Portrait inspirant
Anne Verhamme: «Plus de femmes Prix Nobel? Ça va bien finir par arriver!»
Ce qu’elle cherche: Les sources de la réionisation de l’Univers, il y a 12 milliards d’années
Ce qu’elle a trouvé: Des petits pois, ces galaxies compactes et vert fluo
Bio express:
- 1979: Naissance, le 7 mai, en Normandie (F)
- 2006: Naissance de son premier enfant. Deux autres suivront en 2008 et 2010
- 2008: Doctorat d’astrophysique à l’Université de Genève, après un master obtenu à l’Université de Grenoble (F)
- 2018: Titre de professeure assistante au département d’astronomie de l’Université de Genève
- 2019: Prix Marie Heim-Vögtlin, attribué par le Fonds national de la recherche scientifique à une chercheuse
Quand elle parle de son travail, on se met à penser à une enquête façon Agatha Christie. Mais qui a donc réchauffé l’Univers il y a 12 milliards d’années? Les astrophysiciens appellent ça la réionisation cosmique. Anne Verhamme en a fait son domaine de recherche. Un domaine éminemment complexe que cette quadra, qui fait partie des rares professeurs de sexe féminin du département d’astrophysique de l’Université de Genève, partage avec un enthousiasme communicatif. Il faut dire que le teaser donne envie d’en savoir plus, puisque les étoiles qui focalisent son intérêt portent le nom de galaxies petits pois, un sobriquet lié à leur petite taille et à leur couleur vert fluo.
Insatiable curiosité
Ces galaxies petits pois sont devenues un suspect crédible pour expliquer le réchauffement de l’Univers. «Durant le premier milliard d’années qui a suivi le Big Bang, celui-ci était opaque aux rayons UV, ce n’est qu’après que les premières sources de lumière l’ont suffisamment réchauffé pour qu’il devienne transparent», résume Anne Verhamme qui, à l’aide de simulations numériques, tente aujourd’hui de recréer virtuellement ce qui ne peut être observé. Avant la découverte des galaxies petits pois, en 2009, les astrophysiciens soupçonnaient plutôt les quasars, les noyaux de galaxies. Sauf que ceux-ci ne semblaient pas en mesure de produire un réchauffement durable. Les étoiles, elles, n’avaient pas franchement le bon profil, jusqu’à ce qu’Anne Verhamme démontre que les galaxies petits pois, contrairement aux autres, émettaient des rayons ionisants, une source puissante de lumière. En réalité, ces petits pois cosmiques n’ont pas 13 millions d’années, ils sont bien plus récents, «mais on pense qu’ils ressemblent beaucoup aux galaxies qu’il y avait à l’époque», complète la scientifique. Ils constituent donc d’excellents modèles.
En 2019, cette découverte a valu à Anne Verhamme le prix Marie Heim-Vögtlin – du nom de la première Suissesse à avoir été admise comme étudiante en médecine à l’Université de Zurich (en 1868). Une belle récompense pour celle qui assure avoir toujours su qu’elle voulait faire de la recherche. Dans sa tête, la question portait plutôt sur quel domaine jeter son dévolu et son insatiable curiosité.
De nationalité française, la jeune femme fera un master en physique à Grenoble avant de se spécialiser en astrophysique, imaginant alors que c’est ce qui ressemble le plus à la philosophie. «En fait, non, sourit-elle aujourd’hui. Au quotidien, on ne passe pas notre temps à se demander d’où l’on vient.»
Qu’une fille choisisse une filière scientifique n’a jamais rien eu d’incongru dans sa famille. La question l’a rattrapée bien plus tard, sur les bancs de l’université.
«Là, je me suis dit: Mais où sont passées les filles?»
Si elles étaient assez rares en licence de physique, elles se sont carrément évaporées en master, où Anne Verhamme se retrouve entourée exclusivement d’hommes.
«C’était plutôt confortable, confie-t-elle. J’étais un peu la chouchoute. J’ai sans doute eu beaucoup de chance, car je n’ai jamais ressenti que c’était un problème d’être une femme, que ce soit de la part des enseignants ou de mes collègues d’études. Je me souviens d’un séjour à l’observatoire de Haute Provence. Je m’étais foulé la cheville. Or, c’est un endroit où on se déplace à pied, la nuit, d’un télescope à l’autre. On n’a pas le droit d’allumer de lumière et on avance sur de petits chemins de garrigue. Les gars m’ont portée, me prenant sur leur dos chacun leur tour. Grâce à eux, j’ai pu participer quand même.»
Barrières pour les femmes
Aujourd’hui, la Française dirige une équipe de recherche de huit personnes, comprenant thésards et postdoctorants, parmi lesquels six femmes. «Ce n’est pas un choix vraiment conscient, rétorque-t-elle. Certaines de mes postdocs ont déposé des candidatures très motivées et ont aussi affiché le fait qu’elles voulaient travailler avec une femme.»
La composition très féminine de son groupe est cependant loin de refléter la réalité. Si, à l’Université de Genève, les étudiantes en astrophysique sont pratiquement aussi nombreuses que les étudiants, les rangs se clairsèment chez les postdoctorantes, sans parler des professeures. Le département en compte trois pour vingt postes. Un véritable entonnoir.
«Il se joue plusieurs choses, observe Anne Verhamme. A la fin de votre thèse, vous avez entre 25 et 30 ans. C’est l’âge où vous allez vouloir fonder une famille, mais c’est aussi l’âge où on vous demande de partir à l’étranger. En effet, après votre thèse, vous avez le diplôme pour devenir astrophysicien, mais pas de poste permanent, ce qui est très difficile à obtenir. Alors, en attendant, vous devez acquérir de nouvelles expériences de recherche. Le faire ailleurs que là où vous avez présenté votre thèse est bien vu sur un CV. C’est certainement un facteur qui pousse les femmes à arrêter.»
Maman à distance
Anne Verhamme a d’abord avancé sans trop se poser de questions. Elle a eu deux de ses trois enfants pendant sa thèse. «Dans mon esprit, j’allais travailler et avoir des enfants, c’était aussi simple que ça.» Alors, quand a sonné pour elle l’heure de partir à l’étranger, la jeune femme a établi une stratégie. Elle décide de chercher des postes dans des endroits desservis par des liaisons EasyJet avec Genève, pour pouvoir rejoindre facilement les siens, installés à Annecy. Oxford, Lyon… durant chaque séjour, elle alterne 10 jours de travail d’affilée puis un long week-end de quatre jours à la maison. Il a tout de même fallu serrer les dents. Quand elle s’envole pour l’Angleterre, sa deuxième fille n’a que cinq mois.
Le couple emploie des jeunes filles au pair, mais son mari s’est beaucoup occupé des enfants en son absence. «Il avait un soutien énorme et l’admiration de tout notre entourage. Il aurait pu appeler n’importe qui au milieu de la nuit pour l’aider, mais il a carrément assuré.»
Si elle continue à voyager régulièrement pour participer à des conférences ou donner des cours, l’astrophysicienne a organisé sa vie de manière à profiter de ses deux filles et de son fils, aujourd’hui âgés de 13, 12 et 10 ans. Elle démarre sa journée de travail plus tard pour les amener à l’école. «Le mercredi, je travaille depuis chez moi le matin et une fois que les enfants sont couchés.» Entre deux, elle est là pour eux.
«Nous avons un pacte, je n’ai pas le droit d’ouvrir mon ordinateur», lâche celle qui, le reste du temps, se consacre aux galaxies depuis l’observatoire de Genève, là où ont démarré les travaux sur les exoplanètes couronnés l’an dernier d’un Prix Nobel attribué à deux figures de l’astrophysique genevoise, Michel Mayor et Didier Queloz. Deux brillants chercheurs. Deux hommes, comme 96% des lauréats. Pas de quoi saper l’enthousiasme d’Anne Verhamme.
«Les recherches qui ont été récompensées ont été faites il y a 25 ans, à une époque où il n’y avait pas de femmes ici, à l’observatoire. Ce décalage va encore durer un certain temps, mais plus de femmes Prix Nobel, ça va bien finir par arriver!»
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