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Pourquoi certains couples ne font-ils plus l'amour (mais restent ensemble)?

No sex couples chastes

«Il y a des circonstances particulières propres à certains couples et puis il y a aussi l’usure du quotidien qui peut faire disparaître le désir et, un jour on réalise qu’on ne fait plus l’amour.»

© NeONBRAND

La sociologue française Janine Mossus-Lavau vient de publier une enquête sur la vie sexuelle de ses compatriotes. Des dizaines d'interviews qu'elle a tiré d'un livre dans lequel elle dévoile notamment une réalité rarement évoquée, celle des couples qui s'accomodent d'une vie à deux dépourvue de sexe.

FEMINA Depuis votre précédente enquête sur la sexualité, au tournant des années 2000, c’est un nouveau tabou qui est apparu parmi vos observations?
Janine Mossus-Lavau Dans ma précédente enquête n’apparaissait en effet pas tellement ce que j’ai appelé le dernier tabou. C’est-à-dire la situation de couples qui vivent ensemble depuis un certain temps, ça peut être dix, vingt, trente ans, qui finiront d’ailleurs sans doute ensemble leur vie, qui s’entendent bien, mais n’ont plus de relations sexuelles. Je m’y suis donc intéressée afin de savoir comment s’installe cette situation et comment les gens gèrent l’absence de relations sexuelles.

A priori, on imagine que la routine du quotidien peut émousser le désir jusqu’à le neutraliser. Est-ce qu’il y a des circonstances, des événements qui favorisent cet éloignement physique?
Il y a des circonstances particulières propres à certains couples et puis il y a aussi l’usure du quotidien qui peut faire disparaître le désir et, un jour on réalise qu’on ne fait plus l’amour. En réalité, il y a toutes sortes de cheminements qui conduisent à cette situation. Un homme, par exemple, m’a raconté que le premier choc qui a ébranlé son désir s’est produit lors de l’accouchement de sa femme, auquel il a assisté.

Le sexe de son épouse n’était tout à coup plus le sexe désirable qu’il était jusque-là pour devenir une fabrique de bébé. Il a commencé à voir sa femme comme une mère et plus comme une amante. C’est un exemple, mais il y a toutes sortes de circonstances à l’origine de cet éloignement. Dans la vraie vie des vraies gens, il n’y a pas de règles générales.

Chaque personne, chaque couple est unique, a sa propre histoire, ses racines et ses raisons.

Cet abandon de la vie sexuelle au sein du couple est-il plutôt initié par les femmes ou par les hommes?
Par les deux. J’ai rencontré tous les cas de figure dans mon enquête. Il arrive que des hommes n’aient plus de désir pour leur femme. Un quinquagénaire m’a dit que sa femme était très belle, désirable, plus désirable que la plupart des maîtresses qu’il collectionnait, mais qu’il ne la désirait plus.

En matière de sexualité, on a l’impression qu’on parle de tout assez librement aujourd’hui. Pourtant, on est là face à un phénomène qui reste inavouable…
C’est vrai, on parle plus librement de sexualité. Il y a une véritable libération de la parole que j’ai bien sentie entre les deux enquêtes. Les comportements aussi sont un peu plus libres, mais comme nous vivons dans une société qui prône, ou en tout cas valorise, tout ce qui relève du plaisir, du désir, de la jouissance, le climat n’est pas propice à assumer en public le fait qu’on n’a plus de relations sexuelles avec son conjoint.

Le contexte social fait qu’il ne s’agit pas de quelque chose dont les gens ont envie de parler. Ce n’est ni facile à dire, ni facile à entendre. Cela relève d’ailleurs de l’intimité de chaque couple et c’est très bien comme ça.

Ils en parlent entre eux?
Pas forcément. Il arrive que l’un des deux s’aperçoive qu’ils n’ont pas eu de relations sexuelles depuis un certain temps, mais n’en parle pas pour autant, car en parler signifie acter quelque chose. Chaque personne, chaque couple est unique et chacun s’en sort comme il peut.

Aux yeux de leur entourage, rien ne les distingue des autres couples…
Parmi ceux que j’ai interviewés, certains m’ont dit qu’ils donnaient l’image d’un couple qui s’entendait très bien. L’un d’entre eux me disait même:

«On est beaux, on est riches, on vit bien. Aux yeux des autres, on est un couple parfait.»

Au sein du foyer, cette cohabitation sans sexe se traduit souvent concrètement par un changement de literie!
Oui, selon la manière dont ça se passe, certains optent pour un plus grand lit ou des lits jumeaux. Parfois, c’est chacun sa chambre. On fait plein de choses ensemble, mais on ne dort pas ensemble.

Ces couples ne font plus l’amour et pourtant n’envisagent pas vraiment de se séparer. Pourquoi?
Parce qu’ils conservent de l’affection, de la tendresse l’un pour l’autre. Ils s’entendent bien, font des choses ensemble, voyagent, sortent, voient des gens. Certains ont ce que j’appelle des accommodements avec le ciel: l’un ou l’autre, ou les deux, va voir ailleurs à un moment ou à un autre.

Et ils font avec?
Ils ne le disent pas forcément à leur partenaire, qui ne donne pas forcément son autorisation. Chacun bricole un peu comme il veut et comme il peut…

Qu’est-ce qui fait que ces couples restent ensemble, l’amour, les enfants, l’habitude?
C’est tout, c’est l’affection, c’est le fait que l’on s’entend bien sur des tas de choses. S’il y a une rupture au niveau sexuel, il n’y en a pas forcément sur d’autres choses, ces couples continuent à avoir des goûts communs.

Est-ce relativement fréquent?
On ne peut pas évaluer la fréquence de ce phénomène, puisque les gens n’en parlent pas. Je crois cependant que ça se produit plus fréquemment qu’on ne le pense, oui.

A lire:
La vie sexuelle en France, Janine Mossuz-Lavau, Éditions de La Martinière.
Janine Mossuz-Lavau, politologue, directrice de recherche au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po, à Paris.

Il éprouve moins de désir que moi… comment ne pas me sentir rejetée?

Pauline, 60 ans, «Après tout, ça me convient»

Avant de se marier, elle le prévient, elle n’aime pas trop ça, ce n’est pas «sa tasse de thé». Au début, ça ne se passe pas trop mal, «sans que j’aie vraiment du plaisir». Pauline ne cache rien à son époux, «il l’a accepté, après il me l’a reproché». Des années durant, elle s’arrange pour que leurs ébats soient vite expédiés tout en se donnant elle-même un peu de plaisir.

De son côté, son mari se retrouve impuissant après la prise d’antidépresseurs. Il repousse ses avances jusqu’au jour où il se braque et lui demande de ne pas le toucher. «Je me suis dit, après tout, moi ça me convient.» Elle aura quelques amants, mais depuis 10 ans plus aucune relation sexuelle avec son époux. Elle ne le désire plus, mais la séparation n’est pas à l’ordre du jour, puisque pour le reste, ils s’entendent bien.
Témoignage tiré de La vie sexuelle en France, de Janine Mossuz-Lavau, Éditions de La Martinière.

Eric, 57 ans: «Socialement, on est un couple parfait»

Après l’accouchement de sa femme – un premier «choc» qui a ébranlé son désir – Eric a fini par renoncer à leurs ébats sexuels. «Coincés par leur éducation», les conjoints n’arrivent pas à en parler. Il a des maîtresses et se détourne encore un peu plus de sa femme lorsqu’elle décide d’arrêter de travailler. «Ça dégrade l’image que j’avais d’elle dans notre couple. Je me suis marié à une fille brillante, intelligente, au service des autres.»

Résultat: un désir qui n’arrive pas à s’assouvir, un dialogue impossible. À l’extérieur, «on fait semblant pour que rien ne transparaisse, alors qu’on sait très bien que cela ne fonctionne pas. J’ai une femme magnifique, la plus heureuse de la ville. Elle joue au tennis. Socialement on est un couple parfait. On entretient cette image-là et l’abcès n’est pas crevé.»
Témoignage tiré de La vie sexuelle en France, de Janine Mossuz-Lavau, Éditions de La Martinière.

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Désintérêt chez les jeunes… aussi

Il n’y a pas que l’usure, la maladie, la ménopause ou les troubles de l’érection qui peuvent pousser un couple à renoncer au sexe. Cette abstinence, la sexologue genevoise Marie-Hélène Stauffacher l’observe chez les jeunes aussi. Alors que ce n’était pas le cas au début de leur relation, certains baissent drastiquement de régime une fois entrés de plain-pied dans la vie à deux.

«Un peu comme si ce passage au couple officiel – le ménage, la gestion partagée des finances, les séries télé – les emmenait dans une réalité concrète qui leur plaît assez, mais où il n’y a plus vraiment de place pour la séduction», note la sexologue.

Après avoir fait l’amour avec fougue et spontanéité, «ils atteignent une certaine sérénité. Ils ont une chambre, un lit, mais là plus rien ne se passe.» Une désexualisation qui s’appuie sur une sorte de compromis non verbalisé. «Certains craquent, bien sûr, et vont voir ailleurs, quitte à revenir dans ce couple au sein duquel il n’y a plus de sexualité, estime Marie-Hélène Stauffacher. D’autres n’ont pas forcément l’air d’en souffrir, sans trouver cela totalement normal. Ils s’entendent bien, peuvent faire preuve de tendresse même, mais dorment chacun de leur côté dans le lit.»

Parfois l’angoisse émerge quand l’un des deux ressent une attirance pour quelqu’un d’autre. C’est là que ces jeunes couples frappent à la porte d’un thérapeute. Ou alors lorsque surgit l’envie d’avoir un enfant… «Ils ont la trentaine, envie d’un bébé, mais ils ont perdu le mode d’emploi, ne se perçoivent plus comme des objets érotisés», note Marie-Hélène Stauffacher.

Ces situations qui ne collent pas à la norme sociale seraient «beaucoup plus fréquentes qu’on ne le croit», estime la sexologue. Selon elle, le phénomène relève peut-être d’un mécanisme de balancier:

«Notre société hypersexualisée ne leur fait pas forcément envie et les fait basculer dans un respect extrême de l’autre.»

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