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Reportage: Femmes sans abri, la misère sans fard
Les premiers pas, nous les ferons sous la neige, un café à la main. Mais le récit d’une vie, ça prend du temps et il fait froid, à Sion, ce jeudi de janvier. Le gobelet refroidit. Sophie* propose rapidement d’utiliser un de ses recours pour ne pas se glacer le sang, prendre le bus. Une tactique parmi d’autres, qui ajoute un avantage à la chaleur: passer inaperçue.
Une obsession chez presque toutes les femmes sans abri: se mouvoir dans les villes sans se faire remarquer, passer le plus possible sous les radars; parce qu’elles ont peur, parce qu’elles ont honte, parce qu’elles essaient de trouver d’autres réseaux que ceux de l’aide officielle qui les enfermerait trop dans une définition d’elles-mêmes qu’elles tiennent à distance, comme en témoigne Angie, à Yverdon: «Au début, je me disais que les lieux d’accueil étaient pour les marginaux, que je n’y avais pas forcément droit. Je cherchais d’autres endroits pour aller dormir.» Elle ajoute une autre dimension pour se fondre dans la masse et garder un reste de dignité:
Fuir les structures d’accueil, c’est souvent le premier réflexe des femmes sans abri en Suisse romande. Ces couchettes juxtaposées ou superposées qui imposent la promiscuité des corps, la nourriture collective, tout ce qui interdit intimité et solitude. Les femmes choisissent de rester invisibles, préférant privatiser un bout d’espace public, squatter le canapé d’un bienveillant ou le lit d’un homme contre des faveurs sexuelles. Combien sont-elles à errer dans nos rues jusqu’à perdre la notion du temps? A vivre au jour le jour au rythme des besoins vitaux se résumant à dormir dans un endroit abrité et à se nourrir? Combien sont-elles à vivre une existence sans exister, où il ne reste plus de place pour le rêve, la projection, la réflexion sur un projet de vie? On l’ignore puisqu’elles échappent aux statistiques. Elles ne sont pas réellement comptées, peut-être parce qu’elles ne comptent pas.
Précarité menstruelle
Cette invisibilité a une conséquence concrète: les structures d’hébergement sont surtout conçues pour les hommes. Elles font de leur mieux, mais beaucoup ont mis du temps à comprendre le besoin d’hygiène féminine, à fournir les produits basiques adaptés qui, du simple savon au shampooing ou après-shampoing, sont souvent plus chers que ceux des hommes. Séverine Meunier, responsable du Point d’eau, à Genève, un lieu où on passe pour se doucher en toute sécurité, le constate tous les jours: «Je peux comprendre ce qu’elles demandent. Malgré la précarité, elles veulent paraître soignées.»
A Genève, Karen raconte concrètement sa vie sans domicile: «Le plus difficile, c’est la période des règles. Là, on a vraiment besoin de se doucher tous les jours. Quand je ne trouvais pas d’amis chez qui je pouvais le faire, j’allais dans des piscines ou des parcs. Mais ça n’est pas possible en hiver.» La course à la serviette hygiénique vire à la quête du Graal, c’est souvent la première chose qui est demandée lorsqu’une sans-abri débarque dans un lieu d’accueil. Sensible à l’écologie, Sophie «aimerait bien utiliser les coupelles menstruelles», mais elle est réaliste: «Pour l’entretien, c’est impossible.»
Karen évoque un autre moment délicat: «L’épilation, c’est la galère. Ma peau ne supporte pas le rasoir. Avant, je m’épilais à la cire. Se retrouver dans un lieu exigu, sans lumière, pour le faire, c’est impossible.» A Genève, la femme s’est retrouvée sans domicile, avec une fille de 8 ans qu’elle tentait de maintenir dans un minimum de normalité scolaire et quotidienne en vivant dans un mini-van qu’il fallait parquer, la nuit, dans des endroits sûrs. Le pragmatisme, elle sait ce que c’est: «En hiver, il nous est arrivé de faire nos besoins dans des sacs en plastique, il n’y avait pas d’autre solution.»
Occupées à raconter leurs tactiques de survie, les femmes sans abri ne se plaignent pas. Pas sûr qu’elles soient même conscientes d’être des sortes de super-warriors. «Elles trouvent une cave, au bas d’un immeuble, raconte Vince Fasciani, responsable des activités de la Fondation Carrefour-Rue & Coulou, à Genève. La différence avec les hommes, c’est qu’elles tentent de nouer de nouveaux liens sociaux. Là où l’homme devient sauvage, la femme est davantage capable de garder des liens.»
Entre deux caresses à son chien, Toby, Sophie raconte ses années sans domicile, entre Genève et Sion. De la débrouille à l’extérieur – séjours en forêt pour la sécurité, lac, fontaines, douches publiques des plages ou celles des piscines pour l’hygiène –, aux arrangements chez des particuliers. Parfois, elle enfile une tenue de sport et se rend dans une salle de fitness. «Comme vous avez droit à un essai gratuit par année, c’est cool. Il y a le sauna, ça change.» Il lui arrive aussi de viser les salles d’attente des hôpitaux ou même les halls d’hôtel: «Une fois, j’ai même passé une nuit au Beau-Rivage, à Lausanne, ça fait du bien, un peu de chaleur humaine et de solidarité.»
Sa plus grande angoisse, ne pas avoir un abri pour la nuit. Se nourrir est secondaire. Elle ne fréquente pas les structures d’accueil. «Je ne les aime pas. J’ai vu beaucoup de gens dont ça a précipité la chute parce qu’ils se sont confrontés à des problèmes liés à la cohabitation. Le vol. La violence. Il y a beaucoup de délation aussi parce que chacun veut se faire bien voir des gérants des hébergements. En plus, les structures sont plus pensées pour les hommes.»
Violences et dangers
La violence, c’est bien sûr une menace quotidienne. «Dans la rue, on n’a pas le droit à l’erreur, confirme Sophie. On est vite jugée pour tout. Il faut surveiller ses fréquentations, faire attention à ses déplacements, vérifier si on est suivie et éviter de faire les mêmes trajets.» Cyril Maillefer, responsable des hébergements d’urgence pour Caritas Vaud, appuie: «Dans la rue, les codes sociaux sont assez désinhibés. Certains n’ont rien à perdre.» Faute de chiffres suisses, il évoque les statistiques françaises: une femme sur deux a été victime de violence sexuelle pendant son passage dans la rue: «Ça doit être équivalent chez nous au vu des témoignages des femmes qui fréquentent nos structures.»
Autre forme de violence, celle qui échange hébergement temporaire contre faveurs sexuelles. Antoine, un SDF de Morges, en est souvent témoin: «Je t’ouvre mon appartement, tu écartes les cuisses, c’est la triste réalité de mes copines de rue, elles finissent souvent par se prostituer, en finissant parfois dans des réseaux, c’est terrible. Récemment, une fille s’est vendue contre un logement. Elle est tombée enceinte et c’est une autre galère qui a commencé pour elle.» Cyril Maillefer confirme: «La faveur sexuelle contre protection et hébergement est une réalité.» Il raconte le cas d’une jeune femme qui avait suivi son conjoint en Suisse. Lorsqu’elle l’a quitté, sans réseau social lui permettant d’être hébergée avec sa fille de deux ans, elle s’est retrouvée à la rue.
«Elle est arrivée chez nous, amenée par la police, avec une valise. Au bout de trois semaines, elle avait trouvé une autre stratégie de vie pour ne plus revenir: rencontrer des hommes qui lui offraient un logement contre des prestations sexuelles. Elle n’est pas un cas isolé.»
Besoin de lieux exclusifs
Pour Cyril Maillefer, la solution passe par la création de structures d’accueil réservées aux femmes: «Des zones féminines dans les structures mixtes ne suffisent pas. S’il existait des foyers spécifiques pour les femmes, on verrait peut-être apparaître celles qui restent invisibles, qui n’osent pas faire part de leur traumatisme.» Sophie irait-elle dans une habitation dédiée exclusivement aux femmes si elle existait? «Oui, j’irais sûrement, à condition que mon chien puisse venir aussi. Vous savez, les femmes qui ont été violentées accepteront difficilement les structures mixtes. C’est une question de confiance.»
Pourquoi, alors, ces structures réservées aux femmes sans abri n’existent-elles pas ou si peu? Surtout parce qu’on n’en connaît pas le nombre. Pas de chiffres, pas de subventions. Cyril Maillefer confirme que sur 700 personnes hébergées par Caritas Vaud chaque année, les femmes ne sont officiellement que 10 à 15%. «Pourtant on sait que, chez les sans-abri, le pourcentage féminin se situe plus près de 30 à 40%.» Il regrette:
«Pour les pouvoirs publics, ces chiffres ne suffisent pas pour ouvrir des foyers exclusivement réservés aux femmes. Ils ont l’impression qu’il s’agit de cas marginaux et rares. Or, c’est faux. Tant qu’on n’ouvrira pas des lieux qui leur sont dévolus, où elles se sentiraient en sécurité, les femmes n’apparaîtront pas dans les statistiques.»
Villes prisonnières des chiffres
A Genève, Anne-Lise Thomas, responsable du foyer La Virgule, annonce une bonne nouvelle: Lancy va ouvrir un appartement de dix pièces où logeront uniquement des femmes. Elle s’en félicite: «Ici, on n’accueille que des hommes. L’expérience de la mixité n’a vraiment pas fonctionné. Certains hommes se permettaient des tentatives de drague alors que les femmes ne voulaient pas.
Une tournée des chefs-lieux romands montre qu’il y a encore du travail. Pour les villes de Lausanne et Fribourg, le besoin n’est «pas identifié». Preuves à l’appui, «les usagères» ne représentent respectivement que 13% et 10% de la fréquentation des structures d’accueil. Sion tente de rassurer en se disant «attentive à l’évolution de la situation». Delémont, qui ne connaît pas de femmes sans domicile fixe, «tentera de réagir au plus vite si un ou plusieurs cas venaient à se présenter».
Pour Neuchâtel, «la thématique pourrait émerger au niveau cantonal». La Ville de Genève, elle, a lancé une étude (résultat au printemps) pour cerner la situation du sans-abrisme. «Le but est de quantifier les besoins et de mieux comprendre les trajectoires des personnes en grande difficulté afin de nourrir la réflexion sur leur accompagnement, en vue de leur réinsertion sociale, mais aussi de leur proposer des lieux d’hébergement et d’accueil adaptés», se félicite Christina Kitsos (PS), la conseillère administrative en charge du Social:
«La question des femmes sans abri est pour moi une préoccupation centrale. Nous avons observé une majorité de femmes en détresse avec les semi-confinements successifs, surtout chez celles qui étaient actives dans le domaine de l’économie domestique, mais aussi de la prostitution, car le logement est souvent lié à l’activité.
Berne s’en lave les mains
Au niveau national, le débat est nettement insuffisant, comme l’explique la conseillère nationale vaudoise Ada Marra (PS), membre du conseil de la fondation Mère Sofia: «Dans les documents officiels, la pauvreté n’existait pas en Suisse avant 2010. Aujourd’hui, on doit avoir une vue fine de la situation du sans-abrisme au niveau fédéral. Il faut une politique publique plus forte.» En 2014, elle avait déposé un postulat en ce sens, mais le Conseil fédéral avait renvoyé l’objet à la responsabilité des cantons et des villes. La Vaudoise le regrette: «On entend parfois que les places au sein des structures d’hébergement d’urgence ne sont pas remplies. Mais, si les gens sont entassés dans des bunkers, ils viennent une fois ou deux fois, puis plus jamais.»
Dans le bus de Sion, le chien Toby se fait gronder par le chauffeur pour être monté sur un siège. Sophie présente poliment ses excuses et poursuit son récit. Elle s’étonne aussi d’un système où, parfois, il faudrait vivre une réalité pire que la sienne pour entrer dans une catégorie digne d’être aidée:
«Lors d’une de mes dernières démarches d’aide à la réinsertion, on m’a clairement dit que si je tombais enceinte, on pourrait m’aider plus facilement. J’étais scandalisée de l’entendre.
Le temps de se trouver, c’est tout l’enjeu de ces parcours de vie accidentés. Créer des lieux d’accueil pour ces femmes leur offrirait une pause, une respiration, un moment de sécurité qui leur permettrait peut-être de sortir de l’ombre, de s’imaginer visibles. Séverine Meunier, la responsable du Point d’eau, à Genève, en est convaincue: «Un SDF doit rompre avec la course aux prestations pour se remettre sur des rails. La première étape pour réexister est d’avoir une adresse. Il est urgent que le politique prenne conscience qu’il faut se poser pour redémarrer.»
* Prénom d’emprunt
Angie, 43 ans
«Avec le recul, je me dis que j’aurais dû être protégée. On ne laisse pas un enfant seul errer dans la rue. Surtout pas en Suisse», confie Angie. Il est 9 h 30 et elle vient de terminer sa veille de nuit au Gîte du passant, à Yverdon (VD). Cette auberge de jeunesse, qui a fait faillite lors de la première vague du Covid, a été transformée en hébergement d’urgence pour l’hiver par Caritas Vaud.
Angie se raconte sans honte. Son enfance passée à Lausanne, elle la qualifie de tragique, avec beaucoup de traumatismes. Elle perd sa mère à 16 ans et choisit la rue plutôt que le foyer. «C’était une question de survie pour moi.» A cet âge, elle connaissait déjà la fugue, l’alcool et la drogue. «A ma première injection d’héroïne, j’ai ressenti cette chaleur qui me manquait tellement dans la vie. Je savais que j’allais crocher.»
Son curateur connaissait sa situation. Il lui donnait son argent une fois par semaine et la laissait vivre comme bon lui semblait. Elle dormait où elle pouvait, souvent chez des amis, parfois dans une cave. Elle avait choisi la liberté. Il était impensable, pour elle, de se retrouver dans une famille d’accueil «où on prend le petit-déjeuner, le dîner, le souper à la même heure».
La Lausannoise connaît sa première cure de désintoxication à 17 ans. Après une rechute, elle opte pour la méthadone durant 6 ans. A l’arrêt du traitement, elle quitte son copain et se retrouve une seconde fois à la rue, à Yverdon. «Cette fois, ce n’était pas un choix. Au bout de trois mois, j’étais épuisée, lessivée.» Elle se souvient de la fois où elle avait pu se payer une chambre d’hôtel. Se sentir chez soi, même le temps d’une nuit. «Après la vulnérabilité, la solitude est le sentiment qu’on ressent le plus dans la rue et, paradoxalement, c’est un luxe qu’on ne peut s’offrir que rarement.»
Fière de son indépendance financière depuis deux ans, conquise grâce à son poste de veilleuse, qui complète ses activités de responsable à l’association des Cartons du Cœur, à Yverdon, elle se sent heureuse. Toutefois, elle sait que la vie est fragile. «Aujourd’hui encore, je me bats pour vivre plutôt que pour survivre.»
Karen, 45 ans
«Quand mon assistante sociale m’a annoncé l’impossibilité de m’offrir un logement et qu’elle m’a conseillé de vivre dans mon mini-van avec ma fille de 8 ans, en gros de me débrouiller dans l’illégalité pour une durée indéterminée, j’étais choquée», confie Karen, rencontrée dans le hameau Ulysse, un village de studios mobile-homes mis à disposition par l’association genevoise Carrefour-Rue & Coulou.
C’est en 2014, à la suite de l’endettement de son conjoint, qu’elle plonge dans la précarité et dans l’insoutenable angoisse de perdre la garde de son enfant parce qu’elle n’a pas de logement. Durant 3 mois, elle doit déplacer régulièrement son mini-van pour ne pas attirer le regard de la police; trouver des stratégies pour l’hygiène, pour les lessives; veiller à la sécurité, au bonheur et au bien-être de sa fille.
Elle s’estime chanceuse d’avoir eu ce véhicule. «Si j’avais dû me retrouver à la rue en ville, je ne sais pas comment j’aurais fait. J’aurais vraiment eu peur.» Quand enfin elle obtient un logement subventionné (au rez-de-chaussée) et espère se stabiliser, elle est victime d’une agression. Chez elle. «C’est si fatigant de ne jamais trouver la paix.» Elle se souvient des zonards du quartier, des seringues sur le terrain de jeux à proximité. «Aucune mère n’a envie que sa fille soit confrontée à cette réalité.» Elle décrit le stress quotidien de l’insécurité et le manque de soutien. «Je trouve que nous, les femmes, pouvons vite sombrer dans la dépression, ce qui impacte aussi la santé physique.» Depuis cette mauvaise expérience, elle peine à refaire des demandes pour des logements subventionnés.
Actuellement, Karen partage avec sa fille un container de 21 m2 transformé en cocon douillet. Elle y trouve, enfin, le calme dont elle avait tant besoin, mais aussi le soutien, l’encadrement et la sécurité nécessaires pour pouvoir se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, elle se consacre à un projet d’association. Elle est en train de mettre en place une plateforme dédiée aux femmes (karenkanature.com), un espace où chacune pourra raconter son parcours, partager ses connaissances et donner des conseils.
«Notre système pourrait être plus juste, surtout pour les femmes, surtout pour les mamans.» Elle estime aussi qu’il est urgent d’alléger les processus administratifs et d’accélérer l’action concrète.
Sophie*, 29 ans
«Avant, j’étais à Genève, mais je me suis fait agresser. C’était dur de croiser mon agresseur dans la rue, au quotidien. A cette époque, j’ai eu une opportunité de travail à Sion, alors j’ai foncé.» La rue est un contexte extrêmement violent pour une femme, explique celle qui, au fil du temps, a appris à gérer les propositions scabreuses et le harcèlement sexuel. «Le sentiment d’injustice et de solitude est très fort. Certains jours, j’ai vraiment l’impression d’être seule contre le monde.» En dix ans de galère, elle ne s’est, au fond, sentie écoutée qu’une seule fois, récemment, par une personne travaillant dans une association. «Il est urgent d’avoir un système plus humain pour tous.»
Sa situation précaire ne l’empêche pas de mesurer sa chance. Son réseau de connaissances, tissé au fil de ses passages à la rue, lui permet de trouver un toit et de ne pas tomber dans la prostitution (contre logement), la drogue ou le vol. Actuellement, elle vit dans un atelier d’artiste prêté par un ami. Un deux-pièces avec WC. La douche manque, mais ça dépanne. «J’ai fait le tour des associations pour avoir de l’aide à la réinsertion. Je suis une personne active. Ça valorise le regard que les gens portent sur moi. Je n’ai que 29 ans, plein de facultés et l’impression que tout est encore possible pour moi.»
En attendant de trouver une source de revenu stable, elle donne des cours de langue, chante des poèmes et joue de la guitare. «Toutefois, mon revenu issu de la rue m’a fermé des portes. C’est hyper-violent de se rendre compte que certains organismes d’aide sélectionnent leurs pauvres pour bien se faire voir.» Sophie raconte sa difficulté à se poser et à réfléchir à un projet de vie.
La jeune femme est passionnée par la botanique et l’usage des plantes. Son rêve est de se former dans le domaine des soins en intégrant, par exemple, l’école d’herboriste, à Sion. «Mais bon, c’est impossible, la formation coûte près de 12 000 fr.»
* Prénom d’emprunt
La première étude nationale est annoncée fin 2021
Comment la Suisse, un des pays les plus riches du monde, peut-elle tolérer des femmes seules ou avec enfants sans domicile fixe? «Une pauvreté extrême comme celle des sans-abri est peu compatible avec l’image d’une Suisse riche et généreuse dont le pays est si fier. Là où il n’existe pas de chiffres à l’échelle nationale, il y a également peu d’arguments pour reconnaître le sans-abrisme comme un problème social et pour réfléchir sérieusement à la prévention et à la lutte contre ce phénomène en termes professionnels, pratiques, politiques et scientifiques», explique le professeur Jörg Dittmann, de la Haute Ecole de travail social du nord-ouest de la Suisse, à la tête de la première étude nationale visant à établir une estimation du nombre de femmes et d’hommes sans abri en Suisse, qui livrera ses résultats fin 2021.
La perspective du genre sera prise en compte. «Il existe une différence notable entre les hommes et les femmes qui sont sans abri ou qui risquent de le devenir. Nous connaissons, grâce à des études qualitatives, le stress particulier auquel les femmes sont confrontées lorsqu’elles sont sans logement ni abri. Etre victime de violence sexuelle est une circonstance qui les rend particulièrement vulnérables.» Il ajoute que diverses études, menées par exemple en Angleterre, en Allemagne et en Amérique du Nord, montrent que la plupart des femmes sans abri essaient d’éviter à tout prix la vie dans la rue et concluent parfois des partenariats forcés.
«Le sans-abrisme est une des formes extrêmes de pauvreté. Il existe peu de connaissances empiriques à ce sujet, en particulier en Suisse. La recherche sur la pauvreté ne devrait pas contourner ces questions simplement parce qu’il est difficile d’étudier ce groupe selon les normes méthodologiques conventionnelles. Note étude ne sera d’ailleurs en mesure de donner que des estimations prudentes du nombre total de personnes. Néanmoins, il s’agit d’une étape importante.»
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