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Politique

Rencontre avec Elise Buckle, après les tempêtes

Elise buckle apres les tempetes MATHILDA OLMI MAKEUP FRANCIS ASES

«Je suis triste pour tout ça et pour les personnes de l’administration qui ont été en souffrance.» - Elise Buckle

© MATHILDA OLMI / MAKEUP FRANCIS ASES

Elle a l’air beaucoup plus jeune que sur les photos. Normal, celles qui l’ont saisie depuis une année montraient son visage penché vers le sol, les yeux baissés, la nuque qui ploie sous les regards et les soucis. Dans le café Ex machina, à Nyon, où nous nous rencontrons, on se croirait un peu à New York; ça correspond bien à Elise Buckle qui, dans une autre vie, a roulé sa bosse de par le monde.

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Même si elle parle anglais parfaitement et que son CV est bardé de diplômes de prestige, elle vient d’un village si petit qu’il apparaît à peine sur une carte. «Je suis née entre Grenoble et Lyon, l’arc alpin c’est chez moi. Enfant, je faisais déjà beaucoup de randonnées. Et j’allais toujours à vélo à l’école. J’étais l’écolo de la famille.» Elle a dès lors un choc quand elle arrive toute jeune à Paris, après avoir passé le concours pour entrer à Sciences Po. Les espaces, les arbres, les oiseaux lui manquent. Elle partage un appartement avec une fille de Montbéliard, en sœurs de province.

À parler de Paris avec Elise Buckle, on comprend à quel point elle compense son naturel réservé par un investissement dans le travail. Un peu comme quand elle est arrivée à la Municipalité de Nyon, animée par une envie de bien faire, d’être la bonne élève, de s’imprégner de la matière. Mais on n’y est pas encore. Entre Nyon et Paris, il y a Vancouver. «À mes pieds le Pacifique, devant mes yeux les montagnes, je ne pouvais pas mieux choisir pour apprendre l’anglais.» En plus de l’Université, elle travaille sur le campus et utilise son argent de poche pour acheter des doudounes et du matériel de montagne. Une passion en amène une autre, et elle rencontre l’amour de sa vie, un Canadien, qui jongle entre le piolet et les ordinateurs. «J’ai dû rentrer pour terminer mon master. Ça m’a brisé le cœur. On a entretenu une relation à distance pendant plus de trois ans.»

Pendant ce temps, Elise part faire des stages, une année en Amérique latine aux Nations Unies, puis au Tadjikistan, à gérer des programmes d’aide au développement.

«C’est là que j’ai commencé à faire le lien entre climat et pauvreté, raconte-t-elle.

Le pays était en train de se remettre des années d’Union soviétique, les sols étaient détruits par la monoculture du coton et l’aide américaine arrivait avec fertilisants et OGM sous prétexte d’aide humanitaire. Je me suis dit, mais à quoi ça sert d’exporter nos fausses bonnes solutions? Et aussi qu’on ne peut pas réduire la pauvreté sans agir sur l’environnement.»

Et soudain, la tornade

On parle depuis un moment déjà, et on a l’impression qu’elle a raconté plein de vies. «Non, j’avais à peine vingt-cinq ans!» Passons sur la succession des jobs et des déplacements – on n’est pas en train d’écrire un guide de voyage – pour parler de son arrivée en Suisse. Pourquoi, en fait, s’installer en terre romande? «Avec Matthew, on a fini par se retrouver et se marier. Nous voulions nous rapprocher des montagnes. Il a obtenu un travail à Genève et moi à l’Union internationale pour la conservation de la nature, on s’est installés à Nyon. On a tout de suite adoré. C’est notre ville de cœur. Nos enfants y sont nés. Ils ont trois nationalités, mais quand on leur demande d’où ils sont, ils répondent de Nyon.»

Voilà qu’on est arrivé à la croisée des chemins, ce moment où Elise Buckle entre chez les Vert-e-s, puis au législatif de la ville, puis à la Municipalité de Nyon. Comment cet itinéraire politique qui s’explique si naturellement au regard de ses engagements professionnels et personnels a-t-il pu se briser si brutalement? Comment celle qui, petite fille, faisait du vélo dans la nature pas très loin d’ici a-t-elle pu se retrouver prisonnière de cette tornade médiatico-politique? À vivre une enquête pénale, une suspension, un départ douloureux? On sent que la jeune femme n’a pas toutes les réponses et qu’elle est encore en phase de reconstruction après un véritable choc, dans cet état de sidération qui caractérise les personnes ayant pris des camions en pleine figure.

© MATHILDA OLMI / MAKEUP FRANCIS ASES

Lentement, se reconstruire

Quand elle arrive à la Municipalité, elle obtient la responsabilité de la politique énergétique et des ressources humaines. Très vite, le dossier lui brûle les mains. Elle est alertée de problèmes, on lui parle harcèlement, démission, burn-out, climat de terreur, qu’on étouffe les victimes. «J’avais plein de bonnes résolutions dans la tête. Ne pas gouverner dans une tour d’ivoire, être humaine, à l’écoute des gens, veiller au bien-être des collaboratrices et collaborateurs et les administrés. Je ne savais pas quoi faire. J’en ai parlé à mes collègues. Puis tout s’est retourné contre moi. J’ai pourtant eu l’impression de faire les choses dans les règles, par étapes.»

En automne 2022, tout s’emballe. «J’avais la boule au ventre chaque fois que j’allais en Municipalité», dit-elle. Pour faire court et sans entrer dans la polémique: un rapport confidentiel qui pointe le doigt sur les problèmes attise les tensions, il apparaît dans la presse, elle est accusée d’avoir organisé la fuite. Ses collègues déposent une plainte contre elle, une enquête est ouverte, le Conseil d’État intervient et à la demande des six collègues d’Elise Buckle, la suspend, le 9 février 2021.

Elle attrape le Covid et, isolée, plonge dans la déprime. La violence institutionnelle à laquelle elle fait face est d’une force presque inégalée dans nos contrées. Comment a-t-elle traversé la tempête? «Je me suis concentrée sur ma famille, les projets pour le climat, les amies et le sport; ensemble, nous nous sommes préparées pour la course de montagne de Sierre-Zinal.» Une année plus tard, les conclusions de l’enquête tombent et précisent qu’«Elise Buckle n’a jamais eu, sur le plan subjectif, l’intention de divulguer des informations couvertes par le secret de fonction dans le cadre de ses engagements». En janvier de cette année, elle comprend avec difficulté qu’elle doit faire le deuil de son mandat, un passage obligé pour retrouver sa liberté.

«J’étais très vulnérable, j’avais perdu tous mes repères, vécu la mise à l’écart. Je suis triste pour tout ça et pour les personnes de l’administration qui ont été en souffrance. Certaines doivent se défendre au tribunal, d’autres sont parties. Je suis contente néanmoins d’avoir gardé ma ligne humaniste, d’avoir été fidèle à mes valeurs éthiques.»

Aujourd’hui, Elise Buckle se reconstruit, avec l’opiniâtreté des alpinistes ou des marathoniennes. Elle dit que «le vrai pouvoir, c’est la clairvoyance, le lâcher prise, la bienveillance.» Elle s’implique pour le climat, dans une initiative internationale SHE Changes Climate (shechangesclimate.org) qu’elle développe avec d’autres femmes du monde entier.

Elle essaie de fédérer des gens et des organisations engagées pour le climat, la diversité et l’équité hommes-femmes et de mobiliser des financements pour les pays du Sud, de faire de la politique autrement. Elle regarde avec une certaine distance les élections organisées pour la remplacer. À chaque jour un versant.

Bio express

  • 43 ans, née dans un village de Rhône-Alpes. Mère de deux enfants, Lucas et Leïla. Titulaire d’un double master à Sciences Po Paris et à la London School of Economics.
  • 2018 elle entre au Conseil communal de Nyon.
  • 7 mars 2021 elle est élue au premier tour à l’Exécutif de la Ville.
  • Décembre 2021 ses six collègues déposent plainte contre elle pour violation du secret de fonction.
  • Février 2022 le Conseil d’État vaudois suspend la municipale.
  • Novembre 2022 Elise Buckle participe à la COP23 comme cheffe de délégation pour Climate & Sustainability (organisation désormais accréditée à l’ONU) et le réseau SHE Changes Climate.
  • Décembre 2022 le mandat de la municipale se termine après une année de différends.
  • Février 2023 élections complémentaires à Nyon.

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