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Le duel des applis de drague
Cinq ans après l’arrivée de Tinder, la firme de Menlo Park lance son propre service de rencontre, baptisé Facebook Dating. Pour l’instant uniquement disponible en Colombie, le temps d’une phase de test, le dernier-né de Mark Zuckerberg entend devenir un acteur majeur de la rencontre sur smartphone. Comment? Grâce à sa science des algorithmes: Facebook Dating suggère à ses abonnés des profils piochés en fonction de goûts et styles de vie communs.
Une quête de l’âme sœur basée sur la recherche de ressemblances, ou matchmaking, à l’instar de ce que proposent des sites comme PerfectMatch, OkCupid et Meetic. Toutefois, le nouveau challenger affrontera sur le lucratif marché de la drague online le boss du secteur, un certain Tinder. Celui-ci, comme Badoo, privilégie plutôt une mise en relation aléatoire des candidats à l’amour, misant sur un coup de cœur aussi fulgurant qu’inexpliqué parmi un défilé de photos de profil.
Faut-il rechercher mordicus son partenaire miroir, ou s’en remettre au hasard? Scanner ou swiper? Entre ces deux philosophies qui s’affrontent, laquelle est la plus efficace in real life?
Amour assisté par ordinateur
Depuis plusieurs années, surfant sur le développement des algorithmes dans la sphère sociale, de nombreuses applications de drague ont d’ailleurs massivement investi ce territoire, prétendant extirper l’élu(e) d’une masse de profils selon un protocole rigoureusement scientifique. PerfectMatch a ainsi son Duet Total Compatibility System, outil élaboré en collaboration avec la sociologue et sexologue américaine Pepper Schwartz.
Il met en relation les utilisateurs jugés complètement compatibles sur la base du Myers Briggs Type Indicator, protocole de test de personnalité né des travaux de Carl Jung. Bref, c’est du lourd.
Une quête par procuration
Cette approche scientifique de la chimie amoureuse a même connu son développement le plus spectaculaire avec l’émission de téléréalité Mariés au premier regard où des célibataires acceptaient de dire oui à un(e) inconnu(e) choisi(e) pour eux par un ordinateur. «De telles approches rencontrent le succès parmi ceux qui sont à la recherche de leur moitié, car les gens ont envie d’être délivrés de cet impératif du choix, analyse le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur de L’amour qu’elle n’attendait plus (Ed. Hugo Doc, 2018). C’est une vision qui a créé un véritable marché, les clients croyant que la science a davantage raison qu’eux.»
Toutefois, le partenaire idéal est-il vraiment cet autre nous-même? «Certes, une part d’univers partagé aide un peu au début d’une histoire, mais l’idée d’un clone de soi est illusoire, avance le sociologue. En fait, c’est souvent une complémentarité de profils différents qui se met en place dans une relation de qualité. Je crains dès lors que ces encouplements assistés par algorithme puissent n’être au final que des prophéties autoréalisatrices. La chimie d’un couple est plus complexe que ça.»
Du soir à la grande histoire
En effet, ce que les chiffres n’arrivent toujours pas à prendre en compte, c’est bien la dimension inexplicable de l’attirance. «Trop se focaliser sur des paramètres en commun enlève l’idée de corps, qui est essentielle dans la séduction, relève Adèle Zufferey. Dans un premier abord, le physique reste important. Il faut quand même trouver le désir de l’autre.» Doit-on dès lors en conclure que la philosophie Tinder – favorisant le crush hasardeux et la sérendipité amoureuse – offre des conditions plus favorables à la rencontre des duos?
Portrait robot du couple qui dure: les «conseils» de la science
Difficile à croire, tant l’appli a été décriée pour promouvoir les coups d’un soir basés sur la première impression. «Tinder a été très critiqué, or ce service correspond à ce qu’attendent les moins de 35 ans, souligne Catherine Lejealle, sociologue du digital et enseignante-chercheuse à l’ISC Paris. Ces générations ne sont pas toujours à la recherche d’une relation durable, mais les rencontres faites peuvent déboucher sur plus. Des couples formés via Tinder, on en voit plein. On pourrait même dire qu’il réhabilite un certain romantisme en excluant l’étape du portrait-robot.»
Jean-Claude Kaufmann le confirme, si la véritable relation amoureuse n’est pas toujours au programme, «beaucoup de grandes histoires commencent par de petites histoires. Cela se construit petit à petit. Bien sûr, la plupart des gens rêvent d’une rencontre à la Cendrillon avec un rayon de lumière tombant soudain sur l’autre, comme si l’évidence était immédiate. Reste que dans la vie, c’est rarement ainsi.» Tinder 1, Facebook Dating 0, est-on tenté de conclure.
Dis-moi où tu habites
Mais évidemment, c’est plus compliqué. «Tinder aussi utilise des algorithmes pour la géolocalisation, ce qui n’est pas anodin puisque à un quartier correspond souvent un style de vie, observe Catherine Lejealle. Cela entretient encore une forme de déterminisme.» Et puis, au fond, ces deux philosophies s’opposent, mais aucune ne correspond vraiment à la manière dont se forment la majorité des couples, nuance Jean-Claude Kaufmann.
«Le flash inexplicable existe, tout comme l’impression de se ressembler comme deux gouttes d’eau, sauf que le meilleur moyen de savoir si l’on peut tomber amoureux, c’est d’accepter de découvrir l’univers de l’autre. Ce n’est pas un hasard si nombre de couples se créent après une fête: c’est parce qu’on se lâche, qu’on est disponible et qu’on abandonne un moment son identité pour être atteint par quelqu’un.» Une philosophie de la curiosité pour la différence encore peu cultivée par les applis.
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