Femina Logo

psychologie

Les conseils de Fabrice Midal pour se libérer des injonctions

Les injonctions qui persistent en 2024 on sen libere avec fabrice midal

Devenir une meilleure version de soi-même, trouver un job plus épanouissant, réussir l’éducation des enfants… On se libère de ces injonctions avec Fabrice Midal.

© GETTY IMAGES/DENIS NOVIKOV

Femina Avec la situation du monde (guerres, inflation, climat), partager ses aspirations pour l’année 2024 semble un peu dérisoire. Qu’en pense le philosophe que vous êtes?
Fabrice Midal Le départ d'une nouvelle année, c'est l'occasion d'essayer de voir qu'est-ce qu'on peut faire pour être dans le mouvement de la vie. Comme disait le philosophe Henri Bergson, vivre est «une création continue d'imprévisible nouveauté». Avec la nouvelle année, chacun-e se demande qu'est-ce qu'il ou elle pourrait faire pour entrer dans ce mouvement? C’est bien dommage de penser qu’un tel choix est «dérisoire».

C’est-à-dire?
L’idée de se projeter dans une nouvelle année est toujours menacée par l’impression qu'on n'a pas le droit quand le monde va mal. J'aime beaucoup ce que disait Albert Camus à ce sujet: «Pour le bonheur aujourd’hui, c’est comme pour le crime de droit commun: n’avouez jamais. Ne dites pas ingénument comme ça sans penser à mal je suis heureux.» Aujourd'hui, quand on voit la crise climatique, la guerre au Moyen-Orient et la guerre en Ukraine, on se dit «Mais de quel droit pourrais-je m'occuper de prendre de bonnes résolutions?» Cela semble dérisoire. Mais en réalité, la douleur du monde et l’obscurité doivent nous engager dans le monde, à propager la lumière à notre échelle!

A-t-on alors le droit de s'autoriser à réussir son année?
Ce n'est pas du tout qu'on a le droit ou pas. Comme le disait déjà Albert Camus, c'est absurde de croire que parce que le monde va mal, il faut être triste et se décourager... En quoi cela va aider la situation? On doit plutôt s'interroger: que puis-je faire pour l’aider à le rendre meilleur?

À chaque époque de tragédie, ce sont des gens qui n'ont pas baissé les bras qui ont fait que le monde a réussi à tenir. Nous pouvons le faire aussi.

Mais ce qui importe, c’est de voir ce qui fait sens à notre échelle! Quelle ambition pouvons-nous avoir pour célébrer la vie dans notre quotidien? Chaque geste compte!

Discutons des injonctions qui persistent en 2024. Que pensez-vous de celle qui invite à devenir une meilleure version de soi-même?
Cette injonction n'est vraiment pas un acte de sagesse. Je peux avoir envie d'acheter la meilleure version du logiciel, qui vient de paraître et qui sera meilleure parce qu'on aura enlevé des bugs ou inventer de nouvelles fonctions qui vont simplifier mon travail. Mais confondre un logiciel avec un être humain, c'est une faute puisque ce dernier n'est pas une machine. Donc devenir une meilleure version de soi-même présuppose qu'on est en faute et déficient. C’est une idée fausse et un jargon malheureux.

Que conseillez-vous aux personnes qui ressentent cette injonction?
Au lieu de devenir la meilleure version de soi-même, il faut apprendre à se foutre la paix pour découvrir qui on l’est. Parce qu'au fond, on se fait la guerre en permanence. On vit à côté de nous-même, comme des étrangers et des étrangères. Je trouve que ce serait formidable d’apprendre à se rencontrer. C’est ainsi que l’on découvrira nos vraies forces et que nous pourrons surmonter toutes les formes de découragements…

Photo philosophe Fabrice Midal
Créateur du podcast «Dialogues» et auteur des «5 portes» (Éd. Pocket, 2023), le philosophe Fabrice Midal publie le 24 janvier 2024 «La théorie du bourgeon» sur l’anti-découragement (Éd. Flammarion). © ALEXANDRE AGOSTINI

De nombreuses personnes considèrent une nouvelle année comme l’occasion de rechercher un job plus épanouissant.
Le désir de trouver un travail plus épanouissant peut être une aspiration juste et profonde. Cela devient une injonction néfaste quand on se sent en faute parce qu'on ne correspond pas au modèle d’une Superwoman qui a un job parfait, un mari présent, des enfants qui font leurs devoirs, une piscine chauffée, etc. C'est important de comprendre qu'aucun métier n'est totalement épanouissant ou idyllique.

Dans tout métier, il y a des tâches ingrates, des frustrations, des échecs, de la fatigue…

Une fois cette distinction faite, entre pression pour correspondre à une image, et aspiration à progresser, à avancer, on peut décider en toute intelligence s’il faut ou non s’engager dans cette voie et essayer de trouver un autre poste…

Les problèmes sociaux et climatiques poussent de plus en plus de gens à s’engager davantage. Que pensez-vous de cette injonction?
Là aussi tout dépend si c’est une aspiration qui vient de nous, où si c’est une injonction qui vient d’un sens de culpabilité! Il faut répondre à la première et se libérer de la seconde. Je n'ai pas à m'engager davantage par devoir, ou par culpabilité ou parce que je ne serai pas assez une bonne personne, mais parce que j’en ai envie. Si on donne pour le bonheur de donner, parce qu'on sent qu'on accomplit son humanité, alors s'engager peut être formidable.

Que penser de l’injonction à devenir mère, ou plus largement parent, qui reste très présente en 2024?
Si c’est une injonction pour répondre à un modèle, cela nous met une pression inutile. Et si nous ne le pouvons pas, que ce soit pour des raisons psychologiques, familiales ou médicales, nous pouvons alors devenir très malheureux. Là aussi, avoir un enfant ne peut pas être une injonction!

Cela nous amène à vous interroger sur l’injonction d’exceller dans l'éducation des enfants?
J’encouragerais ici à apprendre les principes de l’éducation positive, c’est-à-dire de la manière d’éviter de confondre éducation avec violence! Il ne s'agit pas alors d'une injonction, mais simplement d'apprendre le fonctionnement du cerveau de l'enfant, ses besoins, les phases de son développement que la recherche, particulièrement aujourd'hui, nous permet de comprendre. Ça vaut la peine pour les parents d'apprendre à remettre en question certaines choses qu'ils ont reçues de leur propre éducation pour mieux éduquer leurs enfants.

Des enfants, passons au couple. Que pensez-vous de l'injonction à garder la flamme dans une relation amoureuse, alors que vous avez lancé un cours en ligne sur le couple en décembre 2023?
Pour le couple, il est bon d’apprendre comment nourrir la relation… D’ailleurs vous pouvez conseiller à vos internautes de retrouver mon cours en ligne (rires). Croire qu’on va réussir à changer quelque chose dans sa vie par une simple décision ne marche pas. Si je n’arrive pas à dormir, ce n'est pas en me disant «Je veux dormir» que je vais y arriver. Mais c'est en comprenant mieux, par exemple, les rythmes de sommeil ou des exercices d’endormissement. Donc, réussir à maintenir la flamme dans son couple demande de se libérer de la plupart des idées reçues sur le couple. Parce qu'on a une idée hollywoodienne du couple qui nous fait croire que tout doit être lisse, parfait, tranquille!

Créer des liens demande une attention, un savoir qui varie selon les moments de la vie, et souvent les gens ne le savent pas.

Mais tout le monde n’est pas en couple… Que pensez-vous de l’injonction qui consiste à «être heureux seul-e», alors que la société ne cesse de valoriser les gens qui «refont leur vie», «retrouvent quelqu'un», etc.
C'est une très belle question. Aujourd’hui, il y a cette injonction normative qu'être un humain heureux correspond à certains modèles, notamment ceux présentés sur les réseaux sociaux. Il y a un modèle de ce que devrait être le bonheur: être en couple, avoir deux enfants, un appartement… Le philosophe Fernando Pessoa disait «Nous sommes des exceptions à une règle qui n'existe pas», cela signifie qu'on est tous et toutes un peu singuliers-ère-s. Personne ne rentre complètement dans le moule. Que chacun-e se foute la paix et découvre son propre chemin!

Notre manière d’être heureux-se-s, ne peut être que la nôtre! Plus vite on abandonne les modèles tout fait, plus on a de la chance de trouver notre voie.

Pour finir, un autre frein à l’épanouissement de nombreuses personnes porte le nom d’éco-anxiété. L'injonction ici serait de la calmer.
Je pense que c'est typiquement une injonction étrange, parce qu'il y a des bonnes raisons d'être très en colère. Surtout n’essayez pas de vous calmer! Vous n’êtes pas des enfants turbulents! Découvrez ce que vous éprouvez! Et il y a des colères qui sont absolument saines. Publiée en 2023 dans le Journal of Personality and Social Psychology, l’étude «Anger has benefits for attaining goals» («La colère a des avantages pour atteindre certains objectifs») démontre que la colère peut être aussi positive, contrairement à ce que l’on a raconté sur le sujet dans le passé. Évidemment, il ne s'agit pas que l'anxiété ou la colère nous détruisent de l'intérieur, mais l'idée naïve de devoir toujours rester d'un calme olympien est fausse. Je l’ai toujours dénoncé dans mes livres.

Si vous êtes anxieux devant la situation de la planète, transformez votre angoisse en action! Faites quelque chose! Aujourd'hui, on est en faute d'avoir le cafard, d'être inquiet-e, de se sentir seul-e. Mais on n'est pas du tout en faute, ce sont des réactions humaines! Pour l’éco-anxiété comme pour les injonctions énoncées, faire la paix avec notre propre vulnérabilité nous permettra de vivre une meilleure année.

Juliane vous suggère de lire aussi:

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné