Récit poignant
«A 7 ans j’avais tout, à 10 ans j’avais tout perdu»
Imaginez: vous avez à peine 10 ans et votre vie ressemble déjà à un cauchemar. A 7 ans, vous perdez subitement votre mère, celle qui était toute votre vie. Suite à ce drame, votre père tombe dans une profonde dépression avant de se laisser mourir de chagrin. Quelques jours plus tard, votre petit frère âgé de 3 ans, dont vous étiez si proche, rejoint lui aussi les étoiles. Vous pensez avoir vécu le pire? La vie, pourtant, n’en a pas fini avec vous: vous connaîtrez la faim, le harcèlement, le mobbing, l’inceste.
Tout cela, Noëlle Laura Nguenama Ondoua l’a enduré. De son histoire est ainsi né un ouvrage de 150 pages, La raison de l’excellence (éd. Jets d’Encre). C’est en mettant en scène l'existence de Josépha qu’elle conte son chemin, depuis son enfance au Cameroun jusqu’à son arrivée en Suisse. Car la vie de la jeune femme a basculé en mai 2020, lorsque Noëlle reçoit un e-mail officiel lui apprenant qu’elle a décroché une bourse d’excellence de la Confédération suisse.
Un confinement qui la pousse à écrire
Sa nouvelle vie à Neuchâtel, où elle planche sur son doctorat en troubles du langage, a été mise à mal par le Covid-19: testée positive en décembre 2020, elle se retrouve alors isolée dans un pays qu’elle apprend tout juste à connaître. C’est alors que le besoin, la nécessité d’écrire se font ressentir: «Ce livre est un bienheureux accident sur ma route, analyse la chercheuse de 32 ans. Je n’avais absolument pas en idée d’écrire ce récit, du moins pas à ce moment-là.»
Rien ne lui a été épargné, ou presque. Lorsqu'on parcourt son histoire, impossible de ne pas se poser la question: comment a-t-elle fait pour survivre à tant de chagrins, d’épreuves et de tristesse? «J’ai été très tôt orpheline de père et de mère, explique Noëlle Laura Nguenama Ondoua. J’ai subi pendant des années la maltraitance sous toutes ses formes, j’ai été victime de viol, de harcèlement sexuel, j’ai été manipulée et oppressée par des personnes supposées me protéger. Mais en mon for intérieur, je savais que Dieu m’avait fait don de talents inestimables, je voulais, et je veux toujours réaliser de grandes choses. Pour m’en sortir, je me disais qu’il y avait pire que moi, notamment les enfants nés dans des pays en guerre, ceux qui n’avaient pas accès à une éducation de qualité, les filles mariées de force, les enfants vivant dans la rue, les personnes dépressives et sans famille, les handicapés moteurs et cognitifs, etc.»
Son cheval de bataille: la parole des enfants
Si elle écrit, c’est également pour faire changer les mentalités. Son combat de cœur: la parole des enfants. Une rengaine lancinante revient plusieurs fois dans le récit: «L’enfant n’a jamais raison devant une grande personne». Comment, dans un tel climat, dénoncer des abus, des incestes, des violences? «J’ai personnellement expérimenté le problème du droit à la parole de l’enfant dans la société camerounaise, notamment lorsque j’étais enseignante, explique l’auteure. J’y vois un gros souci: le fait de museler ainsi des enfants victimes d’injustice ne peut avoir pour seule conséquence que de créer des êtres extrêmement nocifs pour la société sur le long terme. Je suis persuadée que cela ne fait pas partie des aspects traditionnels à perpétuer, étant donné les dégâts que cela peut engendrer socialement et psychologiquement.»
Noëlle Laura Nguenama Ondoua dédie son livre, son chemin conduisant à la résilience, à celles et ceux qui peinent à tracer leur voie. «Je l’adresse particulièrement aux personnes des couches défavorisées, vivant dans la précarité, pour leur dire que rien n’est acquis et qu’il est tout à fait possible de réaliser des choses exceptionnelles, si elles s’y engagent avec honnêteté et intégrité, sans peur ni appréhension des obstacles à venir.» Si la jeune femme est parvenue à décrocher une bourse si sélective, c’est à force d’avoir tant travaillé et, toujours, visé l’excellence. Une trajectoire qui, comme l’espère l’auteure, saura en inspirer d’autres à suivre ses pas.
«J’aurais tellement de choses à dire à cette petite fille de 7 ans, ce moi d’avant, qui n’a pas connaissance de tous les obstacles qui l’attendent, confie-t-elle. Je lui dirais de ne pas sous-estimer son potentiel, même si le monde entier l’y encourage. Je lui dirais de se montrer intransigeante envers quiconque voudrait piétiner ses droits. Je lui dirais enfin que c’est à chacun de prendre la responsabilité de tracer sa voie dans cette vie pour briller et donner des raisons et de la force aux autres d’en faire autant.»
Noëlle Laura Nguenama Ondoua, La rançon de l’excellence (éd. Jets d’Encre)