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Reportage dans la police de Morges: «Allez les filles, engagez-vous»

Reportage dans la police de morges

26%: La part de femmes dans la police en Suisse. Un pourcentage qui a tendance à baisser plus on grimpe dans les fonctions dirigeantes.

© SOPHIE BRASEY

Du bagou, Saïd* en a à profusion. Avec un beau sens de l’enfumage. Il assure qu’il partait pour Lausanne pour «s’acheter des cigarettes». Qu’il n’a pas bu «parce que c’est ramadan». Le scooter lui a été prêté par «une amie qui l’héberge» et, comme «elle a perdu les clés», il a fait sans: «Je l’ai démarré avec les fils. Comment ça, ce n’est pas permis?» Il est 3 heures du matin dans une salle d’interrogatoire de la Police région Morges (PRM) et la créativité de l’homme intercepté ne faiblit pas. Mis en cause pour une série d’infractions depuis 2013, il a été testé positif à la cocaïne la veille et son permis de conduire lui a été retiré. Mais il assure: «Votre collègue m’a dit que le permis serait enlevé lundi, on n’est que samedi. Je vous promets qu’il a dit ça, ça sort pas de ma tête.»

Puis il emballe le tout avec un ruban: «Avec tout le respect que je vous dois Madame. J’ai du respect pour toutes les femmes, ma sœur est flic en plus…» À la fin de l’audition, il finira par dire: «Je vous demande pardon, Madame.» La sergente-major Aurélie Folly (33 ans) le notera dans la déposition: «Il faut le signaler quand une personne est gentille.» Il est presque 5 heures du matin, la journée a été longue puisque l’agente a enchaîné deux services, celui de 4 h 45 à 11 h, puis celui de 18 h 45 à 5 h. «On finit par se faire aux horaires», assure-t-elle.

«C’est passionnant»

Si Aurélie a accepté de se laisser suivre plusieurs jours par une journaliste, c’est dans un but suivant:

«On a besoin de davantage de femmes.» Elle lance l’appel: «Les filles, il faut oser vous engager, ce n’est pas un métier facile, mais il est passionnant.»

Les chiffres parlent en effet d’eux-mêmes. Aujourd’hui, la part des femmes dans la police n’est que de 26%. À la PRM, elles ne sont que quatre à Police-secours. Pour Aurélie, il faut changer l’image qu’on présente au public, sortir des formations qui ne misent que sur la force, le muscle et la virilité: «Le recrutement actuel donne l’impression, même quand il vise les femmes, qu’on recherche des guerrières de 1,80 m avec des bras à la Hulk. Du coup, certaines femmes pensent qu’elles n’ont pas la taille, la force ou la puissance. Elles ne vont même pas se renseigner. Elles estiment directement qu’elles ne sont pas faites pour le métier.»

Pour elle, être policier, c’est autre chose: «Dans la rue, au quotidien, ce sont les qualités personnelles et humaines qui priment généralement et qui font la différence.» La suivre sur le terrain va montrer en effet à quel point la majorité des interactions avec la population exige d’abord de la psychologie. Quand elle détaille son matériel, Aurélie confirme: «La lampe de poche et la radio sont les éléments que j’emploie le plus. Je n’ai jamais utilisé mon arme en onze ans de métier.»

© SOPHIE BRASEY

Patrouilles mixtes

Si, pour Aurélie, il faut plus de femmes, c’est aussi parce qu’elle estime que la formule gagnante est la patrouille mixte.

«Avoir des équipes avec une femme et un homme, c’est plus efficace. Ça rend les interventions moins agressives, plus humaines.»

Son binôme s’appelle Bryan Chapman (27 ans): «Avec lui, on a désamorcé énormément de situations pour ne pas en arriver aux mains parce qu’on sait parler aux gens.»

Plus tôt dans la journée, on a pu constater leur complémentarité. Sur une scène d’accident sans blessé, au centre-ville, la situation s’est envenimée. Une conductrice montre celui avec qui le ton est monté: «Je vous ai appelés parce que je ne savais plus quoi faire. Il a commencé à m’engueuler fort et, surtout, on est en désaccord avec les faits.» Pendant que Bryan enlève les débris sur la route, Aurélie tente de faire comprendre que la solution la plus simple pour tout le monde est de faire marcher les assurances. Mais le conducteur s’énerve, hausse le ton. Aurélie lui demande d’arrêter de crier. Bryan s’en mêle: «Bon, ça suffit, Monsieur, venez avec moi pour remplir les documents à fournir à votre assurance.» L’homme le suit sans discuter. Elle expliquera plus tard: «Parfois, avec les agentes femmes, certains se permettent plus de choses, ils s’autorisent à hausser le ton, ou ils établissent le contact physique plus facilement.» Le binôme précise que la scène aurait pu se dérouler dans le sens inverse, c’est là que se joue la complémentarité: c’est souvent l’intervention d’un second agent qui désamorce les crises.

Laura Favez (25 ans), l’autre policière agente que nous avons suivie sur le terrain, est également convaincue de la pertinence des patrouilles mixtes: «Les mecs n’hésitent pas à dire des phrases du type: «En tout cas, si je devais faire une infraction, ça me dérange pas d’avoir les menottes ou d’être fouillé.» Son binôme, Kevin Pinto Carvalho (30 ans), ajoute: «Les gens ont tendance à chercher la vulnérabilité chez une policière, à tenter de l’amadouer. Ils vont vers Laura pour demander: «S’il vous plaît, vous ne pouvez pas faire un effort?»

Reportage dans la police de Morges: «Allez les filles, engagez-vous»
La sergente-major Aurélie Folly, 33 ans (à droite) et l’agente Laura Favez, 25 ans, lors d’une patrouille au centre de Morges. © SOPHIE BRASEY

Encore du boulot

Si Aurélie est heureuse que les choses aient évolué vers le mieux ces dernières années, elle se souvient que les débuts n’étaient pas évidents: «Mon intégration a été compliquée. J’avais la taille requise mais j’étais petite.» On lui disait: «Un coup de vent et tu vas t’envoler.» Ou encore: «J’ai vu ta voiture patrouiller, mais je ne t’ai pas vue conduire, tu n’avais pas pris ton rehausseur?» L’Académie de police de Savatan «était rude aussi». Elle entendait: «Une femme, c’est presque un demi-policier. C’est juste utile pour les fouilles.» «Aujourd’hui, les formateurs ne peuvent plus se permettre de tenir ce genre de discours. Ça a beaucoup évolué grâce aux témoignages courageux de femmes et d’hommes qui ont dénoncé certaines situations.»

Pour tenir, elle a petit à petit développé des protections: «Je me suis rendu compte que me révolter n’énervait que moi. J’ai pris du recul. Parce qu’il était hors de question que j’abandonne. J’aime trop ce métier.» La solidité, c’est indispensable: «Dans la rue, la méchanceté est restée la même. Si tu n’as pas le cuir solide, tu peux être vite désarçonné.» Elle ajoute: «Aujourd’hui, heureusement, on apprend plutôt à manager qu’à diriger.»

Manager, justement, elle le fait aussi depuis trois ans. Et elle y est bien seule, puisque la part des femmes dans des fonctions dirigeantes est d’à peine 2%. Aurélie a une explication: «Déjà, on est trop peu de femmes. Ensuite, elles ne restent pas assez longtemps pour pouvoir grader. Quant à celles qui ont de l’expérience, elles ne veulent pas forcément avoir davantage de responsabilités.» Pour Aurélie, grader était une évidence: «J’aime avoir les deux casquettes, celle de manager et coach, et celle de policière en intervention.»

Reportage dans la police de Morges: «Allez les filles, engagez-vous»
Les deux membres de la police région Morges s’équipent avant de partir en patrouille. © SOPHIE BRASEY

Son défi en tant que cadre? «Savoir bien expliquer, trouver un sens aux actions. Et être dans le dialogue avec mes agents. Quand je suis cheffe, j’ai cinq personnes sous mes ordres. Il faut savoir se faire respecter en n’étant pas trop stricte ou en ne se montrant pas trop au-dessus des autres. Une main de fer dans un gant de velours, comme on dit. Il y a une chose que j’ai comprise: être trop sévère et directive, ça ne fonctionne pas. J’ai l’impression qu’on attend d’un chef plus de sensibilité. Le fait d’être une femme, ça aide. On a un côté humain peut-être plus prononcé.»

Laura ne cache pas que l’exemple d’Aurélie l’inspire: «Quand je la vois manager, elle me donne envie de grader. Si un jour je devais avoir cette chance, j’aimerais avoir du tact, de la finesse, de la pédagogie pour faire passer mes messages.» Elle se souvient d’une intervention qui l’a énormément marquée à ses débuts à Morges. En patrouille avec Aurélie pour la première fois, elles avaient été appelées à Saint-Prex, où un homme s’était pendu: «Aurélie est restée calme. Dans la voiture, elle m’a demandé: «Tu es prête à masser?» L’adrénaline monte. L’angoisse aussi. Celle d’ignorer sa propre réaction face à une situation de crise réelle: «Est-ce que je perdrai mes moyens? Est-ce que j’arriverai à toujours parler à la radio? Est-ce que je serai efficace ou est-ce que je risque de ne servir à rien?» Tout au long du trajet, Laura sera préparée par sa cheffe à divers scénarios afin qu’elle arrive avec la bonne attitude. «Quand j’ai touché le corps, j’ai compris qu’il était mort. À la fin de l’intervention, je tremblais à cause de l’adrénaline. C’était ma première situation de stress. Au final, j’ai bien réagi.»

Se blinder

Comment tenir? Au fil des années, la sergente-major a intégré certains mécanismes de défense. Ne pas prendre pour soi les insultes, ne pas se laisser atteindre: «À l’école de police, on nous apprend que c’est l’uniforme qui est insulté, pas la personne qui le porte.» Son arme secrète? L’humour: «Quand j’ai affaire à des mecs bourrés dans la rue qui me draguent, j’utilise l’humour. J’entre dans leur jeu, un peu… histoire d’avoir leur sympathie pour pouvoir mieux gérer la situation.» Quand on lui lance: «Ces tatouages, c’est autorisé dans la police?» Elle répond: «Faut croire que oui puisque j’y suis toujours». Un soir, en plein «Garo», c’est-à-dire lors d’une patrouille à la gare, les agents contrôlent l’identité de sept jeunes dont les portraits sont affichés au poste. Assis devant le MacDo, ils rechignent, râlent, tentent toutes les formes de mauvaise volonté à la manière des petits caïds: «Hé Madame, je suis en train de manger là, vous me manquez de respect!» Aurélie reste en lien, dialogue, n’a pas besoin de hausser le ton. Elle obtiendra les pièces d’identité sans créer de rupture.

Le rapport aux femmes peut créer des surprises.

«Étonnamment, j’ai eu davantage de problèmes avec des femmes qu’avec des hommes.

C’est d’elles que vient plus souvent la violence physique. Un homme a encore une certaine réticence à frapper une femme, ou à s’avancer pour menacer, tandis qu’une femme, elle, elle s’en fiche, elle va oser, gueuler ou s’avancer.» Deux jours plus tôt, une opération sur des véhicules mal garés en donnait la preuve. Mécontente de découvrir son amende, une conductrice s’est avancée, naturellement, vers Aurélie et a haussé le ton pour contester.

Muscles ou cerveau

Même si la psychologie joue un rôle, la force est nécessaire lorsque les choses se mettent à chauffer. Une femme peut-elle ne pas être à la hauteur de l’exigence physique du moment? Bryan s’inquiète-t-il, par exemple, d’une potentielle situation où Aurélie ne pourrait pas le porter s’il est blessé? «Non, parce qu’il y a énormément de situations qui peuvent faire que mon coéquipier ne pourrait pas m’aider. Ça ne dépend pas du fait qu’il soit un homme ou une femme. Il peut être blessé avant moi, il pourrait être tétanisé, paniquer, ne pas avoir le comportement adéquat.»

Laura a le même sentiment: «La musculature féminine est moins puissante que celle d’un homme, c’est indéniable. Mais cela ne me fait pas peur car sur le terrain on trouve toujours des solutions.» Qu’en pense son coach Kevin? Se sent-il en sécurité avec la jeune policière? «Je sais que Laura s’engagera à 150% s’il faut me protéger. J’ai une entière confiance en ma partenaire et c’est le plus important pour moi.»

Une confiance qui ne tient en effet pas à la carrure: Laura a une particularité, elle mesure 153 centimètres. Quand elle a commencé à rêver de devenir policière, la même question revenait en boucle: «N’y a-t-il pas une taille minimale de 160 centimètres?» Avant même de postuler, elle savait qu’elle ne remplissait pas une des conditions obligatoires. Mais cela ne l’a pas découragée. À une séance d’information, on lui conseille de tenter quand même sa chance. Pour lui dire, le lendemain de l’envoi de son dossier, que celui-ci «n’ira pas plus loin» puisqu’elle ne répond pas aux conditions d’admission. Mais elle tiendra tête à la personne au bout du fil, expliquant sa démarche et l’énergie investie. Sa détermination finira par payer. «On m’a rappelée pour me dire qu’on me laissait ma chance.» Elle ne sera ensuite pas admise à la gendarmerie de Lausanne, son premier choix, mais acceptée à Morges: «Je n’oublierai jamais ma première discussion avec le commandant Leu. Il a eu cette phrase magique: «Ce ne sont pas toujours les grands hommes qui ont accompli les grandes choses.»

Reportage dans la police de Morges: «Allez les filles, engagez-vous»
Des policières au contact de la population. En onze ans de métier, Aurélie Folly (à droite) le souligne: elle utilise surtout sa radio et sa lampe de poche, et n’a jamais eu à dégainer son arme en service. © SOPHIE BRASEY

Conditions de travail

Pour encourager les femmes à choisir la voie policière, les deux femmes en sont convaincues, il faut aussi changer certaines conditions de base. Celle du congé maternité et du temps partiel. «De nos jours, les jeunes tiennent à leur confort de vie avec des taux réduits. Vouloir travailler à temps partiel ne doit pas être un frein. Tout l’enjeu actuel est de réfléchir à comment adapter la profession à l’évolution de la société», explique Aurélie.

Elle rêve vraiment que la voie s’ouvre pour les femmes: «C’est tellement important de montrer aux femmes que c’est un beau métier J’aimerais bien faire envie aux nouvelles générations. C’est prétentieux de le dire? C’est que moi, malheureusement, je n’ai pas de modèles féminins dans le métier.»

Si elle devait citer un modèle, ce serait plutôt l’un de ses chefs de Nyon, où elle a fait ses armes: «Il était reconnu pour ses qualités de chef. Il était humble, il ne cherchait jamais à attirer la lumière sur lui. Il avait un leadership naturel et des compétences de manager, un self-control et un recul incroyable sur les situations. C’était une force tranquille.» Et elle lui ajoute cette qualité suprême: «Il avait tellement de sensibilité qu’il aurait pu être une femme.»

* Nom connu de la rédaction

Nos questions au commandant Clément Leu, Police Région Morges

FEMINA La part des femmes dans le canton de Vaud est de 15%. Un taux satisfaisant?
Clément Leu Non. On aimerait en avoir davantage. Nous recrutons en moyenne trois policiers par année et nous recevons 25 dossiers de candidature, dont un à trois féminins. J’essaie de favoriser le recrutement de femmes, mais il faudrait plus de candidates au début de la sélection.

Les femmes ont-elles des problèmes sur le terrain?
Non, nos agentes arrivent très bien à appliquer les moyens de contrainte selon les principes de proportionnalité, légalité et opportunité, malgré le fait que les interventions plus dures concernent principalement des hommes. Dans les faits, cela ne représente qu’une petite partie de notre travail, 90% de notre activité tient plutôt au contact social avec la population. On demande à nos agents d’avoir une intelligence émotionnelle. En ce sens, avoir des patrouilles mixtes est en quelque sorte notre formule magique.

Comment attirer plus de femmes?
C’est un défi. Le danger des structures à forte majorité masculine, et où l’on exerce un travail d’urgence, est que l’homme peut se montrer parfois un peu cru. Je suis attentif aux questions de harcèlement sexuel ou moral, au racisme, aux violences envers la communauté LGBT+. C’est important d’avoir un environnement où l’on peut plaisanter, mais je suis intransigeant si on dépasse la limite. Récemment, un collaborateur a été licencié parce qu’il a eu un comportement problématique envers une collaboratrice.

Un objectif pour l’avenir?
Doubler le taux d’engagement et passer à 30% de femmes. J’y crois, on y arrivera.

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