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Portrait inspirant

Jocelyne Bloch: «On ne peut pas utiliser les mêmes armes qu’un homme»

Femme Femina Anne Laure Lechat 2

«Seule, je n’aurais évidemment pas réalisé tout ça. Sans parler de genre, je crois en la force du groupe. Je ne suis pas une solitaire et je crois sincèrement que le bon leadership c’est de savoir bien s’entourer.»

© Anne-Laure Lechat

Ce qu’elle cherche

A changer le devenir des personnes qui ont des troubles neurologiques irréversibles.

Ce qu’elle trouve

Des personnes merveilleuses avec lesquelles réaliser ce but!

Bio express

  • 2002: Obtention de son diplôme en neurochirurgie. Début de sa collaboration avec le docteur Jean-François Brunet sur les greffes autologues.
  • 2003 et 2005: Naissance de ses deux enfants, qu’elle a élevés avec son mari, médecin lui aussi.
  • 2012: Rencontre avec le professeur Grégoire Courtine.
  • 2018: Publication de l’étude Stimo, montrant que des patients paraplégiques ont pu contrôler les muscles de leurs jambes jusqu’ici paralysées grâce à une stimulation électrique de la moelle épinière.

Son visage ne vous est peut-être pas inconnu. Car malgré une certaine réserve, Jocelyne Bloch a dû se résoudre à maintes reprises à se mettre en avant, voire à prendre la pose, pour parler et faire la promotion de son travail. Alors certes, la greffe de cellules cérébrales autologues ou la stimulation électrique de la moelle épinière, ça sonne abscons au premier abord à un néophyte, mais quand on sait que ses travaux, toujours portés par une solide équipe, ont déjà permis à des personnes paraplégiques de remarcher, on comprend assez rapidement l’engouement et l’attente que ses recherches peuvent engendrer.

«A 10 ans, j’ai été marquée par la perte d’un ami de mon âge. J’avais de la peine à l’accepter; pourquoi un jeune tombait-il malade comme ça? Je trouvais ça injuste.»

Gamine, déjà, une certaine envie de réparer des cassures. «Je n’avais pas de médecin autour de moi pour me servir d’exemple, mais la mort et la maladie me fascinaient déjà.»

Petit problème: elle est plutôt bonne en langues, son entourage l’encourage à privilégier une voie littéraire. Elle se retrouve donc en section langues modernes, dans une classe avec un seul garçon. Un aiguillage pas idéal pour se lancer en médecine, mais Jocelyne Bloch y arrive. La persévérance, déjà, était une marque de fabrique.

C’est durant ses études qu’elle se fascine – elle utilise ce terme – pour le cerveau. «Je me suis donc penchée sur les neurosciences, mais c’est la neurochirurgie que j’ai choisie. car elle correspondait plus à mon caractère. J’aime quand il y a une solution immédiate, radicale, quelque chose de cartésien, pas juste observer et discuter. Je suis davantage dans l’action.» Lumière feutrée autour d’elle, technologies de pointe, travail au microscope, interventions longues et gestes infimes, des conditions idéales pour elle. «C’est une forme de chirurgie plus féminine qu’une autre, dans laquelle il faut beaucoup d’endurance, mais qui implique moins de force, comme c’est le cas par exemple en chirurgie orthopédique.»

Alter ego masculins

Sa carrière professionnelle sera jalonnée de rencontres. Masculines essentiellement, car dans le domaine, les femmes font figure d’exceptions. Jean Guy Villemure, ancien chef de service de neurochirurgie du CHUV, qui lui met le pied à l’étrier de la chirurgie fonctionnelle. «Maladie de Parkinson, crises d’épilepsie, AVC, on essayait de diminuer les douleurs, les tremblements, d’améliorer les symptômes avec différentes méthodes, c’était un domaine qui était alors encore très ouvert aux découvertes.» C’est ensuite avec Patrick Aebischer, ex-directeur de l’EPFL, qu’elle découvre le monde de la recherche, puis c’est avec le biologiste Jean-François Brunet qu’elle collabore sur ces fameuses cellules cérébrales autologues. En gros, un cerveau lésé (par un AVC par exemple) a les capacités propres de se régénérer, moyennant une greffe de ses propres cellules neurales. Ce postulat attire sur lui l’anathème de certains dans les premières années de recherches, mais cette fois ça y est presque: les premiers essais cliniques sur l’homme pourraient enfin bientôt démarrer. Quand Jocelyne Bloch en parle, l’excitation est à son comble: «Ça fait tout de même plus de 16 ans que nous travaillons là-dessus!»

L’autre homme qui l’accompagne dans ses travaux aujourd’hui est le professeur Grégoire Courtine. Elle installe sur la moelle épinière de personnes paraplégiques des électrodes, développées par son confrère neuroscientifique, qui vont envoyer des signaux dans les groupes de muscles paralysés, de façon à les réactiver. Résultat? Sous stimulation, la personne arrive à remarcher. Plus incroyable peut-être, après une longue rééducation à la marche, on observe une amélioration neurologique, même quand l’implant est déconnecté et que la moelle épinière n’est pas stimulée. De quoi redonner de l’espoir à pas mal de cabossés de la vie. Toutefois, il y a encore du chemin à faire et l’aventure, technologique, mais aussi humaine, ne fait que commencer.

Carrière académique, subtil équilibre

«Seule, je n’aurais évidemment pas réalisé tout ça. Sans parler de genre, je crois en la force du groupe. Je ne suis pas une solitaire et je crois sincèrement que le bon leadership c’est de savoir bien s’entourer.»

Entourée d’hommes donc, elle avoue pourtant ne jamais avoir souffert de sexisme. «C’est un fait, les femmes faisant carrière dans le milieu académique sont rares. Je constate aussi que beaucoup de femmes médecins ne choisissent pas de se spécialiser dans des branches chirurgicales, mais ça change. Les femmes se posent généralement plus de questions que les hommes sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.»

Modestement, elle pense d’ailleurs que son parcours aurait été tout autre si elle n’avait pas eu ses enfants tard, à 35 et 37 ans, quand elle avait déjà terminé sa spécialisation. Toutefois, pour elle, cette difficulté n’est pas l’apanage des femmes uniquement. «Un homme aura les mêmes difficultés à développer sa carrière s’il souhaite s’investir dans l’organisation familiale.»

Il est vrai que, contrairement à d’autres domaines scientifiques, celui de la médecine est plus équilibré au niveau de la représentation des sexes. «Déjà, lorsque j’étais étudiante à la Faculté de médecine, on n’était pas loin du 50/50 et, aujourd’hui, il y a plus de filles que de garçons dans cette filière. Personnellement, je me sens chanceuse, je n’ai jamais ressenti d’inégalité véritable. J’ai aussi eu la chance d’avoir toujours travaillé avec des patrons ouverts.» Et elle a vite compris qu’elle ne pouvait pas utiliser les mêmes armes qu’un homme, «comme lever la voix. Quand un homme hausse le ton, c’est un leader et quand une femme le fait, elle est hystérique. C’est étonnant, mais c’est comme ça, alors on trouve d’autres moyens.» Lesquels? Tout d’abord, pour elle, «l’acharnement en douceur. Il faut avoir faim dans ce milieu pour réussir, quel que soit son sexe!» Elle y ajoute le fait d’avoir une vision, qu’elle ne lâche pas, malgré les difficultés, les petits moments de découragement et les lenteurs administratives.

«Je travaille dans un milieu très compétitif, donc je suis évidemment contente quand je trouve le moyen de gagner mes batailles, mais je prends tout ça comme un jeu; et même si je suis passée par des moments désagréables, je ne l’ai jamais ressenti comme une attaque personnelle ou liée à ma condition de femme.»

Cette position, liée à son expérience personnelle, lui fait penser que les mesures de discrimination positive dans certains milieux – comme favoriser l’engagement de femmes – ne sont que des solutions extrêmes, voire des pis-aller. «Que ça serve à permettre aux prochaines générations d’avoir davantage d’exemples à suivre! Parce qu’il est vrai qu’à part Marie Curie qui, si elle n’est pas neurochirurgienne, est une scientifique admirable, je n’ai pas eu beaucoup de femmes modèles dans mon métier!»

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