entrepreneuse
«J’ai créé une marque de jus bio dans ma cuisine»
Le manque de moyens est un moteur extraordinaire qui permet de déplacer des montagnes. Après, il ne faut pas que ça dure trop longtemps! Je suis architecte d’intérieur de formation, j’ai travaillé comme expatriée durant vingt ans au Koweït, où tout était à reconstruire après la guerre du Golfe. J’aménageais des palais, notamment pour la famille royale. J’avais des partenaires syriens, mais ce pays est entré en conflit civil, et j’ai dû fuir la région. À 47 ans, j’aspirais au calme.
J’ai été repérée par un chasseur de têtes qui m’a trouvé un travail pour une entreprise suisse spécialisée dans les chantiers de luxe. Mais ce mandat n’a pas duré et à 50 ans, je me suis retrouvée au chômage. Je me suis rendu compte qu’à cet âge, plus personne ne veut de vous. J’avais trop d’expérience, ou pas fait les bonnes études, trop qualifiée ou pas assez. Je n’arrêtais pas de raccourcir mon CV pour correspondre aux offres. Cette série de déboires m’a obligée à inventer des solutions rapidement. Ma conseillère ORP m’a encouragée et soutenue vers le statut d’indépendante. J’ai donc décidé d’être ma propre patronne et j’ai commencé à faire des jus de gingembre dans ma cuisine. En Orient, c’est un remède courant contre les maux de gorge, les problèmes digestifs, les douleurs rhumatismales, connu depuis 3000 ans dans toute l’Asie. J’ai commencé avec 200 francs ma première production, c’était 20 bouteilles. Le succès a été immédiat, et après quelques mois déjà, j’ai pu me verser un salaire!
Solidarité made in Pays-d’Enhaut
J’ai d’abord écoulé ma marchandise sur les marchés, et l’engouement a été tel que j’ai dû dès la deuxième semaine chercher des infrastructures plus grandes. C’est là que l’appui de ma communauté, dans le village où je vis, Château-d’Œx, a été extraordinaire. On m’a prêté des cuisines d’hôtels ou de centres de vacances, des garages pour stocker, mes copines m’aidaient à presser le gingembre, à coller les étiquettes imprimées par le journal de mon village (encore aujourd’hui!) et à faire les cartons, je les payais en bouteilles de jus ou en heures de garde de leurs enfants. La solidarité a été le budget que je n’avais pas! Je me suis professionnalisée grâce à un ami cuisinier qui m’a formée sur les techniques de pasteurisation. Je n’avais pas droit à l’erreur, côté hygiène, tout est très contrôlé. Début 2021, j’ai confié la production à une usine, tout en restant artisanal et bio.
J’ai tout fait, de la recette au graphisme rétro, puis la recherche de points de vente. Il ne faut pas se décourager, essayer de se démarquer des concurrents qui sont déjà implantés avec de bons produits autour du gingembre. Le mien s’appelait au début Ventre plat, et les autorités me sont tombées dessus, car en Suisse, les allégations sur la santé sont interdites. Pour moi, c’était plutôt un clin d’œil à la pin-up vintage qui ornait l’étiquette, en aucun cas une revendication médicale. Je joue beaucoup sur l’humour avec les noms de mes boissons, Même pas froid, J’ose, Chaud devant… Menacée de poursuites, j’ai dû rappeler une partie de ma marchandise, faire un rebranding, changer le contenu de mon site, de ma facturation, cela m’a coûté cher et a mis en péril mon entreprise, en plein Covid, mais je tiens bon.
Je suis toujours là après bientôt quatre ans, avec de nouveaux produits qui vont arriver cette année, dont ma confiture au gingembre et son slogan: «La seule motivation pour me lever!» Je tiens à garder cet esprit d’humour décalé, qui va faire que les gens adhèrent à une marque et son histoire, plus qu’à un produit. C’est l’une des clés de la réussite: la communication sincère et authentique.
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