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Pourquoi la figure maternelle inspire tant la littérature

Ecrire sa mere GETTY ERIC FOUGERE EUGENE GOLOGURSKY UFL ANDERSEN LEONARDO CENDAMO

Nancy Huston, Éric-Emmanuel Schmitt, Annie Ernaux et Romain Gary ont consacrés des œuvres à la figure maternelle.

© GETTY IMAGES/ERIC FOUGERE/EUGENE GOLOGURSKY/UFL/ANDERSEN/LEONARDO CENDAMO - ILLUSTRATION FEMINA

FEMINA Les mamans ont-elles une place particulière dans la littérature?
Robert Neuburger
On compte infiniment plus d’écrits sur les mères que sur n’importe quel autre membre de la famille. Ce constat m’est apparu par hasard, alors que je m’intéressais aux écrivains et écrivaines qui ont raconté le processus de l’écriture. Durant mes recherches, je me suis très vite aperçu que le rapport à la mère était fréquemment derrière cette pulsion, ce besoin impérieux d’écrire.

Pourquoi ont-elles autant inspiré?
Il s’agit beaucoup, à l’origine, de situations où le lien affectif avec elles a eu quelque chose de déséquilibré, avec des enfants qui ont souffert d’un manque d’amour de leur part, ou, au contraire, qui ont fait l’objet d’une totale dévotion maternelle.

L’envie d’écrire de ces artistes découle surtout d’un besoin de combler ce manque, ou alors d’analyser cette figure possessive de la mère.

Lorsqu’on regarde les nombreux cas dans la littérature, on se rend compte que ce sont principalement des femmes qui ont souffert de carence affective, alors que ce sont plutôt des hommes qui ont reçu trop d’amour.

Comment expliquer que ces futures plumes aient eu ce lien compliqué?
Le manque d’amour peut trouver son origine dans le fait que l’enfant n’était pas du sexe que l’on désirait, ou qu’il soit né dans un contexte social inadéquat. De manière générale, il s’agit d’enfants qui n’étaient pas les bienvenus. Dans les situations de mères trop aimantes, on note souvent l’absence du père, l’enfant devient «le petit mari de sa mère».

Si ces écrivaines et écrivains parlent de leur maman, c’est pour en dire quoi?
On retrouve souvent le récit de cet événement où l’enfant a soudain pris conscience qu’il n’était pas aimé. Annie Ernaux, par exemple, se souvient de ce moment, dans la boutique de sa mère, où celle-ci encense sa fille décédée, qui était «une petite sainte, si gentille, pas comme celle-là», désignant alors la jeune Annie, la sœur survivante.

Ces instants représentent une sorte de chute mythique, l’enfant comprend qu’il n’est qu’un être de remplacement. Or le fait de comprendre qu’on est mal aimé provoque une difficulté à se sentir exister. Mais ici, les individus ont trouvé cette capacité créative, via l’écriture, pour en quelque sorte s’autobercer, se raconter, par le biais des romans, les histoires qu’on ne leur a pas racontées enfant. C’est souvent après le décès de sa mère que l’artiste, paradoxalement, se réconcilie avec elle et l’intègre à ses œuvres.

Mais quid des enfants trop aimés?
Ils écrivent un peu pour parler de l’enfant symbolique qu’ils ont eu avec leur mère. Et de la déception générée par leur disparition. «C’est la première fois que maman me fait de la peine», une phrase qu’on retrouve à l’identique chez Albert Cohen et Éric-Emmanuel Schmitt.

Contrairement aux mal aimés qui comprennent vite qu’ils le sont, les écrivains trop aimés le découvrent souvent avec la mort de leur maman. Seul Romain Gary s’en était aperçu de son vivant, voyant dans ce trop-plein d’amour un piège, car, après, «on ne pourra pas vivre mieux».

L’écriture a-t-elle permis d’aider ces artistes?
Ces gens-là ne s’en sont pas sortis complètement, écrire les a fait exister, certes, mais on a besoin de l’amour d’un tiers, et ils ont dû écrire, écrire encore, répéter ce processus pour tenter d’atteindre ce sentiment d’être aimé, sans fin.

On ne renonce jamais totalement à sa mère, on attend jusqu’à la fin un signe d’affection.

Simenon a écrit 500 bouquins pour essayer d’exister alors que sa mère a donné tout son amour au profit d’un frère mort au Vietnam, et cette impression de manque était toujours là. J’ai été fasciné de voir des gens partir de situations parfois désespérées puis arriver à se faire exister par l’écriture, et ainsi avoir une vie presque normale. J’ai aussi été bouleversé par certains récits, comme ceux de Michel Del Castillo ou Nancy Huston, abandonnés durant leur enfance. Il ne s’agit pas là de résilience cependant: ces auteurs et autrices ne reviennent pas à un état antérieur, ils en émergent en en créant de nouveaux.

Écrire sa mère, Robert Neuburger (Éd. Payot).

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