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Quand la fiction se met à table

Quand fiction se met table

Les recettes du bonheur, avec Helen Mirren, est assez représentatif de la réalité puisque, les cheffes ont toujours bien plus de peine à faire leurs preuves et à trouver leur place que les hommes!

© DR

La cuisine? Auteurs, scénaristes et réalisateurs en font tout un plat et pimentent volontiers leurs histoires de scènes gastronomiques – quand ils n’en font pas le sujet principal de leurs récits. Des exemples? La liste est éclectique et aussi longue qu’un jour sans pain puisqu’on y trouve, en vrac et dans le désordre, des œuvres de Balzac, Colette, Proust, Zola, Andrea Camilleri, Manuel Vázquez Montalbán, Georges Simenon, Roald Dahl, Agnès Desarthe, Anna Gavalda ou J. K. Rowling, mais aussi des films d’Alfred Hitchcock, Claude Chabrol, Quentin Tarantino, James Cameron, Blake Edwards, Georges Lautner, sans oublier l’incontournable Marco Ferreri. Côté séries? Le menu est également bien riche avec, entre autres, Desperate Housewives, You, Downton Abbey, Game of Thrones, Vikings ou encore, pour la bonne bouche, Hannibal et Santa Clarita Diet.

Mais pourquoi cet appétit pour des histoires de casseroles et comment expliquer l’importance de la nourriture dans la fiction?

Un marqueur socioculturel

Comme le rappelle Catherine Gautschi-Lanz, professeure de français et auteure de l’essai Le roman à table (Ed. Slatkine), l’intérêt fictionnel pour la (bonne) chère et son esthétisation commencent après la Révolution française. De fait, si quelques auteurs en parlent auparavant – dont Rabelais et ses pages gargantuesques, Boccace dans son Décaméron ou Molière dans L’avare −, l’alimentation reste un sujet généralement peu goûté jusque-là. Parce que trop vulgaire. Trop trivial. Trop basique.

Toutefois, au XIXe, Balzac, Zola ou Maupassant, notamment, se mettent à décrire la réalité de leur époque. Cette volonté de «montrer le vrai» passe évidemment par la table, un de nos besoins fondamentaux.Cela dit, précise la professeure,

«la cuisine, ou plus généralement les repas, sont très largement utilisés à des fins symboliques et signifient toujours quelque chose».

A commencer par la position et la catégorie sociale. Car on ne mange pas les mêmes délicatesses selon qu’on est mineur ou issu de la bourgeoisie chez Zola, tandis que pour Maupassant, l’ascension de Bel-Ami s’exprime par l’évolution de ses placements aux dîners auxquels il est invité. Une analyse que partage Johan Faerber, Professeur de littérature et co-auteur, avec Elsa Delachair, de l’anthologie La cuisine des écrivains (Ed. Dunod), il ajoute: «Depuis Brillat-Savarin qui, au XIXe siècle, fut le premier à faire de la gastronomie une lecture sociologique, la devise des auteurs est: «Dis-moi ce que tu manges, je te dirai à quelle société tu appartiens!» Une observation qui peut aujourd’hui s’étendre au cinéma et aux séries TV, d’ailleurs:

«Lu ou vu, un plat se présente toujours comme un condensé culturel, une sorte de digest des habitudes individuelles et des coutumes d’une société.»

Et de préciser que sur le Titanic de Cameron, les passagers des 1res et 3es classes n’ont pas la même maîtrise des rituels de table et du décorticage de crustacés!

Ecrivaine de polars, créatrice de recettes et consultante culinaire sur des séries TV, Anne Martinetti abonde: «Quelles qu’elles soient, toutes les œuvres sont le fruit de leur époque.»

Ce qui lui permet de remarquer au passage que l’égalité des sexes n’est pas exactement acquise aux fourneaux non plus. Pour elle, ce que montrent des fictions comme Le goût de la vie, avec Catherine Zeta-Jones, ou Les recettes du bonheur, avec Helen Mirren, est assez représentatif de la réalité puisque, dit-elle, les cheffes ont toujours bien plus de peine à faire leurs preuves et à trouver leur place que les hommes!

Un rôle narratif

Largement mise en scène, sur papier comme sur écrans, la nourriture est devenue un élément narratif important. Pour Anne Martinetti, ces séquences parfois gargantuesques, très présentes dans Vikings ou Game of Thrones, par exemple, servent ainsi souvent à rythmer l’action: «C’est un truc hérité d’Hitchcock, pour qui les repas faisaient partie de la construction narrative!»

Johan Faerber ajoute que le moment du repas est toujours l’occasion d’un petit théâtre: celui des passions humaines. Pour lui, Zola s’en est rendu maître en faisant de chaque banquet une grande scène où, presque scientifiquement, s’observent et se trahissent les habitudes des uns et les obsessions des autres. On y mange mais on se dispute aussi, on y discute et, enfin, on s’y aime: «Le repas n’est jamais un amuse-gueule, mais le plat de résistance des fictions!»

A ses yeux, le rôle de la nourriture est souvent double: il peut, tout d’abord, être un intense moment de convivialité autour d’un plat, mais ce peut être aussi le moment intime du dîner à deux, l’antichambre d’un appétit sexuel. «A chaque repas correspond ainsi, pour le cinéaste ou l’écrivain, une dramaturgie du désir des personnages.»

Protagonistes qui, par ailleurs, gagnent en consistance grâce aux menus que leur concoctent leurs créateurs: «Dans le sillage de Brillat-Savarin, sans doute est-ce Balzac qui, le premier, fit de l’assiette de ses personnages le miroir de leur caractère, lui qui n’hésitait pas à clamer qu’il prenait parti «pour l’estomac de ses héros», relève Johan Faerber. Non sans préciser que Proust n’en pensera pas moins, notamment avec les loukoums à la rose d’Odette de Crécy qui, dans A la Recherche du Temps perdu, témoignent du profond souci de raffinement et d’exotisme de la jeune femme:

«L’assiette s’offre ainsi toujours comme une manière de portrait moral indirect, c’est une manière de le faire exister à part entière.»

En d’autres termes, la nourriture livre des indices sur la personnalité des héros, leur offre une véritable incarnation, leur donne un socle plus réaliste. Un bon coup de fourchette, une tendance à la junk food, une faiblesse pour la haute cuisine ou pour les petits plats mijotés et hop! on sait à qui on a affaire! D’ailleurs… que seraient le commissaire Montalbano, d’Andrea Camilleri, ou le Pepe Carvalho de Vásquez Montalbán, s’ils n’aimaient pas tant faire ripaille?

Un reflet de l’auteur

Mettre en scène des repas ou de la nourriture implique-t-il qu’on soit porté sur les plaisirs gourmands? Souvent oui, confirme Catherine Gautschi-Lanz, citant Zola, Flaubert, Agatha Christie, Simenon ou Colette, mais pas toujours.

Comme l’indique Anne Martinetti, il est parfois d’abord question de marketing.

«Dans les séries, il est maintenant quasi incontournable d’avoir un cuisinier ou en tout cas un fan de cuisine qui, à terme, sortira son livre de recettes!»

Elle nuance, toutefois, expliquant qu’aujourd’hui, parler de bouffe reflète surtout le rapport personnel et parfois ambigu des auteurs à l’alimentation. Et de citer Alfred Hitchcock, ogre assumé, qui a été le premier cinéaste à filmer des plats réels… avant de les engloutir une fois la scène tournée ou Anna Gavalda, qui fait manger ses héros parce qu’elle-même n’aime pas ça, tandis qu’Arnaldur Indriðason considère tout aliment comme suspect (toujours trop ou pas assez islandais pour être honnête!), tout comme Henning Mankell, persuadé que les amateurs de Kanelbullar (pains suédois à la cannelle) ont forcément quelque chose à se reprocher!

Rassurant et fédérateur

Pourquoi nourrissons-nous un tel appétit de descriptions gastronomiques? Pour Catherine Gautschi-Lanz, elles sont rassurantes et réconfortantes. Ce d’autant, dit-elle, que dans beaucoup de fictions actuelles, la nourriture est associée à un don, à de l’amour, voire à une réparation de soi-même, comme dans le Mangez-moi d’Agnès Desarthe.

Pour sa part, Anne Martinetti y voit aussi une manière d’appartenir à un groupe: hyper-médiatisée depuis une vingtaine d’années, la cuisine fédère des publics très différents «et c’est de ce genre de communauté dont nous avons besoin!» Quant à Johan Faerber, il relève: «On a tendance à manger devant une série ou un film. Pour le coup, il y a un phénomène identificatoire, comme un effet d’écho qui accompagne le quotidien du spectateur» Un écho qui nous est en effet servi sur un plateau…

Les films, reflets d’une époque

Sorti en juin dernier, La bonne épouse, de Martin Provost, dépeint la vie d’une école ménagère en 1968. Pour le coup, reflet de l’époque, la nourriture bourgeoise y tient une place essentielle puisque les élèves, sous la spatule tendre de Yolande Moreau, doivent apprendre à concocter les petits plats qui feront d’elles des jeunes femmes bonnes à marier.

Dans Les recettes du bonheur, de Lasse Hallström, il est question de choc culturel (cuisines française et indienne), mais aussi d’égalité des sexes et de la difficulté qu’ont encore les femmes à être reconnues comme cheffe – un «combat encore loin d’être gagné», note Anne Martinetti.

«Les recettes du bonheur» montre notamment la difficulté de devenir une cheffe reconnue © DR
«Les recettes du bonheur» montre notamment la difficulté de devenir une cheffe reconnue © DR

La nourriture en série? Une tendance récente

Comme l’explique Anne Martinetti, la tendance «nourriture en séries» est très récente puisqu’elle a été véritablement lancée par Desperate Housewives, en 2004:

«Il y a 30 ans, en dehors de «Ma sorcière bien-aimée, on ne voyait pratiquement jamais personne cuisiner.»
Pepe Carvalho», tiré des romans de Manuel Vázquez Montalbán© United Archives Gmbh-Alamy
«Pepe Carvalho», tiré des romans de Manuel Vázquez Montalbán© United Archives Gmbh-Alamy

Il pouvait certes y avoir des références, mais ce n’était absolument pas aussi central que dans Downton Abbey, Pepe Carvalho (série tirée des romans de Manuel Vázquez Montalbán), Chefs (avec notamment Clovis Cornillac) ou encore Santa Clarita Diet. A ce propos, la consultante culinaire note:

«Ce croisement entre "The Walking Dead" et "Desperate Housewives", en poussant au maximum, montre tous les travers des Américains en termes d’alimentation!»

Des personnages de romans incarnés

Depuis le XIXe siècle, la nourriture est très présente dans la littérature, tous genres confondus. Ainsi dans la saga Harry Potter, par exemple, où elle définit le monde de la magie et donne des indications socioculturelles sur les personnages. Manuel Vázquez Montalbán, lui, donne chair à son détective, Pepe Carvalho, dont l’intérêt pour la table a d’ailleurs donné lieu à de délicieuses déclinaisons pratiques. Quant à l’Italien Andrea Camilleri, c’est en hommage à son confrère espagnol qu’il a baptisé son héros principal Salvo Montalbano, lui aussi fort intéressé par la table. Il en profite pour porter haut les goûts de la cuisine sicilienne.

Des fictions à l’assiette

Très tendance, les manuels de recettes tirées de la fiction se vendent comme des petits pains. Parmi les musts, les succulents Crèmes et châtiments (Lattès), consacré à Agatha Christie, La sauce était presque parfaite (Cahiers du cinéma), qui cuisine Hitchcock, ou encore Simenon se mange! (à paraître prochainement chez Gründ), tous co-signés Anne Martinetti. Délicieux également, Downton Abbey, le livre de cuisine, d’Anne Gray (Marabout), Game of Thrones, le livre des festins», de Monroe-Cassel et Lehrer (Huginn & Muninn) ou encore Chefs - Les recettes de la série, de David Toutain (Solar).


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