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Interview

Hugo Clément: «On a marchandisé le vivant»

Hugo clement le respect du vivant commence par le respect des etres vivants Romain Rigal

«Je vois de plus en plus de gens qui deviennent combatifs et combatives, qui portent cette voix et qui s’engagent. Le mouvement prend de l’ampleur.» - Hugo Clément

© ROMAIN RIGAL

Hugo Clément ne craint pas de dénoncer tout haut ce que les politiques et les gros lobbies économiques tentent de mettre en sourdine. Le journaliste à la tête du média Vakita et auteur du livre Les lapins ne mangent pas de carottes (Éd. Fayard), publié en 2022, sera en conférence le 29 septembre 2023 à la salle Métropole de Lausanne pour parler des enjeux colossaux pour faire en sorte que notre planète reste un espace habitable.

Plus d'informations sur la conférence

FEMINA Le public vous connaît grâce à vos reportages choc et engagés. Qu’apporte en plus une conférence comme «Changeons de Regard sur le vivant»?
Hugo Clément Le public se retrouve face à un humain plutôt que face à un écran, ce qui fait toute la différence. Rien ne remplace le contact direct et physique avec les gens. Contrairement aux canaux classiques que sont la télé, les réseaux sociaux et la radio, la scène est un espace d’expression très personnel et intime. Cela contribue à amplifier la transmission du message.

En plus d’être journaliste, vous devenez un showman?
Il y a ce rapport à la scène effectivement, mais je ne suis pas comédien et n’ai pas la prétention de l’être. Je reste un journaliste qui essaie de transmettre le message.

Vous serez accompagné d’un groupe de musiciens pour la première fois, qu’apporte cette dimension en live?
La musique est une manière de souffler, de reprendre ses esprits et digérer une information parfois difficile à entendre. Il y a aussi des passages joyeux durant lesquels je parle d’expériences magnifiques avec des animaux. Dans ces cas-là, la musique véhicule la joie et sublime les émotions.

L’infotainment permet-elle d’éveiller les consciences?
Bien sûr!

On le constate avec un film comme Don't Look Up qui a eu un effet bien plus fort que la plupart des documentaires traitant de ces questions.

Des millions de gens regardent, réfléchissent et en parlent. C’est d’ailleurs devenu une expression, «don't look up!». Il ne faut négliger aucun outil de communication, car il n’y aura jamais trop de contenu consacré à ces sujets-là.

Vous êtes devenu végétarien. Selon vous, que raconte de notre société notre rapport à la viande et notre façon d’en consommer?
Cela raconte qu’on a complètement marchandisé le vivant. On utilise les animaux comme des objets de consommation. C’est assez révélateur du rapport qu’on entretient avec la nature en général. On a l’impression de la maîtriser, de ne pas en faire partie et d’être une espèce à part. Ce qui est évidemment totalement faux. Nous sommes soumis aux mêmes règles que les autres espèces animales, aux mêmes enjeux. L'être humain est une espèce animale parmi les autres qui a besoin des autres espèces pour vivre et survivre. Changer notre manière de considérer les animaux, c’est le premier pas vers le changement de notre façon d’habiter ce monde. En détruisant les animaux, nous nous détruisons nous-mêmes. On doit comprendre qu’on a besoin de la biodiversité pour rester en bonne santé.

Vous faites un lien entre la maltraitance animale et le changement climatique.
L’élevage intensif, qui est le principal générateur de souffrance animale dans le monde, est aussi une activité qui contribue énormément au changement climatique. Au niveau planétaire, l’élevage représente 14,5% du total des émissions de gaz à effet de serre selon la FAO. C’est aussi l’élevage qui monopolise 70% des terres agricoles, dont la majorité est arrosée de pesticides, et qui provoque la majorité de la déforestation en Amazonie. La destruction des forêts et des océans (à travers la pêche) fragilise ces écosystèmes qui sont nos principaux puits de carbone, et accélèrent donc le changement climatique.

Vous décrivez une destruction massive du vivant sur notre planète.

Si on ne traite pas avec respect les animaux qui nous ressemblent et qui ressentent des émotions comme la joie et la peur, qui ont une personnalité, comment voulez-vous qu’on ressente de l’empathie pour le climat, les forêts et les océans?

Dit comme ça, cela semble une évidence.
Le respect du vivant commence par le respect des êtres vivants. Changer notre manière de voir le monde se fera avant tout par le respect de ceux qui partagent cette planète avec nous.

Quel lien faites-vous avec la santé?
Une seule santé existe, celle de la planète. La santé des homo sapiens est liée à celle des autres animaux. On ne peut pas avoir une espèce humaine en bonne santé dans des écosystèmes qui s’effondrent. Concernant l'agriculture par exemple, si les sols sont de moins en moins fertiles, c’est parce qu’on les a surexploités en les arrosant de produits phytosanitaires. L'impact commence à se faire ressentir sur les rendements agricoles et sur notre capacité à produire de la nourriture. Le lien est également très clair entre perte de biodiversité et augmentation du risque de pandémie. Plus la faune sauvage se porte mal, plus nous sommes en danger. Il faut prendre conscience que, comme toutes les autres espèces, nous faisons face à notre finitude.

Disparaître fait partie des options existantes. D'autres espèces humaines qui ont existé avant nous ont disparu depuis.

L’espèce homo sapiens est-elle victime de son complexe de supériorité?
Les premières traces de notre espèce remontent à 300 000 ans et la révolution agricole à seulement 10 000 ans. Pendant l’essentiel de notre existence, nous étions des chasseur-euse-s cueilleur-euse-s nomades qui dépendaient entièrement des ressources disponibles autour d’elles et eux, et donc de la bonne santé des écosystèmes. Cela ne fait pas si longtemps, à l’échelle de l’évolution, que nous pensons pouvoir tout contrôler et tout exploiter sans limite.

Quelle conséquence a eu la révolution agricole?
Elle nous a sédentarisés. Nous avons commencé à détruire des habitats naturels pour en faire des zones agricoles qu’il a fallu cultiver. Selon l’historien Yuval Noah Harari, c’est là que notre manière d’habiter le monde a vraiment basculé.

Et les religions?
Le monothéisme, dont l’islam, le christianisme et le judaïsme font partie, ont poussé l’homme à considérer qu’il était fait à l’image de Dieu. Donc forcément supérieur. Avant cela, des philosophes comme Pythagore croyaient à la transmigration des âmes entre les humains et les animaux, c’est-à-dire qu’en mourant, l’âme d’un humain pouvait se retrouver dans le corps d’un animal. C’est pour cette raison que des penseurs croyaient que manger un animal revenait potentiellement à manger son frère, sa mère ou son père. Cela éclaire la vision de certains hommes, qui avaient à cette époque la conviction de faire partie d’un tout, du grand règne du vivant. Selon la philosophe Elisabeth De Fontenay, l’arrivée des religions monothéistes a marqué une vraie rupture dans notre manière de voir le monde.

Puisque vous faites le parallèle entre l’âme humaine et animale, faisons une transgression à l’esprit prosaïque: en quel animal souhaiteriez-vous être réincarné, Hugo Clément?
Je n’ai jamais réfléchi à cette question… Je m'identifie vraiment à l'animal que je suis, un homo sapiens. Certains animaux, comme le lynx, me fascinent particulièrement. C’est un animal merveilleux, très mystérieux. Mais si je devais en choisir un, je choisirais un oiseau marin, comme le cormoran qui peut tout faire: voler, nager, plonger et marcher. C’est une chance incroyable.

Quel thème reprenez-vous de votre ouvrage Les lapins ne mangent pas de carottes pendant la conférence?

Cette conférence est le fruit de toute la réflexion que je développe depuis plusieurs années sur notre place en tant qu’espèce parmi les vivants, sur ce qu'on fait subir aux animaux aujourd'hui et comment on peut changer notre comportement.

Cela implique aussi tout le travail fourni pour mes précédents ouvrages, ainsi que les nombreux reportages que j'ai réalisés pour mes émissions. C'est un mélange de tout ça. Comme dans le livre, j’ai aussi envie de porter l’espoir de voir le monde différemment, et tout ce que cela peut nous apporter.

Selon vous, qu'est ce qui manque à l'humanité pour enfin arriver à comprendre les enjeux actuels?
Pour commencer, il manque du courage politique et des élites économiques qui prennent des décisions. Si beaucoup de gens ne savent pas ce qui se passe, celles et ceux qui se trouvent en haut de la pyramide sont tout à fait au courant des enjeux et sont conscients de ce que les scientifiques disent depuis des années. Pour autant, ils ne font rien. Ou pas grand-chose.

Et au niveau de la population?
Il manque une prise de conscience massive de toute la population. On ne peut pas vivre seul-e-s sur cette planète. On ne peut pas survivre sans les autres animaux. Les détruire, c’est s'autodétruire. Imaginer qu'on peut s'en sortir grâce à notre technologie, grâce au progrès technique, sans le vivant, sans la diversité du vivant, est un leurre et une illusion qui nous conduit dans la tombe. On a besoin de biodiversité et on doit se battre pour que les autres créatures de cette planète aient leur place et puissent s'épanouir. Si ce n'est pas le cas, on y passera aussi.

Êtes-vous pessimiste quant à l'avenir?
Non, je ne suis pas pessimiste, je suis réaliste.

On est dans une situation d’urgence très difficile qui s'aggrave de jour en jour. Il nous reste peu de temps pour prendre les décisions qui permettront d’éviter la catastrophe.

Le rapport du GIEC le dit très bien, on sait ce qu'il faut faire pour limiter les dégâts et permettre de garder cette planète habitable. Le message d’espoir est que nous ne sommes pas condamné-e-s à aller dans le mur, pour autant que l’on accepte des changements importants dans nos modes de vies. On ne peut pas empêcher certains phénomènes à l'œuvre, mais on peut essayer de les ralentir et de nous y adapter. Cela exige une réaction aujourd’hui, pas dans 20 ou 30 ans.

Pensez-vous que nous serons contraints à des restrictions?
Je partage la vision de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici: la sobriété sera soit choisie, soit subie. On peut décider collectivement de ce que l’on peut faire pour réduire notre impact en termes d’énergie et de CO2, et comment le faire pour que cela soit équitable. Dans le cas contraire, nous subirons la sobriété. Ce qui signifie qu’arrivé au point de rupture, il n’y aura plus assez d'énergie, d’eau et de ressources alimentaires pour tout le monde. Subie, la sobriété sera beaucoup plus injuste et beaucoup plus violente que la sobriété choisie, surtout pour les plus fragiles qui seront en première ligne.

Qu'est ce qui vous donne encore de l'espoir aujourd'hui?
Je vois de plus en plus de gens qui deviennent combatifs et combatives, qui portent cette voix et qui s’engagent. Le mouvement prend de l’ampleur.

Voir le niveau de conscience augmenter chez les jeunes générations me donne aussi beaucoup d’espoir.

Dernière question, Hugo Clément. Pourquoi avoir lancé votre média Vakita; les médias existants ne suffisent plus pour faire passer le message?
Il manquait à mon sens un média d'investigation numérique dédié à l'environnement. Il y a tant de sujets à creuser et si peu de temps pour le faire. Cela devenait frustrant. Je suis très heureux et fier de mon émission mensuelle sur France 5, mais on ne peut pas tout traiter avec ce format documentaire. Enquêter au quotidien, avoir un canal de diffusion ouvert en permanence et proposer des actions concrètes pour permettre d’agir et ne plus se sentir impuissant face à la situation, c’est le cœur de Vakita. Nous sortons déjà beaucoup d’enquêtes que d’autres médias ne font pas. Le nombre de nouveaux abonnés le démontre, il y a un espace pour ça.

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