basculé. Alors que nous étions en vacances au bord de la mer, j’ai remarqué que le corps de mon bébé était couvert d’hématomes. Après un examen chez le pédiatre, le diagnostic est sans appel: j’apprends qu’il est atteint d’hémophilie sous sa forme la plus sévère. Ce qui signifie que tout ce qui est banal pour un autre bambin, comme une petite chute ou une gastro, le met en danger. Son sang ne coagule pas et la moindre blessure peut se transformer en hémorragie. Le plus fou, c’est que depuis sa naissance mon petit bout de chou a toujours été d’un calme olympien, comme s’il «savait». Il n’a jamais pris de risques, jamais attrapé quelque chose de dangereux. Heureusement, vu les circonstances.
Le début d’un long chemin
A tout juste 1 an, il subit une intervention au CHUV. On lui pose un cathéter pour faciliter les injections de son traitement et éviter tout risque d’hémorragie. Je ne sais pas encore que c’est le début d’un long périple médical. Un mois après cette intervention, mon ange doit être hospitalisé en urgence car son cathéter est infecté. Anesthésie générale, hémorragie massive, transfusion sanguine, il livre son premier combat contre la mort. Il s’en sort avec brio. Mais c’est loin d’être gagné: au fil des mois, il accumule les infections et subit plusieurs hospitalisations. A chaque fois, je suis à son chevet. Je dors à ses côtés, suspendue à son souffle et aux bruits des machines auxquelles il est relié.
Pour une maman, c’est une épreuve terrible de voir souffrir, impuissante, son enfant. Mais la vie réserve aussi de belles surprises. Lorsque mon fils a 2 ans, je donne naissance à une petite fille qui va devoir très vite s’adapter aux multiples changements dus aux séjours à l’hôpital de son frère. Depuis la découverte de sa maladie, je suis devenue malgré moi une «maman infirmière». A la maison, je me charge de faire ses injections intraveineuses toutes les 48 heures. Ces piqûres sont indispensables pour le maintenir en vie. Ce «rituel» est un véritable moment de communion entre nous. J’ai toujours dialogué ouvertement avec lui sur sa maladie en lui expliquant qu’il va bien et que c’est son sang qui est malade.
Un cas unique au monde
En grandissant, malgré son traitement lourd et astreignant, je soupçonne qu’il y a un autre problème que l’hémophilie car mon fils a toujours des hématomes. Après de multiples recherches infructueuses en Suisse, nous nous rendons au Children Hospital de Boston pour rencontrer un éminent hématologue. Après des examens, le verdict tombe: j’apprends que mon enfant de 9 ans est atteint d’une maladie orpheline rare qui a la particularité de détruire le traitement destiné à combattre l’hémophilie, ce qui explique ces saignements sous-cutanés permanents. De plus, cliniquement, une troisième maladie orpheline rare est suspectée. Depuis sa naissance, il est en grand danger. Dans la foulée, on m’indique que cette maladie congénitale et héréditaire touche également ma petite fille et moi. Mais les conséquences sont moindres pour nous, alors que pour mon fils hémophile elles sont dramatiques. La combinaison de toutes ces maladies fait de lui un cas «isolé».
Quelque temps après l’annonce de cette terrible nouvelle, je m’écroule, victime d’épuisement physique et émotionnel. Je n’arrive plus à manger, plus à bouger, je suis littéralement «vidée». La maladie vous pousse dans vos derniers retranchements. On fait preuve d’une abnégation totale et on se perd complètement. Il y a aussi un sentiment de grande solitude, car les gens ne comprennent pas toujours le combat perpétuel que l’on doit mener sur tous les fronts. La chronicité de cette situation m’a fait perdre beaucoup de choses: ma santé, mon mari, ma vie sociale, et l’indépendance à laquelle je tenais tant. Mais cette épreuve m’a aussi permis d’évoluer et de voir la vie différemment. Aujourd’hui, mes valeurs ont complètement changé. Les petits bonheurs ont pris une importance démesurée et je profite de chaque moment passé en compagnie de mes enfants.
«Mon fils a déjà évoqué le pire»
Je relate ce parcours du combattant dans un livre très personnel («Les maux globines», Stéphanie Trisconi, Ed. Attinger). Ce sont différents médecins qui ont soigné mon garçon qui m’ont suggéré d’écrire son histoire. L’un deux m’a dit: «C’est fou le destin de cet enfant!» Effectivement, son cas est si particulier et si compliqué que j’ai souvent le sentiment d’être incomprise. Quand je me suis lancée dans l’écriture, j’ai instinctivement adopté un style très personnel, avec un graphisme atypique. La typographie traduit mes états d’âme. Il y a par exemple des points de suspension quand une émotion est trop forte pour être expliquée en mots. J’ai eu la chance de trouver une maison d’édition qui m’a laissé la liberté de faire un livre différent, qui ressemble à ma vie. Revenir sur toutes ces étapes et ce parcours semé d’embûches n’a pas été une thérapie pour moi – je vois ma psy et cela me suffit – mais j’ose espérer que ce récit pourra être utile à d’autres personnes qui se battent tous les jours sans aucune structure pour les aider. Dans le cas d’une maladie chronique, on sous-estime souvent la souffrance des proches et de la fratrie.
Mon fils a aujourd’hui 14 ans et est très mature. Il a conscience qu’il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. D’ailleurs, il a déjà évoqué le pire et a exprimé le souhait qu’on prélève tous ses organes, afin de pouvoir sauver d’autres vies. Comme tout adolescent, il rêve d’indépendance, de pouvoir faire ses injections sans dépendre de moi. Récemment, il a choisi de subir une opération qui devrait lui permettre de faire ses injections tout seul. Cette intervention jamais effectuée sur un jeune hémophile est très risquée. En tant que maman, je respecte son choix, car les enfants que l’on met au monde ne nous appartiennent pas. Quoi qu’il en soit, je me battrai toujours à ses côtés.