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L'édito de Géraldine Savary: «Tout le monde a le droit de rater ses vacances»
De retour de vacances, on discute entre collègues, à la cafétéria. On est un peu bronzé mais pas trop, un peu accablé de reprendre mais content de se revoir, on a le cerveau qui ronronne lentement, tel un muscle qui n’a pas été suffisamment stimulé. Alors, c’était bien tes vacances, se demande-t-on, ou encore: tu t’es bien reposé? Tu as bien mangé? Tu as réussi à couper? Comme si oublier complètement son travail était l’objectif principal des congés de l’été.
On a pris l’habitude d’être content de nos vacances. Dans le monde de maintenant, tout est contrôlable, on peut chasser l’imprévu. On visualise les chambres d’hôtel ou les maisons sur internet, on connaît la marque de la savonnette de la salle de bains et la taille du lit, on anticipe le nombre de mètres qui nous séparent de la plage, on sait que le ménage sera fait deux fois par semaine et que la tuyauterie émet un petit bruit mais qu’on s’habitue.
Nos vacances certifiées sans surprises évitent les disputes de couple, du style «je t’avais dit que je ne voulais pas aller en Croatie», les enfants qui s’ennuient ou les amis avec qui on a pris le risque de partir et qui boudent toute la semaine parce que leur chambre est à la cave. On réussit ses vacances comme on réussit sa vie, et les discussions entre collègues à la cafétéria chantent la satisfaction des gens comblés.
Regarder les glaciers pleurer
Mais cette année, c’est comme si nous avions dû slalomer entre les malchances. Le Covid a frappé les membres des familles les uns après les autres, certains ont passé juillet à se moucher derrière des volets fermés. D’autres ont perdu leurs bagages en raison de la désorganisation du trafic aérien, ou alors sont restés coincés dans un aéroport de transit; la chaleur extrême a déclenché des incendies de forêt et des interdictions de déplacement. Visiter les villes équivalait à séjourner dans un four micro-ondes.
En bord de mer, les méduses rôdaient dans l’eau et les enfants n’ont plus voulu aller se baigner, alors il a fallu s’en occuper et construire des châteaux de sable sous 42 degrés. Celles et ceux qui sont restés en Suisse ont regardé les glaciers pleurer et les restos fermer par manque de personnel. Et où qu’on soit allé, on a sursauté au moment de payer l’addition et de voir que le prix du spritz avait augmenté de plus de 10%.
Que celles et ceux qui rentrent le disent à celles et ceux qui partent: oui, désormais, il est de nouveau possible de rater ses vacances. Et rajouter aussi: nos galères deviennent souvent nos plus beaux souvenirs.