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Monde du travail

Les amitiés au bureau, bonne ou mauvaise idée?

Les amities au bureau bonne ou mauvaise idee

Au bureau, certaines personnes n'hésitent pas à créer de solides amitiés avec leurs collègues.

© RETO CRAMERI

Notre vision du travail change. Depuis la pandémie, plusieurs phénomènes se suivent comme le quiet quitting, la démission silencieuse, mais aussi le lazy girl job, l’emploi de «fille paresseuse» ou le fait d’avoir un job sans stress, un bon salaire, et pas d’heures supplémentaires. Sur les réseaux sociaux, ces tendances sont reprises et de nombreuses vidéos dénoncent tout ce qui peut représenter un environnement toxique dans les entreprises. Cet automne 2023, on observe sur TikTok de plus en plus de vidéos sur l’amitié entre collègues.

Les personnes qui témoignent livrent différents conseils: séparez strictement vie privée et vie professionnelle, ne vous confiez jamais, n’allez à aucun apéro, mangez seul-e à midi, mentez sur votre vie personnelle, épanouissez-vous en dehors du travail et ne pensez qu’à votre salaire. Des conseils étonnants qui serviraient à ne pas se retrouver en mauvaise posture.

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L'importance des liens sociaux

«Le travail a toujours été un pourvoyeur d'identité sociale», analyse David Giauque, professeur de gestion des ressources humaines à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP). Il n’est ainsi pas facile de séparer vie privée et travail «car on se définit avant tout par rapport à nos activités professionnelles, précise-t-il. L’identité professionnelle constitue une bonne partie de l’identité personnelle».

Le politologue ajoute que le temps professionnel «prend toujours plus d’importance dans nos vies, ce qui amène à développer nos amitiés dans la sphère professionnelle». David Giauque rappelle en outre que les humains ont besoin de liens sociaux, d’amitié, que l’on noue plus facilement avec des personnes que l’on côtoie, «et souvent, ce seront des collègues».

Avec l’augmentation du télétravail, les contacts physiques directs avec nos collègues ont d’ailleurs diminué et cela a une importance: «On a remarqué qu’il y a un danger d’isolement social, de perte d’identité sociale, et que cela aura un impact sur la pénibilité de notre travail et sur notre santé», abonde le spécialiste.

Se connecter parce qu'on se ressemble

À l’opposé des conseils que donnent certaines personnes en ligne, des employé-e-s passent tout leur temps privé entre collègues. Un constat qu’a aussi fait David Giauque lors d’entretiens pour une étude:

«C’est lié aux caractéristiques de certains métiers, dans notre cas, il s’agissait d’agent-e-s de détention ou encore de policier-ère-s. Ils et elles nous ont expliqué se sentir jugé-e-s et incompris-e-s par les personnes extérieures, ce qui explique qu’ils et elles font tout ensemble. Cela permet de se protéger des critiques mais aussi de créer une identité sociale forte.»

Même pour d’autres métiers, il est assez habituel, selon le politologue, «de s’entourer de personnes qui nous ressemblent et qui pourront nous comprendre quand on parlera du travail, ce que l’on fait beaucoup». Et si certaines personnes s'identifient en dehors de leur travail, cela restera en lien avec une activité, comme du sport, une association etc.: «nous sommes toujours dans le faire, et non dans l’être».

Les amitiés au travail peuvent prendre différentes formes: «il y a les personnes avec qui on était déjà amies et celles avec qui on le devient», note la psychologue du travail Stefania D'Onofrio. Pour elle, le deuxième cas est plus facile «car une convention se met en place dès le début sur le cadre qui entoure l’amitié». La communication est d’ailleurs très importante:

«Il faut parler de manière transparente de comment on va vivre cette relation pour que les choses se passent bien au bureau, avec les autres collègues, et selon le contexte de travail qui peut fragiliser l’amitié».

Apéros et fêtes

Quand la journée se termine et que vient l’heure de l’apéro, des collègues se retrouvent parfois autour d’un verre en dehors du bureau. «Cela permet d’évoquer divers problèmes auxquels on peut se retrouver confronté-e-s au sein de notre organisation. Les personnes salariées vont développer des ressources pour faire face aux contraintes liées à leur entreprise, ou encore faire corps toutes et tous ensemble pour se défendre face à la direction», analyse David Giauque. Durant ces moments de socialisation importants, on peut «se lâcher, parler des souffrances liées au travail qu’on garde en soi entre collègues qui vivent la même chose».

Des événements comme les fêtes de fin d’année sont quant à eux organisés par les entreprises elles-mêmes: «ce sont des rituels qui aident à développer le sentiment d’appartenance à une communauté», précise le sociologue. Des personnes n’y mettront d’ailleurs jamais les pieds: «cela va dépendre de la perception du climat de travail, si on le considère comme sain et ouvert et tourné vers le bien-être des collaborateur-trice-s, vous aurez davantage tendance à y aller, et vice-versa».

Pour Stefania D'Onofrio, ces fêtes occupent en effet un certain rôle:

«On découvre les collègues dans un contexte plus léger, on parle d’autre choses que du travail, cela permet de s’ouvrir et de renforcer les liens».

Confidences risquées

Mais peut-on parler de tout entre collègues? De ses problèmes les plus intimes? «Nous avons plusieurs identités dans notre vie liées à nos différents rôles, en effet nous n’allons normalement pas nous livrer à des ami-e-s professionnel-le-s comme nous nous livrerons à des ami-e-s de notre cercle très proche», analyse David Giauque, qui rappelle «que ces ami-e-s intimes se comptent sur les doigts d’une main». Une étude sortie en août 2023 en Suisse confirmait d’ailleurs que la population a en moyenne quatre ami-e-s proches.

Le professeur est d’avis cependant qu’en se confiant totalement à ses collègues, nous prenons des risques:

«Il y a toujours des rapports de force, et en cas de conflit, on risque de voir ce que l’on considère comme intime se retrouver sur la place publique.»

Même conseil autour du chapitre des réseaux sociaux. Là encore, les avis divergent entre ajouter ou non ses collègues sur nos plateformes sociales. «Il y a un brouillage évident des sphères publiques et privées sur les réseaux sociaux, on partage de manière assez naïve des aspects de notre vie privée et le fait que nos collègues soient au courant n’est pas complètement anodin, il faut être prudent», relate David Giauque.

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«Quand on arrive dans une entreprise, il faut y aller par gradation, on fait connaissance, on découvre les codes du lieu, on voit comment les gens se comportent et avec qui on a des affinités», note de son côté Stefania D’Onofrio.

«Avec le temps, on sentira à quel point on peut faire confiance et se livrer auprès d’un-e confident-e.»

La spécialiste est aussi d’avis que cela comporte certains risques, «mais on peut trouver une personne alliée en dehors de notre équipe par exemple, qui sera consciente des dynamiques de l’entreprise et pourra nous soutenir». Pour la psychologue du travail, le fait de se sentir à l’aise pour s’ouvrir dépend «du caractère des personnes, si elles sont plutôt introverties ou extraverties, en lien notamment avec leurs expériences passées, ou encore l'éducation qu’elles ont reçue et qui les amène à avoir une certaine perception du monde du travail.»

En conclusion, David Giauque émet des doutes sur la possibilité de travailler sans créer de liens amicaux: «l’humain est un être social, je pense que les personnes qui n’ont aucun lien d'amitié dans la sphère professionnelle où elle évolue doivent beaucoup en souffrir». Stefania D'Onofrio abonde en ce sens: «même face à des problèmes privés, il va être difficile de le cacher et c’est agréable de pouvoir en parler à quelqu’un, dire que ça ne va pas mais que l’on va faire de son mieux».

«Je suis devenu très vigilant avec mes relations au travail»

Julien*, 25 ans, communicant, Neuchâtel

À la suite d’une mauvaise expérience, je suis très vigilant concernant mes relations amicales au boulot. Il y a une année, j’ai commencé à travailler dans la communication d’une grande marque suisse. Avant même de postuler, j’avais été mis au parfum par une collaboratrice: «Si tu veux t’intégrer, il va falloir venir aux apéros». Comme cela faisait un moment que je cherchais un emploi, j’ai accepté cette condition. Par la suite, je me suis rendu à toutes les sorties avec les collègues, mais aussi… le chef. Sur place, j’ai constaté qu’on était surtout là pour critiquer les autres membres de la boîte absent-e-s, placer ses pions et se faire bien voir par le boss, ce qui me mettait mal à l'aise. Avec le temps, je me suis fait plus discret et j’inventais des excuses pour écourter ma présence. Peu de temps après, j’ai été convoqué de manière informelle (sans la présence d’un-e RH) et on m’a demandé d’améliorer certains points de mon travail. Rien de bien sorcier. J’ai pris les remarques en compte tout en continuant de ne plus trop investir mon temps libre dans les sorties. J’ai fini par être licencié sans que l’on me donne un argument concret.

J’ai compris, en discutant avec d’autres personnes virées par cette même société que le licenciement n’avait pas grand chose à voir avec nos capacités professionnelles: Il fallait être dans la team des cool kids, sinon on était écarté-e-s.

Depuis cette expérience, j’ai des échanges informels avec mes nouveaux et mes nouvelles collègues et on sort parfois boire des coups à certaines occasions. Mais ça reste optionnel et surtout, gérable.

«Mes collègues sont incroyablement bienveillantes»

Aurélia, 30 ans, réceptionniste, Lausanne

Depuis 2016, j’ai pour l’essentiel bossé dans le secteur privé national et international pour des employeur-euse-s très compétitif-ve-s et exigeant-e-s. Entretenir des relations même superficielles dans un univers aussi toxique revient à prendre le risque que tout ce que tu partages soit utilisé afin de mieux te poignarder pour des questions d’avancement et d’ego. Durant l’année 2022, j’ai été victime d’un superviseur qui m’a harcelée dès sa prise de poste jusqu’à fin août et mon «licenciement surprise». Aujourd’hui encore, j’en paie les frais. En pleine crise de foi, l’Univers met sur mon chemin une conseillère ORP déterminée à ce que je trouve un poste dans un environnement sain, avec des heures raisonnables. C’est ainsi que je commence à bosser pour les centres sociaux régionaux de l’Est Lausannois. Poste auquel je suis arrivée avec beaucoup de craintes et de colère. Et où je ne comptais pas m’investir plus que nécessaire, aussi bien sur le plan pro que relationnel.

C’était sans compter sur plusieurs collègues incroyablement bienveillantes qui m’ont tout de suite adoptée et mise à l’aise. Grâce à elles, j’ai appris à faire confiance.

On se retrouve souvent à la pause pour discuter sur les défis que l’on rencontre dans nos vies personnelles, on rit beaucoup, il y a un véritable échange et le souci du bien-être de l’autre. L’heure du repas est aussi un véritable moment de partage!

«Mes chefs m'ont reproché d'avoir unfollowé des collègues»

Alix* 33 ans, cheffe de projet, Genève

Je n’ai jamais eu de souci avec l’idée de me faire de bon-ne-s ami-e-s au boulot. Mais j’ai appris - à mes dépends - que si on accepte d’être plus ou moins proches des personnes avec qui on travaille, il faut savoir mettre des limites et rester conscient-e que le milieu salarial est empreint de beaucoup de jeux de pouvoir. Il y a trois ans, j’ai commencé à travailler dans une grande entreprise qui se disait: «très famille». Les chefs étaient amis avec leurs collaborateur-ice-s. On faisait des soirées ensemble (en boîte, chez nous ou chez les chefs, mais aussi dans les locaux de la société). Résultats: plus personne n’arrivait à discerner la frontière entre le professionnel et le personnel.

Remplir des missions pour lesquelles nous n’étions pas engagé-e-s à la base ou faire des heures supp’ non rémunérées «pour être sympa» était devenu monnaie courante.

Je ne voulais plus accepter ces débordements qui empiétaient sur ma vie perso et j’en ai parlé à plusieurs collaborateur-trice-s. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ma hiérarchie a voulu me convoquer, en compagnie des ressources humaines, pour me dire que malgré mon très bon travail, si le cœur n’y était pas, la porte était grande ouverte. Durant ce rendez-vous, on m’a même reproché d’avoir… supprimé certaines personnes de mes réseaux sociaux. C’était l'entretien le plus lunaire de ma vie. J’ai claqué la porte et je suis désormais responsable dans un bureau où les gens sont tous très gentils sans pour autant s’imposer.

«Bâtir des amitiés sincères au travail me tient à cœur»

Enola*, 24 ans, journaliste, Lausanne

Voilà une année que je suis arrivée dans le monde du travail et je dois dire que je m’y suis fait de très bon-ne-s ami-e-s. Il faut peut-être préciser que je bosse avec des personnes que j’ai, pour certaines, connues lors de mes études en journalisme. On partage la même passion pour ce métier donc c’est plutôt simple d’avoir des atomes crochus. Aujourd’hui, on sait que le milieu est en crise. Entre les journaux qui mettent la clé sous la porte, les licenciements et autres… c’est difficile à vivre. D’où l’intérêt de se serrer les coudes.

Avec le temps, mes collègues sont devenus des ami-e-s. Nous n’avons aucun problème à nous confier ou à parler de sujets privés.

Nous organisons même des soirées jeux de société entre nous et on s’amuse beaucoup. Et puis, lorsque je ne suis pas d’humeur à aller au boulot, je pense toujours à mes collègues que je me réjouis de retrouver. Mais attention, je n’entretiens pas ce genre de relation avec l’entier de la rédaction. Cela ne concerne qu’une partie de l’équipe. Si d’aventure je suis confrontée à une personne qui a tendance à m’énerver (ça nous arrive à toutes et à tous), je reste courtoise sans aller plus loin. Après, je comprends tout à fait les gens qui, suite à une mauvaise expérience, souhaitent établir une limite claire entre le privé et le pro. De mon côté, j’attacherai toujours énormément d’importance à pouvoir entretenir des amitiés sincères dans mon espace professionnel. Cela permet d’être plus efficace dans ses tâches et surtout, d’être plus heureux-se. Je veux dire, c’est tout de même au travail qu’on passe la majorité de notre temps…

«J'ai été virée par mon amie»

Sophia*, 48 ans, attachée de presse, Genève

Il y a 2 ans, j’étais au chômage quand on m’a proposé un super job qui semblait taillé sur mesure pour moi, dans la communication pour une ONG. La directrice était une amie, mais je ne pensais pas que c’était pour cela qu’elle m'avait sollicitée mais bien pour mes compétences. Première déception, quand j’ai commencé, mon cahier des charges était bien en dessous de mon poste précédent, avec peu de responsabilités. Ma motivation a fondu, puis j’ai eu des problèmes de santé, mais je me forçais à assumer mon travail quand même, en partie grâce au télétravail. Après quelques mois extrêmement tendus, j’ai été convoquée par mon amie et la responsable des RH et j’ai été licenciée. J’étais soufflée, d’autant que notre lien amical a été évoqué comme raison pour laquelle je n’avais pas été virée avant! Je suis depuis en arrêt maladie, j’ai perdu mon travail et accessoirement, une amie, pour toujours car je ne lui pardonnerai jamais… J’ai peur de ne plus retrouver un travail à mon âge car j’ai perdu toute confiance en moi. Et en les autres aussi, notamment les femmes dans le milieu professionnel qui, contrairement à ce que l’on dit, ne pratiquent guère la sororité.

*Noms connus de la rédaction

Pour aller plus loin: La sélection de la rédaction

Travail (en cours) de Louie Media

Un mardi sur deux, la plateforme française Louie média propose un épisode de podcast sur le travail. Amitiés, ambition, argent... on y parle de thèmes très larges mais toujours en lien avec le boulot. À écouter sans modération!

Le syndrome de la chouquette

Sorti en 2018, ce livre paru aux éditions Anamosa décortique les relations au travail avec beaucoup d'humour et une pointe de cynisme. L'auteur et journaliste Nicolas Santolaria y analyse les interactions entre collègues sans oublier les jeux de pouvoir et le langage du milieu de entreprise. Le bouquin se lit tellement vite qu'on est presque triste de l'avoir terminé lorsqu'on tourne la dernière page...

Severance

Dans cette série signée Apple TV et produite par Ben Stiller, on suit un certain Mark Scout qui travaille pour Lumon Industries. Pour entrer dans cette société, les salarié-e-s ont subi une opération qui permet de séparer vie professionnelle et vie privée. Lorsque ces dernier-ère-s se trouvent au travail, ils et elles n'ont aucun souvenir de leur existence à l'extérieur et vice versa. Mais que cherche cette mystérieuse entreprise? Qui est à l'origine de ce projet? Est-ce tout de même possible de revenir en arrière après l'opération et surtout, à quel prix?

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