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Le matin, peigne en main, elles sont prêtes à s’attaquer aux épis les plus obstinés. A la sortie de l’école, elles dégainent un goûter bien mérité. Le soir, elles bordent et rassurent avant d’aller saluer Morphée. Le tout, évidemment, sans se départir d’un sourire empli de bienveillance qui fait le bonheur des publicités pour lait en poudre et autres pâtes à tartiner. C’est une évidence: les mères restent surreprésentées dans l’univers des bavettes. Légitimées par leur fameux instinct maternel qui, bien que remis en question notamment dans le camp des féministes, trône sur son piédestal. La nature aurait ainsi programmé les femmes pour savoir pouponner. Mais quid de ce même instinct parental chez des papas dont l’envie de remplir pleinement ce rôle a commencé de s’exprimer dès les années 70, et leur a valu l’appellation de «nouveaux pères»?

Etrangement, là, ça coince. Et particulièrement en Suisse, où au printemps dernier fut enterré un énième projet de congé paternité rémunéré. A croire que notre cher pays ne veut pas voir dans les pères des mamans comme les autres. En cause: des mentalités qui peinent à se hisser au XXIe siècle. «Ici, la société n’accorde pas autant d’importance à un père qu’à une mère. Et le monde du travail est moins disposé encore à le faire: un papa qui manque un jour de travail pour rester avec son enfant malade, c’est mal vu. Il y a un vrai décalage», déplore Cédric, 30 ans. Et ce ne sont pas les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) qui la contrediront: actuellement, 1,6 homme sur 10 exerce une activité professionnelle à temps partiel – contre 6 femmes sur 10. Et ce à l’heure où les places en crèches se font de plus en plus rares. L’Helvétie à la traîne? Oui, mais elle n’est pas la seule. «Même dans les pays scandinaves, où un congé parental sans distinction de genre est prévu, c’est majoritairement la mère qui le prend», souligne Marilène Vuille, sociologue et collaboratrice à l’Institut des Etudes Genre de l’Université de Genève (UNIGE). Laquelle rappelle que «les hommes restent plus nombreux que les femmes à souhaiter se lancer dans une carrière et sont moins disposés, ou moins libres, de mettre de côté leurs ambitions».

Une sensibilité non genrée

L’idée d’un instinct paternel intrigue, voire dérange. Dès qu’est abordée la paternité d’un homme, voilà même que sa – ô combien valorisée – virilité s’en trouve malmenée. Une étude de l’Université de Northwestern en Illinois est allée jusqu’à établir une corrélation entre la paternité et la baisse du taux de testostérone. Comme si ces deux notions étaient incompatibles. Cet instinct côté mâle est-il donc si peu crédible, pour que nos sociétés le boudent ainsi?

Pourtant le ressenti, l’élan, l’affect existent bien. «En voyant des nouveau-nés, quelque chose bouge en moi, des émotions remontent à la surface que je comparerais à un instinct maternel, si instinct maternel il y a», décrit Steven, 27 ans, sans enfants mais qui se rêve papa.

«Nous n’utilisons plus le terme «instinct» qui a une connotation trop déterministe, trop mécanique, mais celui de «motivation» de base, présente chez la femme comme chez l’homme, à prendre soin d’un nourrisson», développe Nicolas Favez, professeur en psychologie clinique à l’Université de Genève et spécialiste des questions de parentalité. L’imagerie cérébrale a en effet révélé que des zones spécifiques du cerveau s’activent chez des individus soumis à certains stimuli (tels que les pleurs d’un bébé). Et ce, qu’ils soient les géniteurs de l’enfant ou non. Là encore, et n’en déplaise au cliché, sans distinction entre Madame et Monsieur. «De ce point de vue, on pourrait dire qu’il existe quelque chose de biologiquement déterminé, car personne ne nous enseigne la parentalité», souligne le spécialiste.

Ce papa gâteau qui étonne

Ces comportements de parents poules, tous genres confondus, se retrouvent également chez certains mammifères: «Certaines espèces sont polygames, d’autres monogames et, chez ces dernières, plus rares, non seulement le mâle est fidèle à sa femelle, mais il s’occupe remarquablement de ses petits, explique Ivan Rodriguez, professeur au Département de génétique et évolution de l’Université de Genève. Le père défend sa progéniture contre les intrus au même titre que la mère, il rassemble ses petits lorsqu’ils s’éloignent, les couvre pour leur tenir chaud, va répondre à leurs appels…» Et toutes ces attitudes, chez les mammifères, sont innées! Or nous en faisons partie… «Mais la transposition ne peut se faire telle quelle à l’être humain, nuance le biologiste. Il s’est en effet doté de règles, de cultures dont ne bénéficient pas d’autres espèces et qui vont ainsi moduler les comportements innés.»

Cette conception de l’«inné», de l’«instinctif», du naturel, se voit également contestée au sein des sciences sociales. Car «ce qui varie socialement ne peut pas être considéré comme instinctif, explique Marilène Vuille. Le mode de nourrissage, la plus ou moins grande proximité physique ou encore le maternage (le fait de prodiguer des soins au bébé) varient non seulement d’un individu à l’autre, mais également d’une société à l’autre.»


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La relation parent (mère ou père)-enfant est avant tout le résultat de la somme des moments de vie passés ensemble, ainsi que d’un environnement favorable au développement de ce lien très particulier. Pour le professeur Nicolas Favez, «un homme qui a été élevé dans un foyer à la répartition des rôles égalitaire, avec un père impliqué et valorisé, sera plus à même de développer la fibre paternelle». A moins que, tel Fabio, jeune papa de 23 ans, il développe cette fibre «pour compenser un père trop absent».


©Getty Images

Que cet «instinct» soit inné ou construit, regarder des hommes jouer les papas gâteaux suscite encore l’étonnement. Voire l’admiration, comme le raconte Cédric: «Alors que je changeais ma fille dans les toilettes d’un restaurant, un homme d’une soixantaine d’années est venu me féliciter, soulignant qu’à son époque on n’aurait jamais vu ça.» Autre exemple édifiant, Noé se rappelle être tombé en librairie sur «Devenir papa pour les nuls». «Etonnamment, je n’ai pas trouvé son pendant féminin», s’amuse-t-il.

Car non seulement les fillettes reçoivent poupées à materner et autres aspirateurs clinquants, mais elles se voient aussi, et tout au long de leur existence, plus poussées par l’entourage et la culture ambiante à se montrer attentionnées et s’occuper des autres. Quant aux petits garçons, jouets mécaniques et ballons de football rencontrent toujours autant de succès auprès d’eux. Et cette socialisation différenciée, qui ne s’arrête pas à la cour de récré, participe à l’instauration d’un double standard. «Dans la famille bourgeoise longtemps considérée comme idéale dans notre société, l’homme travaille hors du foyer pour subvenir aux besoins des siens, tandis que la femme s’occupe des tâches éducatives et ménagères, rappelle la sociologue Marilène Vuille. Traditionnellement, donc, le rôle du père était de savoir «tenir» les enfants, leur montrer l’exemple. Sa tendresse était secondaire, voire indésirable. Les aspects affectifs et relationnels étaient dévolus aux femmes.»

Cette normativité, Steven la ressent encore fortement et déplore le fait que les liens affectifs qu’il établira avec ses enfants «ne seront pas encouragés». Et Noé, 35 ans, deux fois papa, d’observer: «Pour créer un lien, il faut en avoir le désir et montrer de l’intérêt. Ça dépend aussi de la place que laisse la maman: chez la femme, ce lien est très physique, parce que c’est elle qui allaite et porte le bébé pendant neuf mois. Le papa peut ainsi vite être mis de côté.» «Certaines mères souhaitent d’abord que le papa s’implique, puis se sentent dépossédées, illustre le professeur Favez. Quant aux pères, ils sont souvent pleins de bonne volonté puis réalisent l’ampleur de la tâche et sont moins impliqués qu’ils ne l’auraient voulu.»

Quoi qu’il en soit, ces «nouveaux pères» contemporains gagnent petit à petit en visibilité. En témoigne notamment le cas de Phyo, trois enfants, qui a créé en 2013 un blog spécifiquement destiné aux «papas 3.0: papapio.com. Une bonne nouvelle non seulement pour ces superwomen qui font, certes, «le plus beau métier du monde», mais se coltinent la pression de devoir assurer sur tous les fronts – et sourire aux lèvres s’il vous plaît – mais aussi pour ces pères qu’on espère bientôt considérés comme des parents à part entière… Alors, à quand un vrai coup de pouce de la société?

Témoignages

Bérénice, 30 ans «Lorsque nous marchons dans la rue, Stéphane s’émerveille à la simple vue d’un bébé. Il a toujours été beaucoup plus à l’aise que moi avec les enfants et, toujours aussi, il a exprimé son désir de paternité. Contrairement à la plupart de mes amis hommes. S’il le pouvait, c’est lui qui porterait notre bébé pendant neuf mois! Et c’est moi qui retarde le moment de faire un enfant... J’ai une vision plus pragmatique que lui. On vient de se lancer dans le monde professionnel. Et puis, la pression est peut-être plus importante pour la femme: c’est son corps qui change, c’est elle qui est éprouvée par l’accouchement... Comme il est pédiatre, Stéphane est constamment en contact avec des enfants – forcément, ça influence. D’un autre côté, c’est encourageant pour moi de savoir mon conjoint prêt à s’investir dans l’éducation des enfants, y compris en travaillant à mi-temps. Cela signifie que je ne serai pas obligée de mettre ma carrière de côté.»

Fabio et Clara, 23 ans, parents de Julien, 3 mois «Quand on me dit «instinct paternel», le premier mot qui me vient à l’esprit c’est «amour», témoigne Fabio. Toute ma vie tourne désormais autour de ça. C’est vraiment moi qui ai insisté pour faire un enfant… «Il a assisté à tous les rendez-vous chez le gynécologue et accompagné le processus de la grossesse à travers des photos et des dessins, renchérit Clara. Et on a choisi la maison de naissance pour que Fabio puisse dormir avec nous.» Le seul regret de la jeune femme? La paperasse administrative à fournir pour faire reconnaître le père sans passer par la case mariage. «Il faut vraiment le vouloir! C’est son père: pourquoi cela doit-il être aussi compliqué?»

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