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Le rap est-il trop sale pour les ados?

Nouvelle Ecole Netflix rap Niska Shay SCH

Sur Netflix, les deux saisons de Nouvelle école, programme qui s'emploie à dénicher les nouvelles pépites du rap francophone, fait un carton auprès des jeunes. Dans le jury, Niska, Shay et SCH alignent les propos vulgaires pour faire monter la sauce.

© NETFLIX7GEOFFREY DELAMARRE

C’est une déferlante à laquelle on ne peut pas échapper si on est parents d’ados. Le rap francophone est partout: sur les playlists Spotify qu’ils écoutent, dans les festivals de l’été qui en jalonnent leur programmation, sur Netflix même, avec les saisons 1 et 2 du programme Nouvelle école qui s’applique à trouver la pépite rap de demain. Et là, en accompagnant la progéniture dans cette découverte, dans un esprit de partage et d’ouverture (pour se blinder pour les festivals de l’été aussi, où l’on devra les accompagner lors des soirées rap), c’est la claque, le coup de vieux, la déconfiture morale.

En écoutant les paroles d’artistes comme Jul, Soso Maness, Koba LaD, Niska, Shay ou SCH, d’abord, on ne comprend rien au vocabulaire. Normal, c’est générationnel.

Mais quand on le «comprend», en tant que parent, on est perplexe.

Entre l’ado à l’aise qui explique ce que signifie «bail», «matrixer», ou «moula» tout en assurant que Damso (ndlr: qui est belge), en vrai, n’est pas aussi vulgaire que dans ses textes, et le petit frère qui chante à tue-tête le refrain de Faut que j’la chope de Fresh, qui a gagné la saison 1 de Nouvelle école, il y a de quoi se poser une question légitime: nourri du triptyque deal, fric et flingue, dégoulinant de virilisme et de vulgarité entre deux clichés sexistes, est-ce que le rap francophone, qui certes cartonne dans les préaux d’école, est vraiment fait pour leurs oreilles? Clés de compréhension et ébauche de réponse avec Benjamine Weill, philosophe et auteure d’un ouvrage passionnant sur le sujet: À qui profite le sale? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français (Éd. Payot). La spécialiste biberonnée au rap depuis trente ans invite à en découvrir la diversité au-delà des clichés.

FEMINA Qu’est-ce qu’on entend quand on dit que le rap est «sale»?​
Benjamine Weill
Le mot «sale» est un mot qui est polysémique dans le rap. Faire du rap sale, du son sale, ça peut vouloir dire du bon son. Mais il y a aussi «faire du sale», qui est devenu plutôt entendu comme transgressif du côté moral.

On a tendance aujourd’hui à mettre l’aspect négatif en avant, alors qu’il y a aussi une dimension positive au sale qui est dans la réappropriation des stigmates, de faire du beau à partir du sale.

Même si la transgression fait partie de la culture hip-hop dont le rap est issu, cette tendance autour d’un certain sale actuel n’est pas non plus l’ADN de tout le rap.

C’est la vulgarité qui fait partie de son ADN?​
Oui, entre autres, mais cette vulgarité ne fait pas partie que du rap, même si on a tendance à se focaliser là-dessus. Il ne faut pas oublier que Renaud, par exemple, c’était aussi vulgaire. La chanson a toujours été l’espace – ce que j’ai d’ailleurs toujours expliqué à ma fille qui a aujourd’hui 21 ans lorsqu’on confrontait nos raps – où la vulgarité a sa place. De la même manière qu’on apprend à adapter les différents niveaux de langage selon les endroits, c’est important en termes d’éducation de savoir qu’il y a des choses qui passeront en chanson, qui ne se disent pas dans la vraie vie.

Justement, en tant que parents, on a parfois l’impression que les ados ne se rendent pas compte de la vulgarité de ce qu’ils chantent…
À l’adolescence, il y a quelque chose qui vient résonner à cet endroit-là, dans le choc à l’adulte. On a tendance à oublier ça en tant que parent. Quand j’avais 14 ans, en 1993, on écoutait et on chantait Elmer Food Beat (ndlr: groupe de rock français aux paroles plutôt grivoises), ce qui n’est pas tellement mieux, mais ça faisait moins polémique.

Je pense que lorsqu’on est ado, on a besoin de vulgarité pour pouvoir approcher le sexuel notamment, parce que le sexuel taraude, qu’il est partout et qu’il faut pouvoir l’apprivoiser. À travers le rap, il y a quelque chose de cru, ce qui fait qu’on se l’approprie un petit peu plus facilement.

Une vulgarité qui frôle parfois le sexisme, non?
Le sexisme y est présent comme ailleurs, il n’est pas spécifique au rap. C’est une vulgarité signifiante, barbare, mais pas nécessairement misogyne. Mais depuis le début des années 2000, il en est devenu l’étendard avec une focalisation médiatique sur les clichés sexistes, jusqu’à la caricature.

C’est-à-dire?
À la base, ce courant musical n’était pas caricatural. Il était transgressif, il pouvait être vulgaire, sexuel sans forcément être sexiste. Ça s’est joué à partir du début des années 2000, quand le rap commençait vendre. Il y a eu un intérêt à promouvoir les caricatures, en poussant ça au paroxysme d’aujourd’hui où le rap est devenu totalement mainstream. C’est la musique qui se vend le plus, donc qui normalement devrait être considérée comme le courant musical artistique le plus reconnu. Mais son caractère mis en avant sexiste et vulgaire est marketé pour être le grand méchant loup.

D’où vient cette injonction au virilisme exacerbé, avec des femmes relayées au rang d’objet ou au rôle de mère sacrificielle?
Cette dichotomie entre la mère et la putain, ce n’est pas le rap qui l’a inventée. On est sur du sexisme relativement ordinaire, non pas qu’il soit banal ou pas grave, mais dans le sens où il est largement répandu.

L’industrie du rap et des médias rap a quand même été essentiellement tenue par des hommes qui étaient emprunts de ce sexisme ordinaire.

Ça s’est exacerbé à travers le rap, car il y a des enjeux systémiques que je développe justement dans le livre: qui a les moyens de production? Pourquoi et à qui ça profite?

Des conseils aux parents?​
De garder la porte ouverte à la discussion avec les jeunes sur pourquoi ils aiment ce rap-là, d’éviter de juger au maximum et de censurer. Au niveau de la construction identitaire, il y a quelque chose qui résonne très fort entre le rap et l’adolescent du côté du beat, qui les prend aux tripes. On a tendance à oublier aussi que le rap a une fonction un peu thérapeutique, presque cathartique: pour dire «je suis une caillera (ndlr: racaille) et je vais faire des choses horribles», c’est aussi pour l’ado une façon d’exorciser sa rage, son envie de tout défoncer et de ne pas le faire.

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